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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 14 OCTOBRE 2002

LA RÉGIONALISATION EST UNE QUESTION FRANCO-FRANÇAISE

Est-elle en passe de devenir guerre de religion ?

Du point de vue de la nécessaire régionalisation du cadre français, l’actuel projet constitutionnel du gouvernement Raffarin demeure excessivement mesuré. On ne perdra pas de vue que le ministre en charge de la Réforme administrative est encore, à ce jour, sauf erreur, le très jacobin M. Delevoye. Intervenant au Sénat le 8 octobre, ce personnage, médiatiquement effacé dans le débat en cours, est allé jusqu’à proférer que " la péréquation devra être inscrite dans la Constitution ". S’il en était ainsi, autant renoncer tout de suite à ce xième projet de décentralisation car cela voudrait dire que le monde social démocrate redistributeur, égalisateur et centralisateur aurait remporté pacifiquement, plus de deux siècles après la Terreur, une nouvelle victoire.

Les tentatives très modestes d’évolution vers les libertés régionales n’ont pas eu de chance sous la V république, après avoir été radicalement tuées sous les républiques précédentes où la Région n’existait pas. Le dernier référendum du général De Gaulle, en 1969, portait sur cette question. On se souvient que ce fut pour le fondateur des IV et V républiques un combat de trop. Lorsque le gouvernement Chaban-Delmas reprit la réforme en 1972, il procéda avec la plus extrême prudence. Quant à la réforme Defferre de 1982, elle a, certes, donné lieu à d’importantes remises en cause financières et statutaires — mais on ne saurait dire que les identités régionales en aient vraiment tiré profit.

Pour la première fois, la Constitution de 1958 évoluerait donc vers une reconnaissance du fait régional qui deviendrait un des niveaux reconnus de collectivités locales. Le mot Région sera enfin écrit dans la loi fondamentale.

Ceci explique sans doute que ce projet, si modéré au fond, suscite des réticences et des oppositions aussi extrêmes.

Pour une fois, par exemple, ce 11 octobre, le Conseil d’État est carrément sorti de son rôle. Cette assemblée de hauts fonctionnaires, dépourvue "d’aucune légitimité démocratique" (1), a émis sur le texte un avis d’opportunité.

Soulignons en effet que l’article 39 de la Constitution dans sa rédaction actuelle dispose que les projets de loi, c’est-à-dire les textes législatifs d’origine gouvernementale, autrement dit 99 % de la production juridique annuelle de l’État central français, sont soumis au Conseil des Ministres après "avis du Conseil d’État ". Cette disposition est typique de la construction technocratique du Droit français. Elle soumet en effet un pouvoir constitutionnel au contrôle d’une institution purement factuelle et administrative. Mais en principe cet avis n’a pour fonction que d’éclairer juridiquement le gouvernement sur la cohérence constitutionnelle de ses projets, non sur sa pertinence politique.

De plus, par définition, dans une démocratie, une réforme constitutionnelle ne peut qu’être conforme à la Constitution.

Il se trouve que celle-ci ose toucher à l’article 1er qui dispose aujourd’hui que la France est une "république une et indivisible, laïque et démocratique". Elle reste tout cela. On ajouterait simplement la phrase : "son organisation est décentralisée."

On ne passe pas, ou pas encore, à l’idée que la France puisse devenir un jour un État fédéral. En rappelant (2), que "nous ne sommes pas dans un État fédéral" M. Raffarin laisse en effet deviner que, peut-être, cet ancien président de la Région Poitou-Charentes déplorerait cette carence. Un jour ou l’autre, il devra se prononcer sur son sentiment et son intention.

Car la frontière est décisive entre les deux conceptions possibles, centraliste ou fédéraliste, du cadre français.

Contrairement à une idée répandue, l’hypothèse d’une Europe des régions non seulement n’est pas à l’ordre du jour mais elle a même été complètement écartée par le système de Maastricht en 1991. L’Union européenne est une union d’États. Cela est si vrai que les subventions européennes en direction des régions passent, désormais, par les États alors que dans les années 1980 les régions françaises développaient une présence active et une négociation permanente à de Bruxelles.

La question de la décentralisation est donc un débat franco-français. Dans ce débat il faut absolument cesser de chercher à voir dans les projets de régionalisation, internes à la France, une pression des conceptions fédéralistes européennes du ministre allemand des Affaires Étrangères, Joschka Fischer. Même à Berlin, son point de vue est loin de faire l’unanimité (3). Il se trouve simplement que, même par rapport aux États les plus centralistes d’Europe, qu’il s’agisse de l’Italie dont la réforme régionale a commencé en 1960, l’Espagne ou la Grande Bretagne dans les années 1990, la France reste en retard. Ce retard de notre pays s’accumule à son propre détriment. On s’accroche à Paris à des conceptions redistributrices qui empêchent une saine compétition interrégionale, au plan économique. