COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
LUNDI 30 SEPTEMBRE 2002
FAUT-IL CRAINDRE LE RETOUR DES DÉFICITS BUDGÉTAIRES EN EUROPE ?
Le meilleur investissement que pourrait faire la France serait de baisser les prélèvements obligatoires.
(Ci-dessus: d'étranges cyclistes à Amsterdam en juin 1997...)
Les familiers de la pensée de Lao Tseu aiment à dire que l'on gouverne un grand peuple comme on cuit des petits poissons dans une grande casserole. On la manie doucement. Ainsi, sans doute, les orientations de l'Europe, cette immense ensemble de plus de 378 millions d'hommes, assemblant aujourd'hui 15 États différents, avancent-elles lentement.
Cette lenteur, solennelle mais se disant déterminée, a eu ce 26 septembre pour brillant avocat le Premier ministre M. Jean-Pierre Raffarin. Sur France 2, pendant une heure et demie, faisant face à des journalistes, gauchisants et hostiles quoique payés par les deniers publics, il n'en était que plus sympathique.
Mais 3 jours après, sur Europe 1 ce 29 septembre, M. Alain Lambert, ministre délégué au Budget, donnait un autre éclairage. À l'entendre, le but du gouvernement serait de "réduire de nouveau les déficits dès 2004". Sur l'exercice 2003, l'État français en effet ne tentera même pas de réduire, ni le déficit de l'État (44,6 milliards d'euros contre 30,4 milliards programmés mensongèrement par les socialistes pour 2002 : 50 % de dérive) ni le déficit public d'ensemble (officiellement 2,6 % du PIB).
M. Lambert déclare que "la commission de Bruxelles veut la réduction des déficits, et le gouvernement (français) veut la même chose [ ] Mais quand un paquebot à pleine vitesse va à l'inverse de son cap, il faut d'abord l'arrêter pour lui faire retrouver le bon cap [ ] si le gouvernement précédent nous avait laissé des comptes en meilleur état, c'est-à-dire tels qu'il les avait prévus au début de l'année, nous aurions pu nous retrouver à l'équilibre en 2004 [ ] Le gouvernement précédent nous a fait perdre deux ans".
On est donc bel et bien en train de renégocier (1) non pas le principe mais l'échéance de l'équilibre budgétaire.
Que l'on soit d'accord sur ce principe, semble une avancée importante et salutaire, car cela passe par la diminution des prélèvements obligatoires et de la dépense publique en France. Nous partageons ici l'avis de ce fonctionnaire de la Commission européenne (2) savoir : "le meilleur investissement que pourrait faire la France, c'est baisser les prélèvements obligatoires et obtenir des marges de manoeuvre pour financer ses réformes".
Après des mois de négociations, c'est une annonce à Copenhague le 24 septembre de M. Romano Prodi qui a permis de conclure, non pas à une renonciation, mais une marche en avant du fameux Pacte de Stabilité. Désormais les grands États seraient tenus de prouver qu'ils diminuent chaque année de 0,5 point de PIB leur déficit structurel.
En apparence, les adversaires de la convergence monétaire parlent comme s'ils avaient gagné une bataille : l'objectif de ce qu'on appelle le retour à l'équilibre est passé d'une échéance de 2004 à une échéance 2006. Et les ministères des Finances français, italien et allemand, ont obtenu satisfaction sur ce point.
Qu'on ne s'y trompe pas cependant. À défaut d'adresser un avertissement aux grands États, et particulièrement à l'Allemagne, "cette bonne vache à lait qui donne du bon lait et à qui on devrait de temps en temps une caresse" selon l'expression du chancelier Schroeder, la Commission Européenne adressera un avertissement au petit Portugal. Au gouvernement de Lisbonne on reproche pourtant un déficit de 2,8 %, alors que celui de Berlin sera en 2002 d'au moins 2,9 %. Certains économistes l'évaluent aux alentours de 3,7 % et, selon nous, le déficit réel français sera du même ordre.
Qu'y a-t-il derrière cette évolution du pacte de stabilité ?
Il y a d'abord, et il faut la saluer, une évolution conceptuelle, une amélioration.
