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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 4 OCTOBRE 2002

LE RECOURS AU POPULISME SERA-T-IL NÉCESSAIRE ?

La voie référendaire face à l’archaïsme corporatif de la CGT et aux capitulations de nos énarques.

La manifestation parisienne du 3 octobre se conformait à des habitudes de mieux en mieux rodées. Prévu à 11 heures place de la Nation le rassemblement des forces syndicales ratissait des permanents et des délégués venant de toute la France métropolitaine par cars et TGV loués à l’avance. Il était donc (presque) légitime de donner, comme les médiats l’ont fait dès le début de la matinée (1), et même la veille, un chiffre officiel de manifestants de l’ordre de 60 000 puisque l’essentiel provenait de la structure syndicale du monopole EDF-Gaz de France, c'est-à-dire majoritairement par la CGT.

Le chiffre officiel est resté le même : 60 000, quoique la préfecture de Police ait compté plus modestement 40 000. Simplement, au lieu de souligner que 90 ou 95 % des manifestants étaient fournis par un seul contingent, on présente la chose après coup comme un rassemblement d’idéalistes de gauche, attachés aux principes du service public à la française et des monopoles étatiques. Et nos technocrates acceptent : il semble même qu’ils soient plus enclins à s’entendre avec les vrais organisateurs cégétistes que ne l’ont été pendant 20 ans les gouvernements de gauche.

De la part de la gauche, la grande habileté consistait, pour le camarade Besancenot, pour la camarade Buffet, pour les Verts, etc. à récupérer "en tant que consommateurs" une manifestation essentiellement corporatiste.

"Corporatiste" : Le mot est-il trop fort ? Est-il trop entaché de connotations réactionnaires ?

Écoutons simplement les propos du secrétaire général de la Fédération Mines et Énergie CGT, le camarade Denis Cohen (2) :

1. "Il est exclu que nous intégrions le régime général" clame-t-il à l’attention du gouvernement.

2. Pas question non plus de dissocier les titulaires actuels du régime privilégié, – pardon du "régime spécial" – des gaziers et des électriciens, régime spécial qui ne s’appliquerait pas aux nouveaux contrats de travail des jeunes, embauchés par EDF ou Gaz de France dès lors qu’elles seront privatisées : "Il est inimaginable de penser, dit-il encore, qu’un syndicaliste puisse se battre pour les plus anciens salariés qui ont déjà des droits et laisser de côté les plus jeunes qui en auraient moins."

3. Enfin, troisième point, la tactique consiste à élargir la défense du régime spécial aux 150 entreprises du secteur, statut "corporatif" par excellence et d’en assumer même le financement par divers opérateurs.

Si ce n’est pas du corporatisme, qu’est-ce alors que le corporatisme ?

Il est donc incroyable que les médiats se laissent prendre au rideau de fumée des "grands principes" auxquels on assaisonne ce mouvement essentiellement conservateur. Il est impensable, et inacceptable, de présenter de telles pressions sectorielles comme un attachement général de l’opinion française à de prétendus services publics.

Rappelons les estimations actuelles du coût national de ces avantages accordés à la corporation des gaziers et des électriciens, financés sur fonds publics. Globalement il s’agit d’un coût de provisions évalué à 53 milliards d’euros dont 41,6 pour EDF, 8 pour Gaz de France, 3,5 pour les autres entreprises du secteur. En 2000 l’État finançait le régime à hauteur 2,7 milliards d’euros en déficit de 2,35 (soit 87 % bien plus que le taux de financement extra professionnel du régime agricole). On prévoit déjà d’être à 3 milliards en 2010.

Comme une pluralité de 6 centrales syndicales s’est jointe à la CGT pour la circonstance, comme d’autres délégations de personnel à statut sont venues grossir les rangs via les syndicats d’Air France, de la Poste, etc. l’addition de Blondel et de Thibault nous est tranquillement présentée comme représentative d’un grand mouvement de l’opinion française attachée aux merveilleux services publics que le Tiers-Monde nous envie.

La tentation serait grande de suggérer au pouvoir d’en appeler, sur un projet précis de rachat des privilèges, à l’opinion publique par voie référendaire.

On me répondra sans doute que le gouvernement actuel n’a pas de projet précis et que sa principale frayeur est de se retrouver dans une situation analogue à celle de 1995. L’habile Raffarin ne tombera pas dans le piège du psychorigide Juppé. Voilà le mot d’ordre. "Il vaut mieux susciter des impatiences que des explosions"disent les bons conseillers.

Le malheur, pour les bons conseillers, est que le résultat sera exactement le même. M. Francis Mer a lui-même déjà capitulé devant les syndicats du ministère des Finances. Son administration ne profitera pas des 5 500 à 7 800 départs à la retraite annuels des 10 prochaines années pour dégraisser le mammouth de 30 000 personnes dans la même période. Le secrétaire général de son ministère, M. Parini, a annoncé la bonne nouvelle au bon peuple le 27 septembre. Comment imaginer dès lors qu’on impose à la corporation, EDF-Gaz de France à 138 000 actifs, 300 000 avec retraités, etc. ce qu’on ne s’impose pas à soi-même. Comme en 1995, le psychorigide Juppé avait capitulé sur le régime ferroviaire devant moins de 1 000 gros bras cégétistes occupant les dépôts SNCF et RATP.

À plusieurs reprises les équipes chiraquiennes ont avancé dans leur propagande le recours au moyen de la démocratie directe pour faire avancer les réformes. Bien évidemment cette promesse n’a jamais encore été concrétisée par la démarche constitutionnelle qui serait nécessaire pour en permettre l’application. On pourrait en effet calquer ce texte sur celui qui existe depuis 1970 en Italie et qui a permis de faire avancer de nombreuses réformes bloquées par les forces syndicales italiennes autrement plus puissantes que les nôtres.

On appelle cela du "populisme" et c’est donc affreux. Mais entre deux maux, il faut choisir le moindre : le populisme est un moindre mal comparé aux blocages de l’Énarchie et au corporatisme archaïque de la CGT.

JG Malliarakis

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(1) À 7 heures France Info le 3 octobre, par exemple, et même AFP du 2 octobre…

(2) Propos recueillis par les Échos du 3 octobre.

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