COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 17 SEPTEMBRE 2002
POUR ROMPRE ET RÉPARER L' ÉTRANGE SILENCE DE L'OMERTÀ MUTUALISTE
L'effondrement du régime de répartition du CREF est significatif et annonciateur. On a tort de vouloir le dissimuler aux cotisants et aux citoyens.
(ci-dessus : M. Davant, président de la FNMF scelle la réconciliation des mutualistes "humanistes" avec les communistes de la FMF)
On a beau avoir écrit trois petits livres sur la protection sociale, dont deux prédisant l'effondrement des régimes de répartition, et préconisant une réforme urgente, on éprouve, et j'éprouvais depuis le 31 juillet, un vague sentiment de "culpabilité" à ne pas avoir évoqué encore la crise actuelle du CREF.
"L'étrange silence des syndicats et du patronat" vient heureusement de faire l'objet d'un renvoi, en première page des Échos du 16 septembre, à un dossier en lui-même fort éloquent.
Cet excellent dossier (1) dit l'essentiel. Il ose rompre l'omertà mutualiste.
Seuls les grincheux esprits axés sur la polémique regretteront deux zones d'ombre :
1° En dépit de moyens d'investigation et d'archivage supérieurs aux nôtres, le dossier des Échos ne cite aucun nom de responsables, personnes physiques, de toutes ces manigances ;
2° Malgré un petit écho publié le 30 août le quotidien de l'économie n'avait pratiquement rien dit sur le sujet avant la date butoir imposée par le CREF expirait le 15 septembre. Les adhérents du système n'ont donc pratiquement disposé d'aucun élément susceptible de forger leur opinion.
De quoi s'agissait-il en effet ? Pour les 440 000 fonctionnaires adhérents de ce régime "facultatif" de retraites supplémentaires, la direction mutualiste avait décidé, pressée par une situation financière intenable, de passer en force de la répartition à la capitalisation.
À cet égard, les partisans du Mutualisme, étant des gens sincères, doivent bien réfléchir à ceci : une affreuse compagnie d'assurances privée entretient avec ses clients une relation contractuelle qu'elle doit honorer selon le principe fondamental du Code Civil : "Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur" (articles 1142 et suivants).
À l'inverse, la fiction juridique du Mutualisme actuel établit un lien qui n'est plus de nature contractuelle mais de nature corporative. L'Assemblée générale du machin est supposée avoir tranché au nom des adhérents. Ce n'est plus une affaire de contrat, c'est une affaire de démocratie statutaire, opposant éventuellement une minorité qui conteste à une majorité qui décide.
Dans le cas du CREF, l'évolution a pris son essor à partir de l'Assemblée générale du 30 octobre 2000, réduisant d'autorité (2) la valeur du point de retraite de 17 à 14%.
À ce sujet nos lecteurs et amis chercheraient sans doute en vain des lumières dans le bon vieux Canard Enchaîné, si friand pourtant de tout ce qui a trait à la vie quotidienne du fonctionnaire en exercice ou retraité, constitutif de son lectorat. Directement concernés, les adhérents de la FSU et de la CGT rencontreront à peine plus d'écho actif, non plus, sinon un vague conseil individuel dans leurs centrales syndicales. "Le CREF était et il est encore un régime facultatif" auquel la CGT et la FSU sont juridiquement étrangères. Bonjour Tartuffe de la FSU ! Bonjour Ponce Pilate de la CGT !
Le choix proposé aux adhérents du CREF, par une lettre incompréhensible opportunément envoyée en date du 31 juillet, se résumait à l'alternative suivante :
1° Ou bien ils rentraient d'autorité dans le nouveau régime "R2" de capitalisation qui leur est si brutalement "proposé".
2° ou bien ils devaient adresser une lettre recommandée avant le 15 septembre date butoir pour sortir du régime.
Mais dans ce cas :
Ils subissent une pénalité leur retirant jusqu'à 30 % des sommes versées : ils ont cotisé pour 100 F, ils repartent avec 70 ou 75 F.
Ils devront réintégrer dans leur revenu imposable pour 2003 tout ce qui leur sera remboursé en capital pour les 14 dernières années.
Or, malgré le caractère punitif de telles clauses, malgré les appels à demeurer dans le régime, lancés par les "contestataires" bien conformistes du comité de défense, plus de 40 000 cotisants sur 363 000 avaient envoyé leur demande de radiation.
Pourquoi ce régime était-il en perdition ? Pourquoi a-t-il fallu le réformer d'urgence, et "à la hussarde" ? Tout simplement parce que, géré au 2/3 en répartition il comptait déjà de moins en moins de cotisants actifs pour une proportion grandissante de retraités.
