Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent... Utiliser le Moteur de recherche
Logo de l'Insolent

COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MERCREDI 10 JUILLET 2002

LE PRÉSIDENT BUSH, L'ÉTHIQUE ET LE CAPITALISME

La Morale ce n'est pas seulement le Code Pénal.

L'annonce par le président Bush des mesures très concrètes qu'il prend pour réprimer la fraude financière aux États-Unis rencontre une réflexion plus générale des meilleurs économistes occidentaux à propos des fondements éthiques sur lesquels repose le capitalisme.

Comme son discours prononcé à New York, ce 9 juillet avait été précédé d'une conférence de presse très détaillée (16 pages de compte rendu, faite à la Maison Blanche le 8) exposant les aspects pratiques et les intentions de cette politique, les commentaires français ont pu immédiatement porter sur cette notion de redressement moral. Par exemple les Échos datés du 9 juillet titraient avant même le discours officiel : " Bush veut moraliser les affaires ".

Aux États-Unis même, la chose est plus précise. Le chef de l'exécutif lance une série d'initiatives tendant à mieux encadrer le marché financier et à réglementer l'action et la vigilance des conseils d'administration des grosses sociétés cotées en Bourse. On va injecter par exemple 20 millions de dollars supplémentaires dès cette année, qui deviendront 100 millions de dollars en 2003 et permettront de recruter 100 nouveaux enquêteurs et de développer les moyens techniques de la SEC, petite administration qui dispose déjà de 4 500 agents. L'autorité de police des marchés sera d'autre part renforcée par de nouvelles obligations légales imposées aux dirigeants et aux administrateurs des sociétés.

La morale c'est cependant autre chose que le Code pénal.

En France, depuis 1935, nous sommes ainsi soumis à un curieux concept d'abus de biens sociaux, inventé par un décret-loi du gouvernement de l'époque (1) puis confirmé par la loi de 1966 sur les sociétés commerciales. Ce concept très extensif permet des investigations fiscales et policières hors de proportion avec son objet initial qui était de protéger les actionnaires minoritaires contre des dirigeants tout puissants.

Cet instrument discrétionnaire entre les mains des juges d'instructions et de quelques autres fonctionnaires français tient lieu de morale dans l'esprit des journalistes de la pensée unique. De la sorte, l'idée que l'on puisse, enfin, après tant d'années d'excès de pouvoir et de détentions préventives arbitraires, réformer la définition de l'abus de biens sociaux, ce que demandent, pour des raisons fort différentes, et les chefs d'entreprise et les politiciens, est tenue pour une sorte d'offense aux principes les plus sacrés (2).

En réalité, la question de l'éthique fondatrice, dans une économie de liberté et dans une société de responsabilité, va évidemment bien au-delà de la SEC américaine et de ses moyens d'investigations, de la COB française et de la définition de l'abus de biens sociaux.

Pour faire court, nombreux sont les moralistes et les philosophes improvisés qui voudraient faire comme si la morale économique et le Code pénal pouvaient ne résulter que d'une transposition collective évidente du Décalogue (3). Aucune personne avertie ou sensée ne peut souscrire à un tel raccourci. Non seulement, en effet, la Loi de Moïse remonte à plus de 3 000 ans, non seulement les hommes n'ont pas cessé de se déchirer précisément sur son interprétation mais le très simple énoncé " tu ne voleras pas " ne s'applique pas à la vie des affaires.

Si nous regardons par exemple le tableau des participations individuelles dans le capital de Vivendi (4) nous découvrons que M. Messier y figure pour un paquet colossal. Certes ces actions n'ont pas été volées au sens du Décalogue ni dérobées au sens du Code Pénal. Elles ont été acquises par un procédé légal appelé en franglais stock options, c'est-à-dire qu'elles résultent d'un droit d'acquisition préférentiel accordé aux dirigeants d'entreprises. Dans le cas précis ce sont les actionnaires qui semblent avoir été floués. Ailleurs, ces options en capital peuvent léser plutôt les salariés ordinaires. Mais ni le Décalogue ni sa lecture par certains littéralistes ne peuvent vraiment servir, ici, de base au Droit pénal des affaires.

Le problème immense des fondements moraux de notre société, du droit de propriété, du sens des libertés et des responsabilités, reste intact. Il ne sera sans doute résolu par aucun discours circonstanciel d'aucun homme de l'État, si bien intentionné et politiquement correct soit-il.

JG Malliarakis © L'Insolent
Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent... Utiliser le Moteur de recherche

(1) On frémit à l'idée qu'il puisse s'agir du 4 Gouvernement Laval investi le 7 juin 1935. Il faut, comme toujours, consulter à ce sujet Beau de Loménie. Et Bingo ! Le tome V des Responsabilités des Dynasties Bourgeoises, nous explique au chapitre "L'Apogée de Laval", ce que furent ces décrets-lois à partir du 17 juillet.

(2) La notion d'amnistie subit elle aussi une atteinte de cette nature : les socialistes pour se l'être appliquée à eux-mêmes accusent la droite de leurs propres turpitudes.

(3) Rappelons aux laïcs totaux qui nous lisent qu'on entend par là l'ensemble de 11 séries de préceptes, figurant successivement dans le chapitre XX de l'Exode et dans le chapitre V du Deutéronome, regroupés en 10 commandements de manière différente selon les confessions (juifs, chrétiens orthodoxes et calvinistes, d'une part, ne les regroupent pas de la même façon que les catholiques romains et leurs adversaires luthériens, d'autre part) énoncés dans un texte dont la rédaction définitive est certainement postérieure à l'Exil (586-538 avant J.-C.). Cette loi, qui est assez claire pour l'homme individuel, — dès lors qu'elle est complétée et éclairée notamment par le chapitre XIX du Lévitique, et, pour les chrétiens, par certains passages de l'Évangile — cette loi, qui constitue peut-être la plus lumineuse des règles de Vie personnelle, n'a jamais pu être transposée durablement dans le Droit positif, pour les sociétés humaines : la Morale c'est autre chose que le Code pénal.

(4) D'après un tableau publié par Les Échos en date du 3 juillet, le nombre des titres de Vivendi Universal détenu par M. Messier est passé de 152 090 titres au 31 décembre 2000 à 592 810 titres au 31 décembre 2001. Il était, de loin, le plus gros détenteur individuel siégeant au Conseil d'administration, avant Pierre Lescure 54 033 titres et Edgar M. Bronfman passé de 92 672 titres au 31.12. à 888 titres au 31.12.2001.

Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent ... Utiliser le Moteur de recherche
Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis • en souscrivant un abonnement payant
xiti