COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 18 JUILLET 2002
ON DOIT DIRE OUI À UNE VÉRITABLE RÉGIONALISATION
Si le gouvernement de M. Raffarin entend vraiment réaliser la réforme régionale de la France il devra arbitrer entre des tendances fort contradictoires.
La cause de la régionalisation est à l'évidence une cause essentielle pour assurer le renouveau de la France.
Et le 17 juillet à Nancy M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre a déclaré solennellement : "Nous préparons une grande uvre de décentralisation, levier d'une réforme de l'État".
Dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet, il avait déjà fait de la décentralisation au profit des régions l'un des grands thèmes de l'action de son gouvernement au même titre que la lutte contre l'insécurité et les baisses d'impôts et de charges.
Toujours mesuré dans ses formulations le chef du Gouvernement a ainsi annoncé aux élus lorrains : "Nous voulons travailler avec vous sur les initiatives qu'il nous faut prendre pour donner un peu d'oxygène à notre pays". On remarquera à ce sujet qu'il aura envisagé successivement les questions de décentralisation au niveau du département à Nancy, puis au niveau régional à Metz. En cette occasion l'ancien président régional du Poitou-Charentes a déclaré qu'il se rendrait régulièrement dans les régions dans les prochaines semaines pour "travailler sur les sujets de décentralisation et prendre contact avec les réalités territoriales".
L'avant veille à Annecy (15 juillet) c'est M. Jean-Paul Delevoye ministre de la Fonction publique et de l'Aménagement du territoire qui avait donné le signal de sa propre conception de la réforme régionale, la plaçant rhétoriquement sous le signe des "trois D : décentraliser, déconcentrer, déléguer", afin, disait-il de renforcer "l'attractivité" des territoires, garante selon lui de la croissance économique.
On pourra légitimement tenir pour assez représentatif du mépris centraliste pour les identités régionales d'avoir ainsi choisi Annecy. Voilà certes une bien belle ville. Mais elle n'est même pas la capitale historique de la Savoie. Et la Savoie n'a même reçu lors de la réforme de 1972 le statut de Région. Et son rattachement tardif à la France ne devrait pas non plus effacer le souvenir d'une appartenance continue et fidèle, pendant plus de 700 ans (de 976 à 1720) au Saint-Empire (1), puis de l'existence pendant plus de 150 ans d'un royaume de Savoie qui fut berceau de l'unité italienne, ceci sous les princes d'une seule maison historique devenue maison royale d'Italie.
M. Delevoye a donc demandé à l'immuable et technocratique Datar de se préparer à "réfléchir et anticiper une nouvelle étape de la décentralisation". Il envisage lui-même ce qu'il appelle seulement une "simplification" des lois Chevènement (25 juin 1999), Voynet (12 juillet 1999) et même de la loi SRU de M. Gayssot "pour les rendre plus lisibles". "Décentraliser les pouvoirs et les compétences, déconcentrer les services à certaines collectivités locales, déléguer (des pouvoirs) avec une certaine liberté financière".
C'est un programme régional très limitatif.
M. Delevoye d'ailleurs va jusqu'à distinguer, en France, entre les territoires "à forte valeur ajoutée" et les "territoires vieillissants, condamnés à vivre de la solidarité nationale". Ceci peut évidemment conduire aux excès redistributeurs bien connus.
Beaucoup plus ambitieuse peut paraître la réforme envisagée par M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Ce 17 juillet, à Paris, il annonçait le lancement de "22 états généraux de la décentralisation dans les 22 régions" que compte la Métropole et il déclare souhaiter que la réforme annoncée de la décentralisation puisse être aussi votée par la gauche.
Le ministre a cité "quatre droits fondamentaux" envisagés :
1. inscription de la région dans la Constitution à égalité avec le département et la commune ;
2. droit à l'expérimentation ;
3. garantie de l'autonomie de leurs ressources financières ;
4. et droit au référendum local.
Tout cela irait évidemment beaucoup plus loin. Et le 3e point est explicitement en contradiction avec d'autres déclarations de M. Delevoye réclamant une notion de péréquation des ressources entre régions pauvres et riches, en vertu de la plate affirmation typique d'une pensée socialiste : "Plus vous donnez de liberté aux régions, plus les régions dynamiques vont être dynamiques, plus les régions plus faibles seront plus faibles et cela impose à l'État la correction de ces disparités et de ces inégalités, c'est-à-dire la péréquation" (Delevoye sur Radio Monte Carlo le 17 juillet).
Sans considération de personnes, sans chercher à savoir quelle sympathie méritent respectivement les deux ministres, issus du même parti, il est clair que la doctrine Devedjian est préférable à la doctrine Delevoye et qu'il faudra être attentif aux choix qu'opérera sur ce point le gouvernement.
Il n'est d'ailleurs pas exclu rêve tout haut M. Devedjian que la gauche vote le texte, car, dit-il à juste titre : "la décentralisation transcende la gauche et la droite. Il y a des décentralisateurs dans les deux camps et il y a aussi des conservateurs dans les deux camps".
Au-delà de telles considérations il nous semble urgent que la France entreprenne une réforme régionale la plus ambitieuse possible incluant notamment aussi la fusion des compétences des actuelles régions et des départements.
Mais, si le gouvernement de M. Raffarin entend vraiment réaliser la réforme régionale de la France, il devra arbitrer rapidement entre des tendances fort contradictoires pour ne pas dire radicalement antagonistes.
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