Le nouveau gouvernement allemand n'est pas encore constitué, que les commentateurs agréés affirment y voir déjà une influence accrue des Verts (1). Avec un peu plus de 8 % des voix, on les présente en France comme les grands vainqueurs du scrutin du 22 septembre, sans trop indiquer, d'ailleurs, de quels "Verts" on parle : S'agit-il du parti qui a imposé la dangereuse éco-taxe et liquidé le développement de l'industrie nucléaire allemande ? Ou, au contraire, du parti porteur du projet d'institutions européennes plus fortes et moins "intergouvernementales"? On vante le succès personnel de Joschka Fischer, mais de quel Joschka Fischer parle-t-on : celui des années 1970, qui ne rompit avec la Fraction Armée Rouge qu'en 1977 ? ou celui qui fait intervenir l'Allemagne dans l'Opération Kossovo en 1999 ? ou celui qui, contre l'aile gauche de son parti, impose en décembre 2001 la coopération antiterroriste avec les États-Unis ? ou au contraire, celui qui inspire la glaciation des relations américano-allemandes à propos de la question irakienne ?
La vérité paradoxale est que les hommes de l'État jouent et joueront un rôle marginal. Tout au plus "gâcheront-ils les meilleures ambiances". De Gaulle qui, sur ce terrain-là savait de quoi il parlait, disait : "L'ambitieux d'envergure se laisse porter par le flot sans prendre garde à l'écume."
Ainsi donc on nous promet que le cours des relations franco-allemandes va reprendre, après que Schroeder d'abord ce printemps, Chirac ensuite à l'automne, aient chacun espéré, en vain, au gré d'alternances électorales, trouver un nouveau partenaire de l'autre côté du Rhin.
Ils savent l'un et l'autre qu'ils sont mariés pour 4 ans, jusqu'aux prochaines élections allemandes ou françaises (2).
Rien de plus solide nous assure-t-on qu'un mariage de raison. Après l'émotion des Hymne à la Joie et des amitiés successives De Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt, Kohl-Mitterrand voici le temps d'un partenariat certainement moins sentimental. Un mariage tardif, après avoir expérimenté d'autres interlocuteurs, comme l'eût recommandé Léon Blum.
Finalement, Français et Allemands n'ont pas le choix.
Rappelons tout d'abord, au-delà des affinités culturelles, de quelle nature est le ciment actuel de l'entente franco-allemande. Il s'agit de très puissants intérêts économiques réciproques. Durablement, depuis 50 ans, les deux pays sont les plus indissolubles clients et fournisseurs par entreprises interposées.
Quelle magnifique illustration de la pertinence des analyses de Frédéric Bastiat il y a plus de 150 ans ! Ce ne sont pas les "pays"qui échangent : ce sont les hommes et ces réseaux de contrats que nous nommons des firmes ! La puissance de ces échanges s'impose alors aux gouvernements : sur les 100 entreprises les plus importantes de France et d'Allemagne, qu'elles fabriquent ou vendent du cognac, des pneumatiques ou des avions laquelle n'a pas comme principaux clients à l'exportation des clients réciproquement allemands ou français ?
Au contraire l'une des pierres d'achoppement les plus graves, celle sur laquelle se cristallise une sorte d'antagonisme franco-allemand résulte de ce qu'on appelle la Politique Agricole Commune. Cet ensemble assez ahurissant de réglementations et intervention ne prend pas en compte les intérêts réels des paysans réels. La PAC ne s'intéresse ni aux exploitants, ni aux propriétaires, ni aux familles, ni aux ouvriers agricoles, ni aux troupeaux, ni aux maisons : elle se préoccupe des "agricultures nationales". C'est exactement le contraire.
Fort heureusement cette PAC imposée par les dirigeants de l'État français en 1962, si difficilement réformée en 1992, n'est financièrement plus tenable : absorbant 50 % du Budget communautaire à 15, elle ne pourra plus maintenir le même niveau de subventions à 25. Les Allemands l'ont compris. Les dirigeants français s'accrochent à un passé d'agriculture productiviste qui a pourtant eu pour résultat remarquable de détruire et de dépeupler l'espace rural français.
L'insistante avec laquelle on nous présente la victoire de la coalition Rouge-Verte comme celle du parti de Joschka Fischer (4) tient peut-être à ce qu'on se prépare en Allemagne à tirer un trait sur le passé social démocrate, en commençant par liquider le caractère social démocrate de l'Europe institutionnelle.
En novembre 1959 à son Congrès de Bad Godesberg le SPD renonçait solennellement au marxisme. Il serait intéressant que ce même parti renonçât désormais aussi aux mirages de la Redistribution, de l'Assistanat et de tout l'attirail de la démocratie sociale.
Alors il permettrait de balayer les réticences compréhensibles de ceux qui redoutent un Super État bruxellois et les oppositions systématiques de ceux qui s'accrochent aux mirages d'une Europe strictement intergouvernementale.
JG Malliarakis
Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent ...
(1) Les Verts allemands disposaient de 3 ministères dans le 1er gouvernement Schroeder (1998-2002). Il semble qu'il pourraient en détenir 4 dans le prochain
(2) Respectivement en 2006 et 2007, en principe.
(3) Léon Blum avait publié en 1907 un livre sur "Le Mariage" qui fit quelque bruit lors de sa réimpression en 1937 par les éditions Albin Michel. "Je note simplement qu'il est fréquent d'aimer d'amour, y écrit-il page 82, son frère ou soeur" etc. Son successeur M. Lionel Jospin, s'il eût suivi ses conseils n'eût peut-être pas épousé la fort urticante Mme Agacinsky.
(4) Le parti écologiste n'a pourtant obtenu, face aux 38,5 % au SPD, que 8,6 % des voix contre 8,3 % en 1987 : + 0,3 en 15 ans = 0,02 par an.
...Pour commander le livre Sociologie du communisme ... ...Pour accéder au catalogue des Éditions du Trident
Revenir à la page d'accueil… Utiliser le Moteur de recherche… Accéder à nos archives…
Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis en souscrivant un abonnement payant