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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

JEUDI 4 JUILLET 2002

AU-DELÀ D'UNE DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE

Au-delà du scepticisme : la vigilance s'impose.

La simple lecture du Message présidentiel, adressé le 2 juillet au parlement à l'occasion de la session extraordinaire, donnait évidemment le ton. Il s'agissait de faire comprendre aux Français, en commençant par les représentants du peuple, que la V république entend revenir à la pratique présidentialiste. Celle-ci avait prévalu pendant ses quelque 30 premières années, exactement de 1958 à 1986. Et les 15 dernières l'avaient terni par 9 années de cohabitation.

Dans ce contexte le chef de l'État assumera à la fois le pouvoir exécutif et entendra impulser 95 % du travail législatif. 365 députés sur 577 se réclament d'un parti s'intitulant explicitement Union de la Majorité Présidentielle. Le Premier ministre ne semble donc là que pour mettre en musique, pour appliquer un scénario largement décidé par l'Élysée.

Dans de telles conditions, la Déclaration de politique générale, prononcée par M. Raffarin ce 3 juillet, si habile que l'homme puisse éventuellement se confirmer dans l'avenir, était bien encadrée par les contraintes autoritaires définies la veille par M. Chirac. Car, des 4 axes de la politique chiraquienne, c'est le "renforcement de l'autorité de l'État" qui était énoncée en premier, avant la "garantie de la sécurité des Français", avant la "restauration de la compétitivité de la France", et avant l'inoxydable "solidarité nationale".

Certains s'emploieront sans doute à repérer particulièrement les nuances entre les propos du chef de l'État et la tonalité du discours du chef du Gouvernement. Ces nuances, à dire vrai, sont loin d'être imperceptibles. D'un côté, nous retrouvons la conception bonapartiste du pouvoir associée à une philosophie radicale-socialiste : c'est décidément l'horizon indépassable de M. Chirac. De l'autre, on se plaira à recenser les signaux de modération, de proximité et même, quelle audace, de libéralisme (1).

Personne ne doute de la nécessité de restreindre et même de faire disparaître les zones de non-droit. Mais on doit aussi se demander si les moyens envisagés seront suffisants. On parle au départ de 6 milliards d'euros étalés sur 5 ans. C'est un coût financier finalement minime. Mais on aimerait en savoir plus sur les orientations judiciaires, pénitentiaires, éducatives, et même médiatiques qui devront épauler des moyens strictement matériels alloués à la police et à la justice.

Personne ne peut se plaindre de savoir que le gouvernement souhaite aboutir à la création de 1 000 000 d'entreprises dans les 5 ans. Mais ces fameuses PME ne pousseront pas comme des champignons dans le jardin de M. Hurel. Ou, plutôt, si l'alternance de fraîcheur et de lumière permet leur apparition à l'automne, ne faut-il pas redouter qu'une autre alchimie de fiscalité, de charges sociales et de réglementation n'aboutisse à leur disparition en hiver.

La création d'entreprises n'est pas seulement entravée en France par ce que M. Raffarin décrit à juste titre comme "la paperasse, tous les ennuis et toutes les tracasseries qui font qu'aujourd'hui les acteurs sociaux, économiques sont transformés en bureaucrates alors que nous attendons qu'on puisse libérer leur énergie". La simplification par ordonnance cela séduit toujours beaucoup de bonnes fées, penchées depuis des années sur le berceau de la petite princesse Entreprise. Mais la sollicitude de ces âmes bénévoles, si nombreuses dans les chambres de commerce, si nécessaire soit-elle, n'est suffisante ni pour la création, ni pour la pérennité des initiatives économiques réelles. Il faudra baisser massivement les charges, les taxes, les contraintes, les allocations, les subventions, les gaspillages, les dispositifs d'aide à ceci, les interventions en faveur de cela. Pour y parvenir, il faut développer les espaces de libre choix, de responsabilité et de concurrence. 5 ans ne seront pas de trop. Même en commençant immédiatement.

M. Chirac lance deux principes : celui de la compétitivité qu'on appelle aussi attractivité française, et aussi de celui qu'il nomme "solidarité nationale". Ces belles idées, assaisonnées de prétentions à la fois européennes et universalistes (ce qui n'est pas la même chose) peuvent éventuellement cohabiter. Mais on a tout lieu de redouter aussi que, dans la pratique, elles se contredisent.

M. Raffarin a déclaré que "tous les emplois de fonctionnaires ne seront pas systématiquement remplacés." Comme cela est bien dit. Mais on aurait aimé savoir aussi quelle règle arithmétique pourra bien prévaloir pour ce non-système de non-remplacement. On embauchera 10 000 personnes supplémentaires dans la magistrature et 13 500 dans la police et la gendarmerie. C'est précis. C'est (presque) parfait (2). À un chiffre si précis d'embauche combien répondront de non-embauches ?

On pourra se féliciter des critiques des syndicats de l'Éducation nationale (3).

On peut presque se satisfaire de la volonté de faire évoluer le statut d'EDF-GDF conformément aux nécessités européennes.

On pourra s'inquiéter de la timidité des intentions libérales en matière de retraites (4).

Non il ne faut pas être sottement sceptique.

Il faudra intelligemment savoir tempérer l'immense enthousiasme que l'on devine vibrer, — mais seulement dans le secret des cœurs, — sous les pas si gracieux des jeunes visages si éblouissants de nos réformateurs et libérateurs.

Et il faudra le tempérer, cet enthousiasme éventuel, par une vigilance sans relâche.

JG Malliarakis

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(1) Il y avait presque autant de libéralisme dans ce discours qu'il n'y en avait dans la Déclaration de politique générale de M. Laurent Fabius du 24 juillet 1984 où le mot "entreprise" apparaissait 23 fois.

(2) Mais ce n'est probablement pas suffisant. Les recrutera-t-on via le syndicat de la magistrature ? Où les formera-t-on ?

(3) Le SNES-FSU estime dans son communiqué que "la simple mention de la lutte contre l'échec en premier cycle universitaire n'est pas à la hauteur du besoin crucial pour le pays de former un nombre accru de diplômés. Cela commence par l'élargissement de l'accès aux différents baccalauréats".

(4) M. Raffarin a annoncé la création prochaine d'une "incitation fiscale" en faveur d'un "revenu d'épargne" pour compléter le système de retraites par répartition. La réforme, évidemment nécessaire depuis 20 ans, attendra 2003.

 

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