COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 1er OCTOBRE 2002
À L'HEURE DE LA RENTRÉE PARLEMENTAIRE
Voici revenu le temps des godillots.
À la veille de la rentrée parlementaire on avait réuni à Paris, ce 30 septembre, les députés de l'UMP. Ils sont 365 sur une assemblée de 577 membres, et venaient avec eux les sénateurs affiliés à un parti qui s'appelle encore, lui-même, Union pour la majorité présidentielle.
Les propos qui leur ont été officiellement tenus ne laissent aucun doute sur la manière dont la nouvelle pratique bonapartiste entend faire fonctionner ce qui tient lieu de pouvoir législatif.
Le président de l'Assemblée nationale lui-même, M. Jean-Louis Debré a été on ne peut plus clair. Il a enjoint aux élus du peuple de renoncer à toute velléité de s'écarter de la voie tracée par le gouvernement : "Le rôle de l'UMP et d'abord de son expression parlementaire, consiste à soutenir, sans réserve et sans restriction. Aucune autre attitude, aucune autre posture ne serait politiquement comprise".
Quant au jeune secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, M. Jean-François Copé, cette session, selon lui, "doit être la traduction législative des engagements du président de la République. C'est la philosophie qui nous anime, c'est la feuille de route du gouvernement."
Feuille de route... soutien sans réserve... voici revenu le temps des godillots !
Le Premier ministre a cependant, dans son intervention plus subtile, fait entendre une petite musique dont tout ce beau monde devrait tenir compte. Il a en effet demandé aux parlementaires "d'être fidèles à l'esprit de mai. Notre mai à nous, c'est le mai 2002, ce mai très républicain, mais qui dit : attention, si vous ne changez pas les choses, le pays peut avoir de graves colères. Cette exaspération doit rester toujours présente dans notre esprit".
Sera-t-il entendu sur ce point ?
Traditionnellement la rentrée parlementaire d'octobre est marquée en France, depuis l'adoption de la Constitution de 1958, par des commentaires, sinon hostiles, du moins désabusés ou ironiques, quant à l'importance des parlementaires dans la prise de décision. Même lorsque, formellement, elles paraissent pour législatives les "mesures" que prennent nos gouvernants sont conçues dans les cabinets ministériels.
Or, aujourd'hui, ceux-ci arbitrent en faveur de la prudence, sinon de l'immobilisme le plus consternant, et même l'intervention, si habile fût-elle de M. Raffarin sur France 2 le 26 septembre, allait dans le sens d'un inquiétant "possibilisme".
Il est donc légitime de se demander si les 365 députés UMP, élus dans un contexte d'affaissement de la gauche serviront à quelque chose, si la démocratie n'est pas complètement en panne, et si l'alternance n'est pas tétanisée.
Il sera donc légitime d'analyser précisément les textes à venir dans les divers domaines annoncés au menu de la session parlementaire, et de s'interroger sur le niveau de confiance que l'on doit investir dans les projets du pouvoir.
Dans une démocratie, il existe deux sortes de lois dont on doit tout particulièrement se méfier : les lois résultant d'une extension fâcheuse du pouvoir réglementaire, celles auxquelles MM. Debré et Copé invitent par avance à se rallier, et, d'autre part les lois votées à l'unanimité.
Les premières, qui sont en fait des documents purement administratifs devraient être reléguées au simple rang de règles indicatives. À défaut de convention entre les particuliers on devrait leur refuser toute valeur normative et surtout ne pas les mettre au même niveau que les véritables lois débattues et votées par une assemblée représentative.
Il se trouve hélas qu'en France les décrets-lois, les ordonnances, les règlements émanant de pouvoirs spéciaux, etc. occupent une place essentielle. On remarquera par exemple que tout l'édifice de la sécurité sociale est bâti sur des ordonnances principalement signées en 1945, en 1967 ou en 1996 (1).
D'autre part, on doit bien mesurer ce que signifie, en démocratie occidentale, une loi votée à l'unanimité. Contrairement aux démocraties asiatiques, où le consensus est la règle, le gouvernement d'une démocratie occidentale repose sur la majorité résultant soit d'un scrutin législatif général, soit d'un débat particulier.
Dans cette tradition l'unanimité suppose que le débat a été escamoté ou que le scrutin a été étouffé, ou englouti par l'événement.
N'est-ce par cet engloutissement ou cet escamotage que nous annoncent les propos de MM. Debré et Copé, respectivement président de l'Assemblée nationale et secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement ?
Il faudra être très attentifs à ce danger.
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(1) Ces dernières ordonnances prises en application du fameux plan Juppé annoncé si triomphalement en novembre 1995, étayé par la révision constitutionnelle de février 1996, portent la signature de M. Barrot, aujourd'hui président du groupe parlementaire de l'UMP.
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