COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MERCREDI 11 SEPTEMBRE 2002
POUR UNE PRIORITÉ AUX PROBLÈMES DE L'EUROPE ET DE LA FRANCE
De Catanzaro à Sangatte en passant par New York : les réponses données à Paris sont dramatiquement déconnectées du réel.
En ce moment, à peine assourdis par l'écho d'inondations dramatiques en Europe, tous nos médiats, occidentaux comme hexagonaux, bruissent au rythme de deux impulsions.
D'une part, nous nous voyons sollicités par la commémoration, bien compréhensible, de l'incroyable et monstrueuse agression dont a été victime la Nation américaine le 11 septembre 2001. Et nous nous y associons légitimement. D'autre part, on nous assaisonne l'esprit d'un débat autour des préparatifs d'une guerre semblant se dessiner, 12 ans après l'opération Tempête du Désert, dans un premier temps contre l'Irak et, fort probablement ensuite, contre tout ce qui, dans le Proche Orient, sera assimilé, à tort ou à raison, au terrorisme islamo-salafiste.
Il serait ridicule, et à certains égards odieux, de soutenir que tout cela ne nous concernerait pas. Après tout, M. Chirac a bien reçu un appel téléphonique du président des États-Unis, au même titre que M. Poutine ou que M. Jiang. Ce dernier s'étant surtout préoccupé de l'incidence sur le prix du pétrole ne nous semble pas le moins réaliste. Cela tient-il au caractère existentiel de la pensée chinoise ? J'avoue être incapable de donner à cette immense question une réponse trop péremptoire.
Ce qui me frappe en revanche, c'est le caractère très abstrait, affreusement et dramatiquement déconnecté du réel, des réponses données à Paris. Car, de toute évidence, ni la France seule, avec son ridicule petit budget militaire (1), ni même l'Europe des Quinze, au sein de laquelle on a joué une fois de plus chacun pour soi, c'est-à-dire l'Otan pour tous, ne sont à l'évidence en mesure de peser sur les événements en cours de préparation. Ce serait déjà beau si nos services policiers, qui ne sont pas mauvais, et nos appareils judiciaires étaient vraiment en mesure de déjouer les plans terroristes sur nos territoires respectifs et de coopérer efficacement à en liquider les activités et les soutiens logistiques.
En vérité, nous devons reconnaître que nous n'avons même pas à nous poser la question de ce qui est "juste" ou "injuste" dans le Proche Orient où nous avons abdiqué toute capacité d'agir.
Remarquons par exemple qu'en Afrique, où l'influence française, les moyens d'action et les responsabilités européennes demeurent considérables, la question de la pertinence des soutiens financiers français (2) n'est jamais honnêtement posée. Les soi-disant "amis de l'Afrique" sont ici notoirement ses pires ennemis : se préoccupe-t-on à Paris des conséquences à long terme de cette évidence ?
Se préoccupe-t-on aussi, par exemple, de peser clairement, à Paris, dans le sens d'une solidarité européenne contre le dictateur du Zimbabwé, l'affreux communiste Mugabé que seule la Grande-Bretagne dénonce clairement sur la scène internationale ?
Alors pourquoi s'étonner que la même Grande-Bretagne, ne bénéficiant par vraiment de la solidarité européenne, là où cette solidarité devrait et où elle pourrait s'exercer, demeure singulièrement l'alliée fidèle des États-Unis qu'elle a toujours été depuis la réconciliation de 1873 et depuis l'intervention américaine aux côtés des Alliés en 1917 et en 1944 ?
Car l'Europe doit d'abord établir sa solidarité au sein de la famille des Nations qui la composent et elle doit le faire d'urgence, sur les questions qui regardent évidemment son avenir.
Comment ne pas évoquer immédiatement le problème de l'immigration ?
Formellement, depuis les accords de Schengen et depuis le Traité d'Amsterdam de 1997 l'évidence selon laquelle il s'agit bien d'un problème d'intérêt commun devrait s'imposer à tous. Et, bien entendu, cela ne comprend pas seulement la coopération policière dans la lutte contre les trafics d'êtres humains. Cela comprend aussi un alignement des législations et des réglementations.
Sans doute aiguillonné par les résultats électoraux du 21 avril, le nouveau gouvernement de Paris a ainsi confié à son ministre de l'Intérieur la tâche d'une politique française plus raisonnable, et donc plus restrictive, en matière d'immigration. Et face à l'incroyable pression de gens qui osent invoquer leur propre situation délictueuse (3), M. Sarkozy semble répondre de manière plus ferme que par le passé : 1° il affirme ne vouloir répondre aux demandes que sur une base individuelle ; 2° il ose poser le problème de savoir "de quelle immigration la France a besoin" (4).
Cela est sans doute mieux, mais ce n'est pas assez.
En Italie par exemple où le problème est très crucial, encore qu'à un moindre stade de pourrissement, le ministre de l'Intérieur M. Maroni a clairement énoncé (5) que la régularisation ne devra être accordée qu'aux seuls titulaires de Contrats de travail à durée indéterminée, c'est-à-dire aux gens dont l'économie italienne a vraiment besoin. C'est aussi en vertu de cette même doctrine que l'Allemagne s'oppose, depuis le milieu des années 1990 à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, en faveur de laquelle la France milite seule, par la voix de M. Juppé depuis les années 1994 et 1995, puis de l'actuel chef de l'État, très ouvertement depuis le Conseil européen de Luxembourg de décembre 1997.
Tant que nous ne saurons pas résoudre en Europe les questions qui se posent à tous les Européens, tant que nous n'aurons pas réussi en France à rétablir durablement la sécurité des Français, que signifient des prises de positions purement abstraites ?
Voilà la question que nous devons poser, comme citoyens et comme contribuables, aux princes qui nous gouvernent et aux intellectuels qui nous font la morale, à nos frais et à nos périls.
JG Malliarakis
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(1) 1,8 % du produit intérieur brut
(2) Ces soutiens financiers, que M. Chirac prétend porter à hauteur de 0,7 % du PIB vont, en fait, non pas aux peuples, non pas au développement, mais aux achats d'armes, aux dirigeants les plus corrompus, et par conséquent à la permanence de la misère.
(3) Se proclamer "sans-papiers" c'est reconnaître que l'on est un délinquant.
(4) Cela faisait la première page du Figaro ce 9 septembre.
(5) Cf. La Repubblica du 29 août. Depuis lors, il est à noter que les principales pressions ont été exercées par le ministre des Réformes Umberto Bossi qui menace, le 9 septembre, de quitter le gouvernement s'il n'adopte pas, sur cette question, une ligne dure voulue majoritairement par les électeurs italiens.
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