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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 5 JUILLET 2002

VISIONS TECHNOCRATIQUES EN CRISE

L'Élargissement de l'Europe aux risques des conceptions sociales démocrates et des petits hommes gris

La grande affaire de l'Europe actuelle n'est pas d'ordre économique ou monétaire. Elle est clairement de caractère géopolitique. Ce n'est plus, en effet, la question de l'euro et des déficits, plus ou moins encadrés par l'accord de Maastricht de 1991, par le traité d'Amsterdam de 1997 et par le pacte de stabilité. C'est beaucoup plus profondément la question de l'élargissement à l'est, qui devrait être finalisée, en principe, lors de la réunion du Conseil européen en décembre à Copenhague, clôturant les 6 mois de la présidence danoise, commencés ce 1er juillet.

Cela peut paraître paradoxal, dans la mesure où chacun s'accorde aujourd'hui à constater les difficultés des grands États-membres de l'Union, principalement l'Allemagne et surtout la France, quand il s'agit de résorber les déficits de leurs comptes publics. Concernant la France, par exemple, on savait de longue date, pratiquement dès les discussions budgétaires de l'automne 2001, que les prévisions présentées par M. Fabius étaient fallacieusement optimistes, pour ne pas dire délibérément mensongères. Et l'audit, remis à M. Raffarin le 28 juin par MM. Nasse et Bonnet, n'a fait que confirmer ce que nous analysons depuis quelque 10 ans dans le cadre de cette chronique.

Seulement, à y bien regarder, si les accords monétaires européens n'étaient pas ce qu'ils sont, si l'Euro et la Banque centrale européenne n'avaient pas été mis en place, on ne considérerait pas qu'un déficit budgétaire d'État supérieur à 2 % du PIB est une offense aux engagements de la nation, et plusieurs sinon la majorité des États-membres de l'Union européenne retrouveraient sans broncher des déficits supérieurs à 5 % du PIB, avec des taux d'inflation à deux chiffres et tous les désordres subséquents que l'on a connus pendant des années, pratiquement de 1945 à 1985.

De ce point de vue, 10 ans à peine après le référendum de septembre 1992, où la France a failli rejeter la convergence monétaire, le vote anti Maastricht est passé de 49 à 29 % et l'ordre monétaire européen se met en place dans les esprits. On peut même paradoxalement se féliciter que l'euro demeure encore plombé par certains vices de conception et par les lenteurs de certains pays comme la France. Car si l'euro rétablissait trop vite sa parité avec le dollar, ou, pis encore, s'il retrouvait son cours initial de 1,18 dollar, les effets négatifs de cet " euro fort " seraient graves, pour nos industries, pour nos activités exportatrices ou pour notre balance touristique.

De même, s'il est profondément irritant de voir le système monopoliste français contrecarrer les accords européens sur l'énergie, sur la poste, sur les transports, etc. au nom d'une idéologie totalement mensongère et archaïque se réclamant faussement du service public, on doit observer qu'il s'agit seulement de batailles à retardement. Posant en porte parole de l'opposition au parlement le 3 juillet M. François Hollande a cherché, encore, et parce qu'il n'a pas grand chose d'autre à dire, à tirer à lui cette idéologie et cette lutte d'arrière garde. Notons simplement qu'entre la réunion de Barcelone et celle de Séville, la ligne officielle française s'est singulièrement rapprochée de celle de l'Europe à propos du statut d'EDF. Elle s'en rapprochera encore.

De même sur les monopoles d'assurances sociales, les directives de 1992 affirmaient une certaine logique concurrentielle très explicite que les Français, sous l'influence du lobby des mutuelles, ont voulu occulter et on doit reconnaître qu'ils y sont parvenus, au sein des tribunaux et de la classe politique pendant 10 ans. Il sera difficile à ce lobby très puissant, fondé sur des complaisances philosophiques bien repérables, de tenir encore pendant les 10 années à venir.

Simplement, cette Europe strictement monétaire, cette Europe intégrée à l'ouest, cette Europe standardisée sur les critères sociaux démocrates, demeure strictement insuffisante. Privée de véritables idéaux intérieurs, elle est incapable de rayonner véritablement et de répondre aux défis extérieurs.

De plus, dirigée depuis 40 ans par des technocrates, cette Europe n'arrive même plus à faire évoluer ses propres institutions. Conçue par et pour les 6 pays signataires du traité de Rome en 1957, elle est aujourd'hui inadaptée à la perspective d'un fonctionnement à 25, prévu pour 2004.

On songera par exemple que la simple perspective de passer de 11 à 21 langues, nécessitant le recrutement de 400 nouveaux interprètes, et ils sont actuellement 3 500, coûtant à peine 95 millions d'euros pour l'ensemble des agences européennes (soit un coût supplémentaire de l'ordre de 10 millions d'euros) est présentée par certains europhobes comme traumatisante.

N'accusons pas, en France, de ce point de vue, les 14 partenaires de la France. Car, 10 ans après Delors et le traité de Maastricht si grisement conçu par M. Pascal Lamy, ce sont bien encore les dirigeants français

En bien comme en mal, la construction européenne a toujours fait une très grande place aux idées françaises, celles de MM. Schuman et Monnet dans les années 1950, celles de M. Delors dans les années 1980, et aujourd'hui elle souffre du tarissement de cette source.

Or, l'élargissement frappe à la porte. C'est une immense opération historique permettant de passer définitivement de la Petite Europe infirme de l'après guerre à la perspective d'une Grande Europe. Les conceptions sociales démocrates, comme les habitudes de la gestion technocratique ne sont pas à la hauteur des enjeux. La présidence danoise de l'Union est exercée par un pays qui n'accepte ni la Monnaie européenne, ni la Défense européenne, ni la Justice européenne. Ce pays est en lui-même profondément sympathique, mais on ne voit pas M. Fogh Rasmussen, son actuel Premier ministre, porteur du projet géopolitique de cette Grande Europe intégrant enfin les nations d'Europe centrale et orientale libérées du communisme.

Le ministre polonais, M. Cimoszewicz (1), a d'ailleurs une formule très parlante pour qualifier la situation qui pourrait résulter d'une crise éventuelle à Copenhague en décembre. "Si l'on nous refuse les conditions normales de négociations, nous demanderons leur prolongation. Nous refuserons le chantage consistant à dire que le train part à 19 h 10. Il partira à 19 h 30, s'il le faut, et il n'y aura pas de malheur", a-t-il déclaré vendredi 28 juin.

L'important en effet sera que le train parte.

JG Malliarakis

(1) Cité par Le Monde en date du 2 juillet.

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