COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MERCREDI 25 SEPTEMBRE 2002
L'ASSURANCE-MALADIE À L'HEURE DU RATIONNEMENT DU MÉDICAMENT
Ce 24 septembre, le bon Dr Mattei ministre de Santé communiquait sur une politique décidée au ministère des Finances.
Devant la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale, réunie ce 24 septembre, le gouvernement laissait communiquer son ministre de Santé, le Dr Jean-François Mattei. Saluons cette attrayante novation. Depuis qu'existe cette très consensuelle instance intitulée Commission des Comptes (1) le ministre mobilisé d'ordinaire était celui des Affaires sociales. En réalité, la chose est de peu d'importance. Car ces grandes séances sont seulement destinées à propager les mots d'ordres de la tutelle véritable, qui est celle de l'administration des Finances. On était donc appelé à se congratuler ce jour-là autour d'un plan d'économies se voulant "drastique" destiné à enrayer le dérapage incontrôlable des dépenses des caisses monopolistes de l'assurance-maladie.
Faut-il encore s'étonner, ici, que ce plan "drastique" vise une fois de plus le médicament ? On rappellera quand même que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale porte sur plus de 300 milliards d'euros. Sur ce montant, colossal, supérieur au Budget de l'État français, la branche maladie absorbe 120 milliards soit 30 %. Au sein de la branche maladie, les dépenses en médicaments représentent 15 milliards d'euros, c'est-à-dire 12 % des dépenses de l'assurance-maladie.
Enfin le poste sur lequel "on va voir ce qu'on va voir", c'est-à-dire les médicaments à SMR (2) jugé insuffisant, génère un chiffre d'affaires de 1,52 milliard d'euros : 11 % des dépenses en médicament, 1,3 % des dépenses maladies. On agit de la sorte sur 0,4 % de la loi de financement de la sécurité sociale.
Certes en 1999, les services du ministère de la Santé avaient entrepris d'évaluer l'efficacité des 4 490 médicaments remboursés par les caisses. La Commission de transparence évalua ainsi que 835 d'entre eux (en gros 1 sur 5) offraient un "service médical rendu" insuffisant. Aujourd'hui encore, ces traitements, toujours remboursés cependant sont au nombre de 650. En juin 2001, Mme Guigou, ministre des Affaires sociales, avait jugé préférable d'en baisser le prix arbitrairement plutôt que de cesser tout remboursement. Car le ministre de l'Industrie, M. Christian Pierret, avait alors fait valoir qu'on allait ruiner ainsi de sympathiques petits laboratoires familiaux français, ce qui aurait provoqué 5 000 pertes d'emplois.
Faut-il aller plus loin dans l'analyse du plan "drastique" de rationnement du médicament ? On se bornera à remarquer que ce plan est recommandé de longue date par le Lobby des Mutuelles présidée par ce bon M. Davant.
Ce que le Lobby des Mutuelles veut, dans notre république laïque et obligatoire, Dieu le veut.
Pendant ce temps, on se prépare surtout à voter, enfin, un Ondam (3) "réaliste". Pour la première fois depuis le mirifique plan Juppé de 1995-1996, une loi de financement de la sécurité sociale reconnaît que toute notion d'un Ondam "volontariste" est vide de sens. Mais alors que signifie l'expression d'un "Objectif national" des dépenses d'assurances maladie si cet "objectif national" devient une simple prévision passive de l'évolution des dépenses ?
Ne serait-il pas grandement temps de constater que, depuis l'année de sa mise en place par le gouvernement Juppé en 1997, que
A/ non seulement l'objectif national a toujours été dépassé
B/ mais l'a été de plus en plus :
de 1,4 milliard d'euros en 1998 ;
de 1,6 milliard d'euros en 1999 ;
de 2,7 milliards d'euros en 2000 ;
de 3,1 milliards d'euros en 2001 ;
de 8,1 milliards d'euros en 2002
C/ et qu'à l'arrivée les dépenses d'assurance-maladie seront passées de 91 milliards d'euros en 1997 à 121 milliards en 2002 : + 25 % en 5 ans.
