COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2002
LE FISCALISME DE l'ÉTAT CENTRAL FACE À L'EUROPE ET À LA RÉGION
Louis XI avait multiplié par 6 les recettes fiscales de l'État central : il est temps d'inverser la tendance.
Deux dossiers passent en ce moment entre les mains du gouvernement Raffarin. Ils peuvent sembler totalement techniques. Mais, en réalité, ils touchent au rapport historique de l'État-Nation à la construction européenne et à la question régionale.
Il s'agit :
d'une part, de l'évolution des fiscalités locales
et d'autre part de la renégociation à Bruxelles du taux de TVA applicable à la restauration.
Ce deuxième dossier s'est lamentablement embourbé du fait de l'impéritie des gouvernements français, Juppé puis Jospin et, aux dernières péripéties, des promesses aussi maladroites que démagogiques du candidat Chirac.
Au milieu des années 1990, il avait été convenu au plan communautaire que les États pourraient appliquer, à leur choix, le taux allégé de la TVA à certaines activités. C'est ainsi que la France a choisi de le faire en faveur des travaux d'entretien dans les immeubles d'habitations et c'est pour cela que nous payons 5,5 % de TVA sur une réparation de plomberie ou sur la facture d'un peintre en bâtiment au lieu du taux très lourd de 19,6 % (1).
Dans la pratique on a, bien évidemment, enregistré deux effets réels prévisibles.
1° Les travaux qui s'effectuaient au noir sont revenus dans le cadre de la légalité fiscale, du simple fait que la légalité devenait elle-même plus raisonnable.
2° En baissant de 14 % le coût des travaux pour les particuliers on a permis un essor indiscutable de l'activité artisanale du bâtiment. C'est une chose excellente, à ceci près que le nombre des artisans ne s'est pas développé miraculeusement en suivant immédiatement la demande et que beaucoup de petites entreprises se trouvent surchargées de travail (2).
On mesure clairement ainsi l'effet réel de la TVA. Cette invention "géniale" du fiscalisme français a étendu son ombre mortifère sur toute l'Europe mais non aux États-Unis.
Nous devons l'invention de la Taxation de la valeur ajoutée à un personnage nommé Maurice Lauré. Né au cours de la funeste année 1917, il accéda en 1945 au titre d'inspecteur des Finances, indispensable à la qualité de grand nuisible français. Il fut tout puissant à la direction des Impôts à partir de 1952 (3). Il inocula son venin à l'École Nationale d'Administration où il enseigna de 1949 à 1956. Puis, il bifurqua vers la banque. Il finit par diriger la Société Générale. Au soir de sa carrière il publia en 1993 un traité baptisé pompeusement Science Fiscale.
Selon sa théorie, la TVA serait indolore, et elle serait économiquement neutre, parce qu'elle est supportée par celui qu'il a appelé le consommateur final.
L'expérience de tous les métiers, et la vie de toutes les entreprises réelles, démentent absolument cette théorie : mais cette théorie, quoiqu'évidemment fausse, n'en demeure pas moins le dogme central du fiscalisme français.
Dans sa campagne présidentielle, M. Chirac (4), avait promis aux restaurateurs français qu'il ramènerait leur taux de TVA de 19,6 à 5,5. Immédiatement après l'élection, la presse conformiste chercha à faire croire aux Français que cette "juste revendication nationale" était bloquée par les vilains technocrates de Bruxelles. C'était évidemment mentir à nos compatriotes : la France aurait parfaitement pu, en son temps, faire bénéficier la restauration traditionnelle du taux réduit qui, horreur supplémentaire, s'applique à la restauration rapide pour les repas à emporter. La fibre patriotique et l'obsession anti-américaine ne font ici qu'un tour. À défaut de s'investir dans les grandes choses on appelait cela du gaullisme fibre patriotique et obsession anti-américaine se concentrent aujourd'hui sur les petites. C'est cela le chiraquisme.
Aux dernières nouvelles, il paraît que le chef du gouvernement M. Raffarin va se rendre, sinon à la commission d'armistice de Wiesbaden, du moins à la commission de Bruxelles et revenir bientôt, négociateur glorieux, auréolé des concessions qu'a déjà promises M. Romano Prodi.
On voit donc combien la substance nationale, et gastronomique, peut tirer profit d'un tel dossier fiscal.
