COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 30 JUILLET 2002
IL PARAÎT QU'ON NE RIGOLE PLUS AVEC LA LANGUE DE MOLIÈRE
Je ne comprends pas : je n'achète pas. Question de bon sens et non de contrainte.
La fameuse loi Toubon faisant, en France, de l'usage de la langue française une obligation n'en finit pas de partager les gens les mieux intentionnés. Rappelons en effet que cette loi du 4 août 1994 fait partie de notre droit pénal.
La loi Toubon ne se situe pas dans le registre du bon goût et du respect du lecteur français : La loi Toubon se situe, d'emblée, dans la technocratie, dans la contrainte et dans la répression.
On rappellera d'ailleurs que son mécanisme produit des effets pervers puisqu'il engendre une subvention, au-delà même d'une quelconque préférence nationale, pour le rap francophone plutôt que pour l'opéra russe ou italien, le fado portugais ou le flamenco espagnol. En Belgique, pour contourner une législation analogue et aussi absurde, on joue systématiquement une uvre aussi immortelle que franco-belge, L'Internationale, paroles d'Eugène Pottier et musique de Pierre Degeyter, exécutée en public pour la première fois en 1888 et qui a fait le tour du monde sanglant que l'on connaît (2).
Or, une affaire de gros sous opposait, depuis 1997, le groupe franco-français Casino à la bureaucratie de la Direction des Fraudes.
Celle-ci avait repéré des bouteilles de coca-cola acquises non pas auprès de Coca-Cola France mais au Royaume-Uni et étiquetées en anglais. Le tribunal de Saint-Étienne avait condamné, le 18 novembre 1997, l'acheteur du groupe Casino à 501 amendes de 50 francs français pour infraction à la règle de l'étiquetage en français et à 5 amendes de 2 000 francs français pour étiquetage trompeur.
Il existerait en effet une tromperie à imprimer Coca-Cola Diet en anglais plutôt que Coca-Cola Light, qui est considéré comme l'appellation française (!) du même produit.
On ne rigole plus avec la langue de Molière.
Eh bien, le groupe franco-français Casino ne s'est pas laissé faire et il a obtenu qu'une question préjudicielle (3) soit portée devant la Cour de Luxembourg, gardienne et constructive de l'ordre juridique européen, en interprétation de l'article 30 du Traité de Rome.
Reconnaissons que même en ayant l'habitude de la littérature juridico-communautaire, le texte plus ou moins francophone de l'arrêt CJCE du 12 septembre 2000 est d'une consultation légèrement migraineuse.
Retenons-en, à la fois, que la Cour de Luxembourg ne juge pas le principe d'une législation nationale en matière d'étiquetage contraire au Droit européen, mais que l'obligation stricte d'un étiquetage en français viole les traités et le droit dérivé. Autrement dit, les poursuites et les condamnations ubuesques contre Casino et son acheteur de boissons sont nulles et non avenues.
Certains prendront sûrement cette affaire pour un outrage à la langue française. Presque 2 ans après l'arrêt de Luxembourg du 2 septembre 2000, la France n'a pas régularisé sa propre réglementation (4). Ce retard a entraîné le 25 juillet ce qu'on appelle un Avis Motivé de la Commission européenne. Un tel avis motivé va être présenté à son tour comme une atteinte intolérable à la souveraineté française.
La seule chose dont on est en droit de s'étonner est que les syndicats et les organisations de consommateurs français, au lieu de pleurnicher et d'en appeler à plus de contrainte ne lancent pas tout simplement une campagne sur le thème : Je ne comprends pas, je n'achète pas.
Nous n'avons pas à demander plus d'interdiction.
Nous avons simplement à dire que même si nous comprenons en gros telle ou telle langue étrangère (5), nous en maîtrisons rarement toutes les subtilités techniques. Nous devons donc faire comprendre aux fabricants et aux commerçants que pour vendre en France il est préférable de s'exprimer en français.
C'est une question de bon sens. Ce n'est pas une question de contrainte.
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(1) Loi 94-665 complétée par le décret d'application n° 95-240 du 3 mars 1995.
(2) Il est vrai que c'est au chant de La Marseillaise, non moins francophone, et non de L'Internationale, que Lénine fut accueilli à Petrograd en 1917 à son retour d'exil.
(3) Question préjudicielle demandée par la Cour d'Appel de Lyon dans son arrêt du 16 septembre 1998
(4) Alors même que la représentante du Ministère français des Affaires étrangères, Mme Rigal, avait reconnu au cours des débats de l'année 2000 la non-conformité de la réglementation française au regard du Droit européen. Cf. la procédure CJCE C 366-98.
(5) Et, n'en déplaise à M. Allègre, l'anglais en est une.
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