La réponse du plan "drastique", c'est-à-dire le rationnement mesquin, n'est évidemment pas à mesure de l'enjeu.
Dire, d'ailleurs, qu'en 2002 le "déficit du régime général de l'assurance-maladie"sera évalué à 6 milliards d'euros et que celui prévisible sur 2003 sera de 8 milliards ne veut pas dire grand-chose.
Cela veut dire, certes, que les mécanismes brandis entre 1995 et 1997 pour mettre en place le "fameux" plan Juppé-Barrot sont déjà totalement périmés.
Mais on ne perdra pas de vue que la comptabilité des régimes sociaux n'est pas une comptabilité.
On demande aussi aux professions de santé de maîtriser des dépenses qu'elles n'ont aucun moyen d'évaluer : même un simple logiciel comptable permettant d'entrer le coût des prescriptions n'existe pas dans les ordinateurs des prescripteurs (4).
Et sur 10 ans, parfois 16 ans, de dures études, aucun membre d'aucune profession médicale ne reçoit de formation économique, juridique ou comptable qui serait de nature à répondre à cette demande de maîtrise des dépenses de formulée par les pouvoirs publics.
De qui se moque-t-on alors en sollicitant leur concours ?
Il est totalement malhonnête d'imaginer que l'État puisse maîtriser dans l'avenir, ou même simplement prévoir l'évolution de la consommation médicale. Prenons le seul cas de la démence sénile décrite en 1906 par le Dr Aloïs Alzheimer. Près d'un siècle plus tard, la France compterait actuellement 435 000 cas, environ 11 % des 4 millions de victimes dans le monde. Les dommages de cette affection dépassent de beaucoup le simple coût des soins apportés aux victimes. Il n'existe pas de vrai traitement médical. On parle, s'agissant du simple accompagnement des malades d'un coût oscillant entre 60 euros par jour et 4 600 euros par mois. Comment en prévoir l'évolution ? Et à vrai dire la charge véritable de cet atroce fléau est bien laissée aux familles. Sur un département comme la Côte-d'Or, qui compte à l'évidence plusieurs milliers de victimes de la maladie d'Alzheimer, il existe une unité de soins de 10 lits.
On commence aussi à mesurer les incroyables conséquences de la Loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades face aux maladies nosocomiales. Chacun sait, ou devrait savoir, que ces maladies font plus de victimes, environ 11 000 morts chaque année, que les accidentés de la route, environ 8 000. Mais si le battage médiatique et moralisateur est moindre pour l'hôpital que pour la violence routière, le coût des indemnités est comparable.
De plus, on a inventé une délirante "charge de la preuve" qui va coûter extrêmement cher aux établissements, à leurs assureurs, et en définitive, tant que les frais de l'hôpital demeureront à sa charge, à la sécurité sociale.
Répondre par le rationnement arbitraire et médiatique des soins et des médicaments, communiquer sur la hausse de 15 % des taxes sur le tabac, c'est vraiment démontrer que le système monopoliste français n'a plus rien à dire.
Ce système étatique est piloté non par le ministère de la Santé, ni par celui du Travail, mais par le ministère des Finances. Ce système étatique est périmé. Ce système étatique n'aura hélas ni la lucidité de voir qu'il est en fin de course, ni le courage d'organiser son évolution vers le libre choix, la responsabilité et la subsidiarité.
Ce sera donc à la société civile de se prendre en main en tournant le dos à ce système étatique.
Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent ...
(1) La prétendue Commission des comptes de la sécurité sociale rassemble à parité, et de manière purement formelle, les représentants de toutes les forces syndicales agréées, de toutes les caisses monopolistes, etc. Elle ne dispose d'aucun pouvoir.
(2) SMR = "service médical rendu".
(3) Ondam = Objectif national des dépenses de l'assurance maladie. Cette idée d'origine socialiste, baptisée Taux directeur au début des années 1990, a été inventée par le plan de MM. Juppé et Barrot en 1995-1997.
(4) Il n'est même pas certain que la mise en place d'un tel logiciel serait conforme aux principes juridiques sur lesquels repose l'assurance maladie telle qu'elle fut définie en septembre 1945.
Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent ...
Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis en souscrivant un abonnement