COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MERCREDI 2 OCTOBRE 2002
ON DOIT TOUJOURS SE MÉFIER D'UNE TÉTANISATION DE LA DÉMOCRATIE
"Attention, si vous ne changez pas les choses, le pays peut avoir de graves colères". Jean-Pierre Raffarin
Il serait vraiment dommage que cette assemblée, qui a commencé sa session ordinaire ce 1er octobre par le jeu, si réglementé, des questions orales, oublie trop vite ce pour quoi elle a été élue, et quelle faillite cette élection a sanctionnée.
Les médiats parisiens, et notamment les chaînes de télévision gauchisantes et crétinisantes, subventionnées par les deniers publics, s'emploient à la déconnexion entre la représentation nationale et le peuple. La fameuse "France d'en bas" leur sert à nouveau contre ses inventeurs, comme ils s'étaient, frauduleusement servis, après 1995 de l'idée de "fracture sociale". Actuellement, leur cible favorite est à l'évidence le binôme constitué du ministre de l'Intérieur et du ministre de la Justice. Cela évoluera.
Le but recherché est la tétanisation des majorités nouvelles, au mépris des alternances démocratiques souhaitées par l'opinion.
Quand par exemple la Chambre dite de Front populaire, élue en 1936 accorde, en 1940 à la quasi-unanimité (1), les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, cette assemblée n'a plus de connexion avec le pays : sans même parler de la défaite de 1940, aussi bien l'alliance (2) hitléro-stalinienne de 1939 que le gouvernement Daladier constitué en avril 1938, puis enfin l'arrivée au pouvoir de Paul Reynaud en mars 1940 avaient complètement changé le rapport et la signification des forces politiques.
Mais la tétanisation des assemblées et des systèmes politiques démocratiques peut aussi résulter de situations beaucoup moins dramatiques.
En 1968, le psychodrame sera constitué, en 4 actes, par l'occupation de la Sorbonne et des facultés, puis par la crise dépressive du pouvoir technocratique et de son chef, puis par le sursaut conservateur du 30 mai suivi, enfin, du triomphe conservateur pompidolien des élections législatives.
Ce sursaut a étrangement conduit à mettre le Premier ministre victorieux "en réserve de la république" (2). Mais il n'a pas empêché le vote inouï de la loi Edgar Faure, vote unanime, en novembre, de l'assemblée conservatrice élue, en juin, en réaction contre les désordres de mai 1968. La tétanisation du pouvoir fut un phénomène culturel interne au personnel de la Ve République : l'âme du gaullisme s'incarnait en André Malraux, lui-même admirateur de Lénine et de Mao Tsé-toung dont il voulait à tout prix faire dériver les énergies funestes vers la France dont il rêvait. Il fallait à tout prix remettre en selle les admirateurs du Vietcong que la politique étrangère française imaginait alors de soutenir.
Aujourd'hui la tétanisation du pouvoir chiraco-raffarinien inquiète dès maintenant certains observateurs. Elle s'éclaire cependant de combinaisons plus sereines. Elles n'en sont que plus regrettables puisque, malgré la mobilisation dérisoire, à peine psychodramatique de quelques monômes de lycéens entre le 21 avril et le 5 mai, comme pour exorciser les votes protestataires du 1er tour, tout le monde a déjà oublié les ingrédients hétéroclites dont se composa la (trop belle) "majorité présidentielle" du 2nd tour, accoucheuse de l'assemblée du 16 juin 2002.
La tétanisation mentale et culturelle de nos technocrates ne garde jamais en mémoire aucune des composantes de l'histoire. Elle n'en conserve que les reliquats, omettant volontairement d'en évoquer les causes.
L'un des exemples nous en a été fourni en septembre 1995 lorsque le président de la république avait cru devoir célébrer en Sorbonne ce qu'il considère comme un élément constitutif de l'identité française : la sécurité sociale monopoliste héritée des ordonnances de septembre 1945.
Tous nos conservateurs font semblant de croire que le peuple français serait profondément attaché à ce système. En réalité ce sont nos politiciens de droite et de gauche qui sont ligotés par les intérêts corporatifs résultant de ces monopoles, intérêts attachés à une médecine de caisse et à une certaine administration hospitalière, intérêts de la bureaucratie des organismes sociaux, intérêts de la gestion paritaire, intérêts du lobby des mutuelles. Il est pittoresque de voir combien les intérêts savent désigner certains boucs émissaires fantasmatiques : "l'industrie pharmaceutique" ou "les fonds de pension" dont personne n'ose prendre la défense.
