COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 9 JUILLET 2002
NÉCESSAIRE REMISE EN ORDRE DANS LA JUSTICE
Souhaitons, dans la patrie de Montesquieu, qu'elle n'aille pas dans le sens de la gesticulation, de l'arbitraire et de la technocratie.
Un heureux concours de circonstances est venu au secours de M. Dominique Perben. Empressons-nous de souligner qu'il serait inimaginable que le Garde des Sceaux ait pu lui-même y conspirer. Aucun ministre, ni aucun apparatchik ne sauraient avoir été capables de programmer de la sorte le sentiment populaire d'un malaise majeur face au loto judiciaire français, appelant à une remise en ordre au sein de la magistrature et de l'institution.
Car l'opinion éprouve un malaise majeur autour de l'affaire du sang contaminé. Ce qu'on appelle son volet non-ministériel faisait, depuis 1991, l'objet de poursuites renouvelées, sur la base de faits remontant à 1985. À peine se souvient-on de ce que 3 politiques, amalgamés à plus ou moins juste titre, Hervé en tant que ministre de la Santé, mais aussi la très maladroite Dufoix, ministre de la sécurité sociale, et même Fabius en qualité de Premier ministre bouc émissaire, avaient été mis en examen en 1994, pour " complicité d'empoisonnement ". Et si, en 1999, Fabius et Dufoix avaient été acquittés par la Cour de justice de la république, Hervé, bien que reconnu coupable " d'homicides et blessures involontaires ", avait été dispensé de peine.
Le malaise est durable dans ce dossier, depuis plus de 15 ans, car l'implication distanciée, et finalement l'impunité des hommes politiques, accréditent le sentiment un peu inexact que l'appareil de l'État décharge sa responsabilité sur des seconds couteaux.
Ce sentiment est inexact d'abord parce que le Centre National de Transfusion Sanguine, établissement technocratique, était à l'évidence le lieu de l'opération. Ce centre était dirigé par Garretta, et par son adjoint Allain, qui furent condamnés, en 1992, respectivement à 4 ans et 2 ans de prison. Le Directeur de la santé publique de l'époque fut lui aussi condamné mais avec sursis.
Il est tout à fait possible, et même il est légitime, de considérer que tout ceci a été mal jugé il y a 10 ans. La personnalité de Garretta, notamment, restera sans doute l'objet d'un très grand dégoût, pour très longtemps, dans la mémoire collective. L'indulgence surprenante dont fit preuve à son égard l'Ordre des Médecins laisse, elle aussi, une impression difficilement effaçable. Quant à l'ensemble de la justice française, nous avons eu, enfin, dans cette affaire une occasion supplémentaire d'en évaluer et les rouages et la machinerie (1).
Depuis 10 ans, pour d'estimables raisons, les parties civiles, c'est-à-dire les familles de quelques centaines de morts, ferraillaient pour aller plus loin. En 1998, les premières plaintes déposées invoquaient la loi de 1905 réprimant les fraudes ! Le jugement de 1992 condamnait l'épicier Garretta pour " tromperie sur la qualité substantielle " de ce produit, le sang transfusé, dont il faisait l'affreux commerce en revendant ce sang donné par des bénévoles ! Tous ces termes juridiques relèvent d'une offensante dérision ! Depuis, on a cherché à parler d'empoisonnement. La Voisin et la Brinvilliers ressortaient de l'enfer et de l'oubli. Cela était sans doute plus consolant pour le souvenir des innocentes victimes.
Mais c'était peut-être trop tard.
Car le 4 juillet, 30 non-lieux tombaient de la machinerie judiciaire administrative. Le Parquet général, éperonné par le ministre Perben, disposait alors de 5 jours pour faire appel, pour se retourner vers la gardienne du Droit, la cour de Cassation (2).
Quelle magnifique occasion de revanche du pouvoir exécutif, issu du suffrage universel, sur la magistrature syndiquée, bureaucratique, engluée dans ses étroitesses, ses illères et ses partis pris. M. Perben s'en est saisi. Il l'a fait à sa manière, plutôt discrète et courtoise, ce 8 juillet, à Londres (3).
Ceci vient à la veille de manuvres qui devraient se développer, pendant l'été, autour de la structure judiciaire, du renouvellement de ses fonctionnaires, du Conseil supérieur de la Magistrature.
L'opportunité est parfaite. Osons dire que même les petits camarades des " gentils " voleurs de voiture abattus par les " vilains " policiers, ceux qui protestaient à Douai contre l'indulgence de la cour d'Assises du Nord le soir même où tombait la nouvelle du non-lieu du sang contaminé ce 4 juillet, apportaient de l'eau au moulin d'une plus forte reprise en main des juges par le gouvernement.
Tout semble donc conforter cette velléité de remise en ordre. Souhaitons que ce soit dans le sens de la clarté et de la vraie justice, et pas seulement au profit de ces gesticulations, de cet arbitraire et de cette technocratie dont 44 années de 5e république ont hélas donné à ce pays la mauvaise habitude.
JG Malliarakis
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(1) Mais cette occasion ne venait-elle pas surabondamment ?
(2) Dans un arrêt de 32 pages, la chambre de l'instruction écrit " qu'en l'absence de toute infraction de quelque nature qu'elle soit, caractérisée à l'encontre des mis en examen, la cour dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque. "
(3) Où l'on est pourtant soucieux d'indépendance de la justice.
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