En 1999 Nombre de retraités : 67 000 pour 373 000 cotisants
en 2001 Nombre de retraités : 79 000 pour 363 000 cotisants
on retrouve ici, sur 2 ans, en petit, ce qui s'observe dans tous les régimes de répartition depuis quelque 20 ans. Mais le régime CREF, mutualiste et facultatif, ne bénéficie d'aucun soutien de l'État.
Sa crise radicale préfigure le sauve-qui-peut (4) qui interviendra inéluctablement dans quelques années quand le soutien de l'État, même occulté par les tuyauteries comptables inaugurées grâce à la CSG, ne sera plus tenable, ne sera-ce que parce que l'État aura de plus en plus de mal à assurer les pensions de ses propres agents dont il retient allègrement les " cotisations " sans les verser à aucune caisse.
Reste alors à bien comprendre les responsabilités du silence organisé autour de ce dossier.
Le CREF est un régime créé autour de l'ancienne MRIFEN, Mutuelle Retraite des Instituteurs présidée jusqu'en 1991 par Teulade, dont Mitterrand fit un ministre de la Sécurité Sociale en 1992 et dont Jospin fit le "contre"-rapporteur de l'avenir des Retraites en 1999 au sein du Conseil Économique et Social.
Dans nos archives : 18.1. Le Teuladisme a encore de beaux jours devant lui
on retiendra incidemment que cette "mutuelle retraite" avait cédé son bel immeuble de la rue de Solférino au parti socialiste.
Le produit CREF a été étendu, au-delà des instituteurs, aux autres fonctionnaires et notamment aux Postiers. Le CREF était jusqu'ici mis en avant comme une belle réalisation de la vieille FEN, Fédération de l'Éducation Nationale d'obédience clairement socialiste et de convictions philosophiques "très laïques". Cet univers a aujourd'hui pour porte-voix habituel M. avant, lui-même ancien syndicaliste des Impôts, et successeur à la présidence de la FNMF, Fédération Nationale de la Mutualité Française, de Teulade lorsqu'il devint en 1992 membre du brillantissime gouvernement Beregovoy.
Mais, "en face", parmi les raisons
du silence de ce qui tient lieu de "droite" et de ce qui parle
au nom du "patronat", on soulignera qu'un autre régime du même
ordre est menacé d'une remise en cause : la CRH, Complémentaire
Retraite des Hospitaliers créée en 1963 et qui regroupe 340 000
allocataires dont 110 000 retraités. CREF et CRH, en tout 780 000
personnes, se trouvent dans des situations très comparables.
Or, à la direction du régime CRH on retrouve le Comité
de Gestion des uvres Sociales des Hôpitaux publics. Dans
ce comité se congratulent, dans la bonne tradition du paritarisme (5),
la Fédération patronale des hôpitaux de France, la CGT,
Force Ouvrière, etc. Le produit retraite est géré en
partenariat avec les AGF, et il est gracieusement diffusé par les
centrales syndicales. D'année en année, depuis 1993, le CGOS
de ce régime n'a cessé de baisser ce qu'on appelle le
"rendement" du régime
(6), de 10 % à 6,75 % puis à
6,5 % puis à 6 %, etc.
Ces effondrements, aussi bien celui du CRH que celui du CREF, sont significatifs et annonciateurs. On a tort de vouloir le dissimuler aux cotisants et aux citoyens..
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(1) en pages 30 et 31 des Échos du 16 septembre.
(2) Pardon : démocratiquement !
(3) Regroupant 5 000 mécontents, ce "Comité d'information et de défense des sociétaires" du CREF a tenu son assemblée générale le 12 septembre.
(4) D'autant plus coûteux qu'il n'aura pas été préparé.
(5) Ce système d'inspiration littéralement "fasciste" fut notamment développé en Italie par le long gouvernement de Benito Mussolini (1922-1943). en France, sa première application d'envergure remonte à la Charte du travail de 1941. Depuis lors, complétant les conventions collectives de 1936, le paritarisme représente l'alpha et l'oméga de notre système social. C'est au nom du paritarisme que le "patronat", au nom des chefs d'entreprise, continue d'accepter le système par lequel les entreprises cotisent au nom de leurs employés, en prélevant sur leurs fiches de paye un "précompte", dans les systèmes monopolistes d'assurance maladie et d'assurance vieillesse.
(6) Rappelons à ce sujet que le calcul du "rendement" annoncé par un régime de retraite n'a rien à voir avec le calcul de la "rentabilité" du même placement. Considérée comme un placement, l'opération retraite rapporte désormais entre 2 et 2,5 %.
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