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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 20 SEPTEMBRE 2002

IL N'EST D'ÉTAT MONDIAL QUI TIENNE QUE L'ÉTAT MONDIAL PÉTROLIER

La question de la guerre d'Irak prend une coloration différente, vue sous l'angle pétrolier.

Il est sans doute bien loin le temps où Charles Maurras voyait, et saluait, en l'Église romaine " la seule internationale qui tienne ".

Aujourd'hui on pourrait dire, sans trop forcer le trait, que la seule Internationale qui tienne, au-dessus des prétendus "chocs de civilisations", se moquant de la prétendue "organisation des nations unies", c'est bien le pouvoir pétrolier mondial. C'est lui qui prélève et redistribue comme une sorte de fiscalité mondiale permanente les pétrodollars soutirés à la puissance productrice des économies. Et c'est aussi lui qui semble décider de la paix et de la guerre, comme un Super État mondial.

Car depuis les années 1920, le pouvoir pétrolier s'est bel et bien organisé très concrètement dans le monde à partir : 1° de la transformation de la compagnie turque des pétroles en Irak Petroleum Company en 1928 ; • 2° de la création du royaume saoudien autour de la secte islamiste des Wahhabites à partir de la prise de La Mecque en 1922, et de l'essor de l'Aramco, Arab-American-Compan ;• 3° de l'accord conclu en 1928, sous la houlette de sir Harry Deterding entre les trois principales puissances pétrolières du monde qui sont toujours la Shell Royal Dutch, la Standard Oil devenue Exxon et l'Anglo-Persian devenue British Petroleum.

Depuis lors, la seule internationale qui tienne semble toujours, après bien des péripéties, le pouvoir mondial du Pétrole.

• I Dans cette sphère pétrolière, un événement de la plus haute importance s'est produit ce 18 septembre sur les bords de la mer Caspienne. Il s'agit de l'inauguration à Bakou du chantier de l'oléoduc reliant les gisements d'Azerbaïdjan, pays représenté par le président Heydar Aliev, au port méditerranéen de Ceyhan, en Turquie, représentée à cette cérémonie par le chef de l'État d'Ankara, Ahmet Necdet Sezer. Le tracé de cet oléoduc passe par la Géorgie représentée par l'ancien ministre soviétique des Affaires étrangères Édouard Chevardnadzé aujourd'hui chef de l'État à Tbilissi. Pendant plusieurs années ce projet dit BCT (Bakou Ceyhan par Tbilissi) a été dénoncé par la Russie et par l'Iran. Il s'oppose à leurs intérêts. Or, pour être rentable, cet investissement de 2,95 milliards de dollars (1) nécessitera l'adhésion du Kazakhstan. Ce chantier devrait s'achever en 2005. Nul doute qu'il constituera dans les années à venir l'un des points névralgiques de la Planète. On notera par exemple qu'il franchira 1 500 rivières et qu'il sera vulnérable à n'importe quel sabotage terroriste sur 1 675 km, traversant les poudrières du Caucase et du Sud-est anatolien, foyers des insurrections tchétchène, abkhaze et kurde.

Ceci me semble de nature à donner un éclairage un peu différent de celui que l'on entend tous les jours à propos du marché pétrolier. La réunion ministérielle de l'Opep à Osaka montre une fois de plus l'inanité d'un schéma réduisant le débat à un simple conflit entre des pays consommateurs (qui seraient tous désireux de voir le prix du baril de brut redescendre au-dessous de 20 dollars) et des pays producteurs (qui seraient tous acharnés à dépasser les 30 dollars). En 10 ans, la Russie exportatrice a totalement changé d'orientation. Les Saoudiens ne sont plus les "toutous" de l'Amérique, etc. Et surtout les intérêts des Anglo-Américains, à la fois importateurs et producteurs, apparaissent désormais notablement découplés des intérêts des Européens.

• II La question de la guerre d'Irak prend, alors, une coloration différente, vue sous l'angle pétrolier, qui complète sérieusement les données d'apparence purement militaire.

Il y a quelque 12 ans, pendant la période qui sépara l'annexion du Koweït par Saddam Hussein en août 1990 du commencement des bombardements "mondiaux" sur Bagdad en janvier 1991, les citoyens et contribuables français étaient en face d'un vrai débat et d'un vrai choix : fallait-il ou ne fallait-il pas envoyer l'Armée française dans le Golfe participer à la croisade "mondiale" des 28 pays coalisés contre l'Irak ?

Cette question avait alors un sens. Elle impliquait la vie de soldats français. Elle dépendait, s'agissant de la politique extérieure du pays du rapport délicat entre le droit démocratique au débat d'opinion et la légitimité des diplomaties d'État. Avec le recul du temps, et malgré tout respect civique républicain, on ne regrettera pas d'avoir osé, alors, être en désaccord avec M. Dumas (2).

Aujourd'hui le problème se pose d'une tout autre manière : face au désir de G.W. Bush "43" (3) de finir le job de George Herbert-Walker Bush "41", deux pays au moins soutiennent, plus ou moins franchement cette idée. Ces deux pays sont l'État d'Israël (4), et la Grande Bretagne. Et cela lui suffit sans doute, s'agissant de parler au titre de "la communauté internationale".

Mais, dira-t-on, si des frappes doivent atteindre l'Irak, elles ne partiront physiquement ni d'Israël, ni d'Angleterre. Elles viendront géographiquement de deux émirats, le Koweït et le Qatar. Et elles viendront de Turquie (5).

