COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 12 JUILLET 2002
LE 28e ÉTAT EN MAUVAIS ÉTAT
28e candidat, la Turquie aura beaucoup de mal à s'asseoir à la table de l'Europe.
Depuis le début du mois de mai, la Turquie, 13e candidat à l'Union Européenne, mais candidat de 3e catégorie, est plongée dans une crise qui pourrait paraître fortuite.
Cette crise se focalise sur la maladie chronique de son Premier ministre, M. Bülent Ecevit âgé de 77 ans, qui non seulement s'accroche au pouvoir mais vient de propulser au rang de ministre d'État son épouse de 81 ans, chef de son parti.
Le parti de M. Ecevit est le représentant turc de la sociale démocratie et de la république laïque dont il a la concession exclusive. Mais comme le dit un commentateur local, le parti qui est né il y a 20 ans comme une affaire de famille est en train de mourir comme une affaire de famille.
Jusqu'ici le parti social démocrate de gauche comptait 128 députés sur 550. Il formait le principal groupe parlementaire au sein de la Grande Assemblée Nationale d'Ankara instituée par Mustafa Kemal. Il était donc logique et constitutionnel que le chef du gouvernement soit issu de ses rangs. Or, depuis quelques jours plus de 40 députés et plusieurs ministres ont démissionné. Le 11 juillet, c'était au tour du ministre social démocrate Ismaïl Cem, leur chouchou de l'oligarchie mondialiste de quitter son poste de Ministre des Affaires Étrangères et de s'avouer pour chef d'une dissidence gardant in extremis dans la place le Ministre des Finances afin de sauver la Bourse d'Istanbul avec l'accord du chef nominal de l'État. Or cette dissidence a elle-même eu pour effet de placer en tête des groupes parlementaires le second parti de la coalition. Celui-ci compte 127 élus. Il est aujourd'hui dirigé par un personnage des plus inquiétants, M. Bahceli, célibataire endurci, et dont le mouvement habituellement appelé mouvement des Loups Gris porte aussi le nom de parti nationaliste MHP (1). Cette appellation comme sa revendication de tout l'espace racial turco-mongol, allant (selon la théorie du pantouranisme) de l'Adriatique à la Muraille de Chine, coïncide assez mal avec les critères sur lesquels, habituellement, l'Europe fonde ses propres institutions.
Désormais principal parti turc, le parti nationaliste MHP a l'habileté de ne pas demander le pouvoir pour lui mais de suggérer qu'une réunion extraordinaire de l'Assemblée Nationale en septembre pour aboutir à des élections anticipées en novembre. Ceci conduirait sans doute à une solution de la crise aux alentours de janvier 2003. À cette date la présidence de l'Union Européenne sera exercée par la Grèce et l'Europe devrait avoir tranché, fin décembre à Copenhague sur les questions essentielles de l'élargissement remettant à beaucoup plus tard (2) l'hypothèse d'une entrée de la Turquie.
Ce scénario, comme d'ailleurs la présence apparente de l'homme soi disant de gauche que serait Ecevit à la tête du gouvernement depuis 1999, c'est ce que veulent les Américains. C'est surtout ce que semble désirer l'État-Major d'Ankara centre incontournable du pouvoir, et auquel le parti nationaliste MHP a toujours servi, dès son apparition comme mouvement des Loups Gris dans les années 1960 (3), à la fois de force d'appoint politique et de relais avec le monde des narco-trafiquants et des confréries mafieuses turques.
Pendant ce temps-là, le taux d'intérêt sur le marché financier turc est de l'ordre de 80 % et le dollar représente la bagatelle de 176 millions de livres turques. L'inflation des dernières années a eu pour effet de rendre les fonctionnaires d'autorité encore plus corruptibles puisque leurs rémunérations ont fondu. C'est un phénomène bien connu du Tiers-monde et dont on a perdu l'habitude en Europe.
Reste alors la toute puissance de l'armée, omniprésente dans la société, première infanterie de l'Otan et dont le rôle est essentiel dans la stratégie américaine au Proche-Orient, par exemple face à l'Irak.
Tout cela converge, peut-être, avec certains calculs stratégiques américains éventuels à courte vue mais cela devrait convaincre l'Europe de renoncer à accueillir un jour comme 28e État-Membre la Turquie. Mais n'est-ce pas tout simplement parce que cet honorable candidat n'est pas un pays européen ?
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(1) En turc : Milliyetçi Hareket Partisi (parti nationaliste du mouvement).
(2) Soit, en tout état de cause, après l'intégration des 10 pays actuellement considérés comme en voie d'admission à l'horizon 2004, puis, dans une seconde étape des 2 candidats (Roumanie et Bulgarie) dont l'économie semble encore trop éloignée des critères de Bruxelles.
(3) Sous la houlette du colonel Alpaslan Turkes, "basbug" du parti et membre de la junte militaire d'alors.
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