Lorsque fut signé en 1991 l'accord de Maastricht, il importait de définir quelques critères de convergence. Ceux-ci étaient destinés à empêcher que les États-Membres crée artificiellement, par le déficit ou l'endettement, de la monnaie. Rustiques, marqués par certaines conceptions technocratiques de l'économie et de la monnaie, ces fameux critères de Maastricht comportaient notamment la stabilisation relative du niveau général des prix, l'évolution vers un endettement qui devrait être ramené au-dessous de 60 % du PIB et, enfin, le critère qui a fait couler le plus d'encre : ne pas dépasser 3 % du PIB pour la somme des déficits des administrations publiques.
Pour ce qui est de l'endettement, si l'objectif n'est pas atteint, si un État-Membre comme l'État français, relativement moins endetté que les autres "au départ" a vu sa dette grimper, il n'existe plus désormais que 2 pays, l'Italie et la Belgique dont la dette explicite dépasse de peu 100 %. Il est vrai que la France ne comptabilise pas la dette jugée "implicite" de son système de retraites par répartition. Et on peut considérer qu'elle a raison de procéder de la sorte puisque l'État n'est aucunement engagé à voler au secours des caisses monopolistes en déconfiture.
Quant au déficit, le critère de 3 % concernant la mise en place de l'Euro. Jusqu'en 1998, le ministre allemand des Finances, le chrétien-social bavarois Théo Waigel insista pour que le niveau soit vite ramené à 1 %. on craignait alors beaucoup en Allemagne, que le poids des pays déficitaires et inflationnistes chroniques du sud, Italie, Espagne, Portugal, ne dévalorise, dilué dans l'euro, l'excellence du mark allemand et du florin néerlandais. Ceci aboutit donc au renforcement, par le Traité d'Amsterdam signé en 1997, des fameux critères de Maastricht. Il s'ensuivit le Pacte de Stabilité.
Parallèlement, en effet, on assista à une évolution assez remarquable dans la zone euro. Aux dernières estimations d'Eurostat et de la Bundesbank, voici comment se situeraient les déficits prévisibles pour 2002, compte tenu des difficultés de conjoncture (3) et du poids des inondations en Allemagne :
D'une part : 8 pays vertueux.
4 sont aujourd'hui excédentaires, la Finlande + 3,3 %,
le Luxembourg + 2 %, l'Irlande 0,6 % et la Grèce
0,3 %. 4 pays sont à l'équilibre : les Pays-Bas
0, l'Autriche 0,1, la Belgique 0,2, l'Espagne
0,2 (4).
on remarque ici que plusieurs pays, aujourd'hui "vertueux", reviennent de très loin.
D'autre part 4 pays demeurés déficitaires au-delà de 1 % : l'Italie 1,3 %, la France 2,6 % officiellement, le Portugal 2,8 % et enfin l'Allemagne au-delà de 3 %...
On remarque que les 3 plus grands États sont en infraction et particulièrement les 2 pays qui furent les constructeurs des critères, la France et l'Allemagne.
Ne nous méprenons pas sur l'annonce officieuse (5) que "Bruxelles desserre l'étau", comme s'il s'agissait d'une victoire de l'équipe de France de football. En réalité, les critères monétaires s'affirment et se précisent.
On peut même penser que l'étau se resserre. Et on pourrait se féliciter que, désormais, tout le monde s'accorde pour liquider les déficits à l'horizon de 2006, car ces déficits sont destructeurs.
La logique de Maastricht s'est révélé, à l'usage, très supérieure à la rédaction du traité. Mais cette logique aura mis 15 ans à l'emporter : de 1991 à 2006.
Ce n'est pas si mal si on considère que depuis 200 ans qu'existe en France une Inspection des Finances, les dirigeants et responsables français n'étaient jamais parvenus à démontrer aux Français les méfaits de la dépense publique excessive.
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(1) La réunion décisive pourrait être celle du conseil des ministres des Finances de la zone Euro le 7 octobre.
(2) Cité par le Monde daté du 17 septembre.
(3) "La croissance dans la zone euro ne dépassera pas 1 %" estimait la Commission de Bruxelles le 25 septembre.
(4) À noter que ce dernier pays considère le déficit comme anticonstitutionnel, ce qui ne peut que satisfaire les disciples de Hayek.
(5) Elle se trouvait en première page des Échos du 25 septembre.
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