• III L 'opinion éclairée n'est pas en Turquie favorable au principe de ces frappes (6). Depuis plus de 10 ans, tout d'abord, l'économie turque souffre terriblement de l'embargo frappant Bagdad, son plus important partenaire et voisin (7). L'État major turc est très inquiet, de plus, du scénario kurde réconciliant les deux fractions qui se partagent le nord de l'Irak : UPK de Talabani et PDK de Barzani. Tout se passe comme si Washington avait en vue l'indépendance du Kurdistan irakien, ce dont les conséquences seraient rapidement catastrophiques dans le sud-est anatolien où la rébellion marxiste léniniste du PKK a fait 35 000 morts en 15 ans (8).

Mais les Turcs ont conscience d'être en face d'un vaste projet géopolitique américain qui entend se mettre en place quoiqu'il arrive. À ce sujet, le discours de G.W. Bush le 12 septembre aux Nations-Unies ne laisse guère de doute : avec ou sans les 190 autres États de la communauté internationale, avec ou sans le général Colin Powell actuel secrétaire d'État américain, avec ou sans les Turcs, les Pakistanais, les Afghans, etc., sa religion est faite. Sa réaction aux concessions irakiennes connues le 17 septembre le confirme.

Alors la Turquie se prépare à l'hypothèse du conflit.

Cela entraîne non seulement l'économie turque et l'État major turc, mais aussi la classe politique turque. Le 3 novembre des élections à hauts risques aurait bien pu donner l'avantage aux partis islamistes (9). On n'a donc rien trouvé de mieux que de les écarter du droit de concourir à une compétition où se bousculent 23 partis, tous hantés par un seuil d'élimination de 10 %, des suffrages. Ainsi l'alliance américano-turque demeurera.

On remarque à l'inverse en Europe que les divers pays qui critiquent l'unilatéralisme américain, et notamment l'Allemagne et la France n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur une position commune.

• IV Si l'on veut bien mesurer, par ailleurs, à quel point les États-Unis tiennent peu compte des réserves de leurs plus fidèles alliés que sont les Britanniques et les Turcs, on peut se représenter ce que représentent les contorsions de gens qui ne leur servent à rien, comme les dirigeants français.

Sur le fond en effet la position française, hypocritement formulée, n'a aucun sens.

Ou bien on considère que l'Irak représente un danger, ou bien on ne croit décidément pas à ce danger en l'an de grâce 2002.

Si on ne croit pas au danger, on peut critiquer la guerre.

Si on redoute, comme le font les Turcs, les conséquences d'une guerre pour son économie, son unité nationale ou son électorat, on peut aussi demander à l'allié américain de ménager les pays qui seraient menacés par de telles conséquences.

Mais la France n'a pas à redouter une poussée islamiste aux cantonales partielles de 2003. Elle n'entretient guère que des intérêts économiques aujourd'hui insignifiants avec Bagdad. Elle ne peut guère, non plus, redouter que ce renforcement de l'autonomie kurde en Irak aboutisse à encourager le terrorisme corse, basque ou breton dans l'Hexagone.

Or, les dirigeants officiels français affirment presque tous voir en Saddam Hussein un ennemi de la France. Saddam Hussein est considéré – par les intellectuels qui pensent en France à la place des Français – comme un grand danger pour le monde. Bernard Kouchner, conscience de notre classe politique, l'a dit sans ambages et dans ces termes (10).

on connaît la chanson de la Puce de la Damnation de Faust (11), "si la puce nous pique écrasons-la soudain".

Si telle est donc l'opinion française que veulent dire toutes ces circonlocutions des courtisans français, pour retarder l'écrasement de la puce ?

JG Malliarakis

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(1) Dans le consortium duquel la France est représentée par TotalFinaElf.

(2) Dont on a appris, depuis, lors de ses fâcheux démêlés judiciaires, que les services admiraient la remarquable capacité d'improvisation dans des réunions où il n'avait étudié aucun dossier.

(3) 43 ce n'est pas un degré de pastis, c'est son numéro d'ordre dans la liste des présidents américains

(4) Qui était demeuré à l'écart de la coalition de 1990-1991.

(5) en utilisant notamment la base militaire d'Incirlik.

(6) cf. Éditorial du Daily News Turkish le 18 septembre.

(7) La Turquie estime ses pertes du fait de l'embargo entre 30 et 40 milliards de dollars.

(8) M. Selahattin Cakmakoglu, ministre turc de la défense déclarait en août que le nord de l'Irak est une région "séparée de force" de la Turquie et qu'elle est "sous protection turque". Interviewé par Die Zeit, le chef kurde Massoud Barzani a répondu immdédiatement : "Nous ne laisserons pas un millimètre de Kirkouk aux Turcs."

(9) Ils sont 2 : l'AKP de M. Erdogan et le Saadet Partisi de l'ancien Premier ministre déchu en 1998 sous la pression des militaires, M. Necmettin Erbakan.

(10) Le 16 septembre au Grand Jury RTL-Le Monde sur LCI.

(11) Une puce gentille chez un prince logeait/Comme sa propre fille le brave homme l'aimait/et, l'histoire l'assure/Par son tailleur un jour/Lui fit prendre mesure/pour un habit de cour/Mais ce qui fut le pire/C'est que les gens de Cour/sans en oser rien dire/Se grattaient tout le jour/Cruelle politique ! Ah plaignons leur destin/Si la Puce nous pique/Écrasons-la soudain !

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