La tétanisation s'opère ici au profit de textes, adoptés par ordonnances en 1945, et qui se trouvent, à vrai dire, malencontreusement issus eux-mêmes des dispositions de la charte du travail de 1941.
Un autre phénomène s'observe autour de ce qu'on appelle le logement social. Pas question de toucher à l'héritage de la loi Loucheur de 1928 ! Les (heureux) lecteurs de Beau de Loménie (3) savent ce qu'a pu représenter un Loucheur, affairiste patenté de la Troisième République. Nous observerons simplement qu'au-delà même de la moisissure du personnage, sa loi du 13 juillet 1928 fut adoptée à l'unanimité par une assemblée pacifique, celle du Cartel des Gauches, dans une situation prospère. Elle a hélas permis un développement prodigieux du pouvoir et des possibilités d'enrichissement des politiciens municipaux. Elle a engendré l'hypertrophie de l'intervention extra-légale de la Caisse des Dépôts. Elle draine les circuits de l'épargne populaire dont elle spolie les petits épargnants. Elle a permis l'édification étatique monstrueuse de ce que nous nommons les cités de banlieues.
Bref cette loi imbécile et unanime (4) est devenue un des piliers de la république, témoignant parmi tant d'autres de la tétanisation de notre démocratie.
Comme pour les autres piliers de cette nature, on ne rêve donc pas ici son abrogation immédiate du fait de la nouvelle majorité, pas plus que celle des ordonnances établissant le monopole de la sécurité sociale etc. On peut néanmoins, et nous en prenons la liberté et le risque, formuler le souhait qu'un jour un mouvement d'opinion éclaire nos concitoyens sur la nécessité d'y parvenir avant que notre "merveilleux système social" s'écroule comme s'est effondrée l'Union soviétique, dans la ruine de la Cité.
Car on ne se méfie jamais assez de la tétanisation des démocraties.
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(1) Car, contrairement à la légende intéressée les fameux "80" députés et sénateurs qui votèrent "non" le 10 juillet 1940, étaient alors opposés à Pierre Laval et non à Philippe Pétain. Cf. Beau de Loménie Tome V "De Hitler à Pétain" (1933-1940).
(2) Distinguo historique: "alliance" et non "pacte de non-agression". Il est "politiquement correct", mais historiquement faux, de parler de "Pacte germano-soviétique", à propos du document signé le 23 août 1939 par Molotov et Ribbentrop.
Le mot alliance est le seul approprié à désigner exactement les faits. D'août 1939 à juin 1941, le Reich allemand et l'Union soviétique se comportèrent comme des alliés et pas seulement comme les signataires d'un Pacte de non-aggression. Cette alliance s'accomplit territorialement sur le dos de la Pologne (qui fut partagée en deux zones, l'une allemande, l'autre soviétique. Ce partage sera précisé par un accord du 28 septembre 1939), de la Roumanie, de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lithuanie, de la Finlande. Ces acquisitions, opérées en 1939-1940 par les Soviétiques alliés des nazis à l'est, furent entérinées en 1945 par les Anglo-Américains à Yalta. Simultanément, à l'ouest, lors de l'invasion, par le Troisième Reich, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg, puis de la France, de nombreux cas de collaboration entre l'occupant nazi et l'appareil stalinien sont historiquement attestés et ils n'ont fait l'objet d'aucune sanction après la guerre.
Pour comprendre l'enjeu actuel du distinguo, on consultera avec profit : "Staline assasine la Pologne (1939-1947)" par Alexandra Viatteau, Seuil, 1999 et l'introuvable Angelo Rossi "Deux Ans d'alliance germano-soviétique (août 1939-juin 1941)", Paris 1949, ainsi que les "Nazi-Soviet relations" publiés par le département d'État américain à Washington en 1948.
(3) Georges Pompidou fut démis de ses fonctions par le général De Gaulle le 10 juillet 1968, laissant ainsi la place au gouvernement Couve de Murville.
(4) "Les Responsabilités des Dynasties Bourgeoises" Tome IV "Du Cartel à Hitler" (1924-1933).
(5) On me pardonnera, je l'espère, ce pléonasme.
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