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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

JEUDI 12 SEPTEMBRE 2002

LES FONDATIONS AMÉRICAINES ONT ENCORE DE BEAUX JOURS DEVANT ELLES

Il est temps de permettre aux Européens de faire aussi bien que la puissante Amérique.

En ce 12 septembre où, à Manhattan, le chef d'État le plus puissant du monde s'adresse aux représentants des 190 divers États de la communauté internationale (1) il est nécessaire de rappeler que la puissance de la Nation américaine ne repose pas sur l'État mais sur l'initiative des individus.

Du point de vue économique, on a mis très longtemps à s'en persuader : il a fallu attendre 1991 pour que la plupart des gens sensés comprennent définitivement, on l'espère, que la propriété privée des moyens de production est la base d'un système incomparablement supérieur à l'appropriation par l'État. Encore, l'impopularité des grandes entreprises chez les intellectuels, les hommes politiques et les énarques français demeure-t-elle une valeur sûre.

Mais même si elle est obligée, sur le terrain, à son corps défendant, de convenir qu'en économie il fait effectivement jour à midi, la gauche (2) refuse absolument d'admettre que l'intervention des individus est, de la même manière, supérieure à celle des États dans les domaines artistiques, culturels, esthétiques et, tout particulièrement aussi sur le terrain de la compassion envers toutes les misères humaines.

La croyance sur laquelle reposent ce collectivisme de la solidarité et cet étatisme de la créativité mériterait sans doute un examen psychologique approfondi.

Reste à rappeler les faits.

L'initiative privée en matière culturelle et sociale c'est le rôle des Fondations. Ce mot est quasi incompréhensible sinon inconnu de la plupart des Français, puisqu'il est accaparé dans notre pays par un organisme parapublic opaque, la "fameuse" Fondation de France, dont le monopole a été organisé par une loi de 1987.

La législation américaine, au contraire, permet une activité intense aux fondations, c'est-à-dire à des institutions privées aux objectifs les plus variés, dotés de moyens financiers souvent considérables. La plus importante est aujourd'hui la fondation Bill et Melinda Gates. Elle a été créée par l'industriel actuellement le plus riche du monde. Et, en 2001, elle a pu distribuer ainsi 1,15 milliard de dollars à des initiatives philanthropiques. Elle est par exemple le 3 donateur mondial dans la lutte contre le SIDA venant après l'État américain (200 millions de dollars) et la France (127 millions de dollars) : la fondation Gates intervient pour 100 millions de dollars (3). À titre de comparaison on retiendra que Bill Gates est ex aequo avec la Grande Bretagne et qu'il donne 100 fois plus pour la lutte contre le SIDA que le Comité International Olympique (4).

Historiquement les fondations américaines, qui ont toujours existé, ont connu une évolution intéressante.

En 1913, Julius Rosenwald, président de la célèbre chaîne de grands magasins Sears et Roebuck pouvait théoriser une pratique qui demeure dominante aujourd'hui encore : sa fondation devrait être entièrement éteinte 25 ans après sa mort (5). De son vivant, il contribua à la création de 5 400 écoles pour les enfants noirs du Sud des États-Unis. Entre les deux guerres on estimait ainsi à 60 % les Noirs américains ayant accompli leurs classes primaires dans des écoles Rosenwald…

En 1996 à la disparition de son épouse Rhoda, héritière des fameux pantalons et textiles Levi Strauss, M. Goldmann décida d'accélérer le rythme de ses dons qui octroie chaque année (entre autres) un prix de 125 000 dollars à un champion de l'environnement sur chaque continent et il a planifié que ces fonds Goldmann seraient entièrement distribués dans les 10 ans qui suivraient son propre décès.