Or, au même moment, on redécouvre qu'en France la fiscalité des collectivités locales n'est pas non plus n'importe quelle petite affaire.
Depuis toujours la redistribution de l'État central a eu la prétention, pas toujours vérifiée, d'aider les régions pauvres aux frais des régions riches. La réalité a toujours été moins simple. À la fois l'Ile-de-France paye arithmétiquement pour la plupart des régions, mais simultanément aussi la toile d'araignée parisienne renforce son maillage, chemin de fer d'hier, TGV d'aujourd'hui, lignes aériennes intérieures, etc. Les universités, les grandes écoles, la hiérarchie judiciaire mais aussi la presse, les médiats audiovisuels reproduisent et glorifient un schéma centraliste surclassant tout équivalent en Europe.
S'y ajoute, depuis le Rapport Sueur de 1998 une volonté affirmée et délibérée de faire payer les communes qualifiées de riches au profit des communes considérées comme pauvres et déshéritées. Cela s'est traduit, depuis lors, par des législations portant la marque de M. Chevènement puis celle de M. Gayssot.
À ces horribles et destructrices péréquations, il est d'autant plus urgent d'apporter le correctif d'une libération fiscale que la fiscalité locale proprement dite est de plus en plus prise en charge par l'État.
Le taux d'étatisation des "quatre vieilles" (5) est ainsi passé de 21,2 % en 1993 à 31,4 % en 2001 (6). Ce taux a progressé de 10,2 points en 8 ans ! On estime ainsi aujourd'hui à 12 milliards d'euros la part des fiscalités transformées en simples dotations.
Si cette tendance se poursuivait, l'État central français absorberait toutes les compétences libérales des communes, régions et départements, lesquels ne seraient plus que des guichets redistributeurs de subventions.
Pour tenter d'enrayer cette monstrueuse avancée de l'assistanat inter-régional, on sera obligatoirement amené en France à revoir le Titre XII de la Constitution de 1958 et à reconnaître enfin le pouvoir fiscal des collectivités locales. Pouvoir fiscal ne veut pas dire ici : pouvoir de renforcer, à la marge, les taux d'imposition mais d'abord pouvoir de libérer les contribuables et les citoyens d'une partie significative de leur tribut.
S'il n'en était pas ainsi, si les futures Assises régionales des libertés locales (7) devaient aboutir à une impasse, alors on peut prédire une autre forme de démantèlement de l'identité nationale.
Le règne de Louis XI a multiplié par 6 les recettes fiscales de l'État central en France, entre 1461 et 1483. Cette brillante réussite a été poursuivie pendant plus de 500 ans : il est temps de l'inverser aujourd'hui. Elle a rencontré ses limites. "Peut-être" même les a-t-elle dépassées.
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(1) La fixation de ces deux taux très lourds, ainsi que leur écart, ne relève pas de l'Europe. Le taux très élevé de 19,6, et l'écart de 14,1 entre le taux dit normal et le taux allégé, remonte à une décision "souveraine" du gouvernement Juppé pendant l'été 1995 cf. Notre article de l'époque 22.6.95 Le Pari du ministre de l'Économie et des Finances
(2) Et ceci rendait encore plus inapplicable, dans ce secteur, la réglementation des 35 heures des Lois Aubry : M. Fillon ne peut pas faire moins que de procéder à la réforme minimale qu'il est en train de faire avaliser par le gouvernement.
(3) Il fut ainsi l'inventeur des polyvalents, contre les excès desquels se dressa le Mouvement poujadiste à partir de 1953.
(4) Je note que son actuel et brillant ministre, qui fut aussi son avocat, Me Patrick Devedjian, souligne à juste titre que M. Chirac est "plus rade-soque que gaulliste" propos rapporté par les Échos du 18 septembre.
(5) Les vieilles composantes de la fiscalité locale remontent à l'Ancien régime. Ce sont la patente devenue taxe professionnelle + la taxe d'habitation + la taxe foncière + le foncier non bâti.
(6) Chiffres de l'Observatoire des finances locales.
(7) Qui se découleront, en principe, échelonnées du 18 octobre au 18 janvier, en commençant par la Bretagne qui devrait donner le ton par la voix de M. Josselin de Rohan.
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