COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 19 SEPTEMBRE 2002
DISCORDS EURO AMÉRICAINS À PROPOS DU PROJET "TEMPÊTE DU DÉSERT 2"
Le numéro 2 de la plupart des scénarios hollywoodiens est généralement beaucoup moins bon que le numéro 1.
S'agissant aujourd'hui du débat central des relations internationales, c'est-à-dire des préparatifs d'une guerre contre l'Irak, beaucoup de considérations s'entrechoquent, beaucoup de contre vérités s'assènent et beaucoup de confusion empêche l'opinion d'y voir clair.
D'instinct, les peuples d'Europe continentale sont aujourd'hui hostiles à la volonté manifeste de la partie la plus dure du gouvernement des États-Unis. De Bush 41, Bush 43, son fils, s'est mis dans la tête de ne recommencer aucune des erreurs. Son discours aux Nations-Unies est fort clair. Il ne laisse aucun doute sur un désir encore plus évident dans tous les propos tenus depuis plusieurs mois par le vice-président Dick Cheney (1).
Cette volonté nous semble très éloignée de la cause des libertés. Il est manifeste que des organismes américains lucides, comme le Cato Institute par exemple, sont pour la plupart très réservés. Leurs critiques et nos inquiétudes coïncident, aussi, avec les orientations économiquement inquiétantes du gouvernement Bush tendant au protectionnisme industriel le plus archaïquement consternant et à un retour au déficit budgétaire.
Les choses sont bien différentes de l'époque où, en août 1990, Saddam Hussein s'emparant du Koweït menaçait de devenir le maître du marché mondial du pétrole. Après 8 années d'une guerre sans merci faite contre l'Iran, il effrayait les émirs qui l'avaient financé pour qu'il les protège, lui, le nationaliste arabe laïc, contre la révolution iranienne.
Depuis lors, en effet, il s'est produit de très nombreux bouleversements dans le monde.
Et on peut en citer deux qui dialectiquement se retournent, du moins dans l'esprit des Européens continentaux, contre les orientations actuelles des dirigeants américains, savoir :
1° L'effondrement du bloc soviétique à la fin de l'année 1991 qui avait commencé par le bombardement de Bagdad ;
2° L'agression terroriste islamiste du 11 septembre 2001 contre les tours de Manhattan.
Si on envisage d'abord ce dernier événement, celui au nom duquel les Américains se sentent totalement et sont globalement fondés à écraser ce qu'ils appellent "l'axe du mal", dans n'importe quel endroit du monde, c'est paradoxalement aussi ce qui suscite le plus le scepticisme européen continental, s'agissant de bombarder l'Irak. On ne voit pas le lien entre le 11 septembre entre le gouvernement irakien.
Le Premier ministre britannique Tony Blair a parfaitement compris la portée du malaise.
En juin, il passait encore pour un adversaire de la nouvelle opération Tempête du Désert 2.
Fin août cependant il faisait savoir de façon indiscutable que l'Angleterre resterait fidèle aux liens qui l'unissent à son ancienne colonie. (2)
Mais ni Tony Blair, ni Silvio Berlusconi non plus d'ailleurs, ne désirent se couper totalement du sentiment dominant des Européens, le gouvernement de Londres s'est avant tout attaché à trouver des justifications à la volonté américaine de frapper l'Irak, en cherchant à démontrer, notamment, que Bagdad serait une des Sept Tours du Diable terroriste. Cela répond, il est vrai, à une certaine logique. Bagdad, dans l'imaginaire médiéval, c'est Babylone. Et son calife est nécessairement le continuateur de Nabuchodonosor.
Le problème de cette démonstration c'est que "qui veut trop prouver ne prouve rien". Quant aux preuves, elles tardent à venir. On a attendu ainsi plusieurs mois (3) pour avoir une idée de ce qu'impliquait pratiquement, au-delà de l'émotion légitime, la doctrine Bush du 20 septembre 2001.
Souvenons-nous : le président des États-Unis prononça ce jour-là un discours fondateur. Il y renouvelait à sa façon la dialectique reaganienne dirigée contre l'Empire du Mal (communiste). Il inventait et inventoriait l'Axe du Mal (terroriste) associant en vrac la Corée du Nord, Cuba, l'Irak, l'Iran, la Libye, le Soudan et la Syrie. Malheureusement, les rapports officiels américains infirmaient complètement, et c'est l'évidence, tout lien entre les affreux Nord-Coréens ou Cubains et les nationalistes arabes. Et, d'autre part, si divers aspects terroristes sont bien clairement liés à certains régimes islamistes, on ne peut pas en dire autant de l'Irak (4).
Nos amis Américains ont ressenti une terrible douleur en septembre 2001. Et cette douleur n'est pas éteinte. Mais ils gagneraient certainement à méditer ce proverbe grec : "La douleur étrangère est un rêve" (5).
Le centre du monde est-il à New York ? C'est certainement ce que l'on pense dans de nombreux milieux (6), dont la puissance ne s'arrête pas aux frontières terrestres de l'Amérique, car il existe d'autres frontières médiatiques et financières qui déplacent les océans.
Seulement, même ces frontières-là n'empêchent pas la terre de tourner et de ne pas permettre aux hommes de l'État (7) de faire n'importe quoi au nom d'un événement tragique, certes, mais dont les responsables ne sont pas à chercher à Bagdad (8).
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(1) Au point que le ministre des Affaires étrangères, le général Colin Powell, a été contraint d'exprimer son désaccord.
(2) Ne croyons pas d'ailleurs qu'elle soit totalement isolée au sein de l'Europe des Quinze où le gouvernement italien, par la voix du ministre de la Défense, M. Antonio Martino, avait dès le départ exprimé l'hypothèse de participer aux bombardements (cf. La Repubblica du 8 septembre).
(3) cf. le Document "Panorama du terrorisme des États", émanant de l'Office de Coordination de la lutte antiterroriste américaine publié par le Washington Post en date du 21 mai 2002.
(4) La liquidation d'Abou Nidal au mois d'août à Bagdad renforce cette évidence.
(5) Les Grecs d'aujourd'hui ont pu très sérieusement mesurer, eux-mêmes, la portée de leur propre proverbe pour leurs propres causes nationales : celle de Chypre d'abord depuis 1974, celle de l'intangibilité des frontières balkaniques depuis 1991 Ces deux questions indiffèrent totalement aux autres Européens alors qu'elles paraissent au centre du monde, vues d'Athènes. Mais il y a bien longtemps que la patrie de Périclès a cessé de pouvoir s'imaginer le centre du monde. Les lecteurs de Thucydide savent même combien c'est, d'abord, cette croyance d'Athènes en son caractère de centre du monde qui l'a perdue, il y a 2 400 ans, pendant les 3 conflits étalés sur 30 ans que nous appelons la Guerre du Péloponnèse.
(6) Qu'on se souvienne seulement de l'étonnant éditorial de M. Colombani dans Le Monde : "Nous sommes tous des Américains".
(7) Et Georges Walker Bush en est un comme les autres, il en est même le plus puissant de tous. Si les mots ont un sens, il semble même qu'il dispose indiscutablement "d'armes de destructions massives."
(8) mais bien plutôt chez d'autres vieilles connaissances des Américains, entre la péninsule arabique et le Pakistan.
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