Un autre personnage, M. Charles Feeney, fondateur des chaînes Duty Free, que l'on voit dans les aéroports, va encore plus loin dans cette tradition. Il affirme hautement que les générations futures trouveront, à leur tour, les ressources pour résoudre leurs propres problèmes : en attendant, dit-il, résolvons les nôtres sans attendre. Le Wall Street Journal (6) rappelait d'ailleurs que ce milliardaire reclus de 70 ans s'était fait connaître en 1994 comme l'un des principaux donateurs américains du Sinn Fein irlandais. Sa fondation Atlantic Philanthropies distribue désormais 400 millions de dollars par an contre 100 millions en 1995. Bill Gates, âgé de 47 ans, dit exactement la même chose. De même la Fondation Soros Open Society Network qui intervient puissamment dans les Balkans et en Europe centrale (7) a prévu de disparaître pratiquement en 2010.

Cependant depuis 20 ans on a assisté à l'apparition d'une nouvelle tendance : certaines fondations recherchent une plus grande pérennité. La fiscalité américaine leur a même accordé en 1981 une nouvelle liberté : elles ne sont plus tenues de distribuer chaque année une somme au moins égale aux montants de leurs gains boursiers. Elles sont seulement tenues, désormais, à un minimum de distribution égal à 5 % de leur dotation.

Depuis cette réforme, les capitaux dont disposent les fondations américaines ont connu un essor considérable. Leur montant cumulé est passé de 47,6 milliards de dollars en 1981 à 486 milliards en 2000, ce qui leur a permis de distribuer 29 milliards sur l'année 2000.

Bien évidemment, le ralentissement économique et surtout le recul du marché des actions depuis l'automne 2000 ont eu une répercussion sur l'activité philanthropique des grandes fondations américaines. Ainsi le Wall Street Journal (8) signalait que " 8 parmi les 12 plus importantes fondations privées du pays ont réduit leurs dons l'an dernier ". Certes, mais les 3 plus importantes, Gates Foundation, Lilly Endowment et Ford Foundation les ont augmentés respectivement de 15 %, 2,9 % et 26 %. Quand on fait le total des 12 (où l'on retrouve les plus grands noms de l'industrie américaine) , ce que le Wall Street Journal omet de faire, on découvre que, de 2000 à 2001, les dons de ces 12 principales fondations américaines sont passés, malgré la crise de 4,437 milliards de dollars à 4,474 milliards. Cette progression s'explique précisément par le sursaut de fortes personnalités comme Bill Gates augmentant de 2 milliards de dollars la dotation permanente de sa propre fondation afin de l'inciter à agir plus efficacement encore dans le domaine de la santé.

Faire une description purement angélique, bien pensante et politiquement correcte de l'action de toutes les fondations serait dérisoire. Il reste que la vigilance des contrôles, eux-mêmes privés, est extrêmement forte. En août, par exemple, le Council on Foundations – qui est un des organismes coordonnant les institutions – déclenchait une enquête à l'encontre de la King Foundation de Dallas dont le président, petit-fils du fondateur, était soupçonné (9) de se verser des salaires disproportionnés.

Au bout du compte, même dans leur recherche de pérennité, les fondations privées sont un instrument essentiel du dynamisme et du rayonnement national américain. La multiplication par 10 en 20 ans de leurs moyens financiers donne bien la mesure du phénomène, plus encore que la simple augmentation du budget militaire.

Avec sa loi de 1987 qui, au contraire, annihile en France la liberté des fondations, notre malheureux pays, quant à lui, scie la branche sur laquelle il est assis.

Il est donc temps que se mette en place, au niveau européen, une liberté du même ordre – permettant aux Européens de faire aussi bien, et pourquoi pas mieux, que la superpuissance américaine.

JG Malliarakis

 

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(1) Les deux derniers arrivants de cette communauté d'États étaient la Suisse et le Timor oriental.

(2) – et malheureusement pas seulement la gauche…

(3) Ce qui représente moins de 9 % de l'ensemble des dons de cette institution.

(4) cf. Rapport de Kofi Annan aux Nations Unies en avril 2002.

(5) qui intervint en 1932.

(6) cf. Wall Street journal du 10 septembre.

(7) Georges Soros est d'origine hongroise.

(8) cf. Wall Street journal du 19 juillet 2002.

(9) et dénoncé par sa propre sœur.

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