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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 7 OCTOBRE 2002

LA CONSPIRATION, LA BOURSE ET L’HISTOIRE

Wall Street au plus bas depuis novembre 1997.

Les Bourses mondiales (1) ont encore été catastrophiques en cette première semaine d’octobre. À Wall Street, l’indice Dow Jones a reculé de 188 points. À 7 528 points, il est à son plus bas depuis le 13 novembre 1997. Et ce 4 octobre, les Bourses de Paris, Londres, Milan, Amsterdam Zurich et Francfort clôturaient encore toutes en baisse de respectivement 3,33 %, 1,71 %, 2,88 %, 2,55 %, 2,33 % et 2,92 %.

Cela fait deux ans que cela dure et cependant les actions en baisse trouvent toujours preneurs.

Tout le monde n’est donc pas si malheureux que cela dans cette affaire, à commencer bien sûr par les adeptes du conspirationnisme.

En effet, quand tout va mal, les conspirationnistes sont les hommes les plus heureux du monde. Ils disposent en effet de clefs d’explications satisfaisantes, ceci d’autant plus que leurs analyses interprètent de manière contestable des faits incontestables.

Prenons comme premier exemple un fait bien réel : l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan dont vient d’être donné, après des années d’incertitudes et de pressions contradictoires, le 1er coup de pioche.

L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan correspond à un projet géopolitique immense. Il pourrait permettre à ce que nous appelons l’Occident de prendre le contrôle de l’Asie centrale et de ses gisements de pétrole. Il contourne la Russie. Il contrarie l’Iran. Il associe évidemment les militaires turcs à une pénétration auprès des populations touraniennes d’Asie centrale, projet américain reprenant l’idée des rapports Von Papen de 1942 (2), etc.

Malgré tout cela, et contrairement à ce que nous avons pu lire ici et là, l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan n’explique pas à lui seul la guerre de Yougoslavie.

Pas plus que la dérive des loges maçonniques françaises à la fin du XVIII siècle n’explique à elle seule la révolution jacobine de 1793.

Pas plus que la déclaration Balfour de 1917 n’explique à elle seule, la même année, l’entrée en guerre des États-Unis et la révolution bolchevique, etc.

Tous les brillants auteurs conspirationnistes commettent la même erreur. Ils prennent en considération la "conjuration" C, le projet C, l’entreprise C, l’initiative C sans se préoccuper de savoir pourquoi A l’a emporté sur les autres "conjurations", "initiatives", etc. A, B, ou D. 

On peut toujours appeler "complot" l’entreprise de ceux que l’on considère comme des méchants mais cela ne rend pas compte de la défaite de ceux que le conspirationnisme considère comme des bons. Et la vraie question que l’on devrait se poser en France est : pourquoi les braves gens agissent-ils toujours si sottement ?

Aujourd’hui, par exemple, la crise boursière apparue depuis l’été 2000 a vu les indices des principales places s’effondrer d’une manière imprévisible, aux jeux de ceux qui précisément géraient alors des portefeuilles d’action. En gros les valeurs se sont divisées par 3.

Mais si nous nous reportons à des périodes plus longues, nous constatons d’abord qu’en France et en Allemagne même après la chute observée jusqu’en octobre 2002 le taux moyen annuel de progression des indices boursiers français et allemands sur les 15 dernières années aura quand même été de 7 %. Si demain l’indice parisien CAC 40 perdait encore 1 000 points, sa moyenne de progression sur 15 ans serait de 4 %, soit un montant encore supérieur à la hausse moyenne pendant la même période du marché immobilier parisien.

Mais si on se reporte encore à une période plus longue et sur la plupart des Bourses occidentales Paris, New York, Londres, Francfort, Amsterdam, etc. le multiplicateur observable de 1970 à 2002 est situé dans une fourchette allant de 7,5 à 9,5.

Ô surprise ! Tokyo qui sous-performe régulièrement depuis 1991 est encore aujourd’hui, sur 30 ans, à un multiplicateur de 19.

Ceci nous indique tout simplement que la moyenne croissance boursière de 7 % entre 1987 et 2002 aura été sensiblement égale à celle des 15 années précédentes entre 1972 et 1987 observée dans les grands pays capitalistes à une époque où le Japon sur-performe.

De 1970 à 2002, malgré diverses crises passagères et euphories excessives, on peut dire que les valeurs boursières en action se sont multipliées par 9 ou 9,5 (progression annuelle entre 7 % et 8 %) alors que les valeurs immobilières se sont multipliées par 3 ou 3,5 (progression annuelle moyenne de l’ordre de 4 %).

Nous avons tort de nous arrêter à la seule période 1985-2000 caractérisée par l’effondrement du communisme.

On se souviendra ce que fut la période 1970 à 1985. En 1973, les États-Unis commencent à "vietnamiser" la guerre, Phnom-Penh et Saïgon tombent en 1975, la révolution iranienne triomphe en 1979, la même année les Soviétiques s’emparent de Kaboul, les communistes avaient pris le contrôle de l’Angola et du Mozambique en 1975, etc. Quand Reagan est élu en 1980, l’empire américain n’est vraiment pas au mieux de sa forme et les communistes français rentreront en 1981 dans un gouvernement de Paris dont ils avaient été chassés en 1947.

Ajoutons d’ailleurs qu’entre 1972 et 1976 une autre crise boursière fait perdre 44 % de leurs valeurs boursières 500 meilleures sociétés américaines (3).

Or, cette crise boursière de 1972 à 1976 est contemporaine d’une autre crise, que l’on a tendance à oublier, la crise de 1973 où l’on vit pour la première fois les armées arabes ne passe faire battre à plate couture par les Israéliens, et où l’on vit, également, pour la première fois les Arabes (4) se servir de l’arme du Pétrole.

Ceci devrait nous faire comprendre que l’Histoire ne s’est pas arrêtée lorsque le mur de Berlin s’est écroulé. L’Histoire recommence toujours. Elle n’est pas le fruit d’une conspiration unique, mais d’un ensemble d’actions humaines, où toutes les "valeurs" ne sont pas cotées en Bourse.

JG Malliarakis
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(1) Ou plus exactement les indices reflétant la capitalisation des grandes entreprises industrielles des pays développés.

(2) Nous renvoyons plus particulièrement au document n° 27 daté d’Ankara le 27 août 1942 référence A 524-42 classé secret "Propos du nouveau président du Conseil turc sur la question des minorités turco-mongoles et sur l’avenir la Russie", publié à Paris en 1946.

(3) L’indice Standard and Poors représentatif de ces valeurs est sans doute plus significatif que le Dow Jones et, bien entendu, que le Nasdaq. Le point le plus bas de la période se situe au 3 octobre 1974. Les 44 % de pertes furent récupérées 2 ans plus tard.

(4) Ils étaient alors alliés au Shah d'Iran dans le cadre de l’Opep. À la même époque le gouvernement américain se prononçait pour un prix plancher du Pétrole.

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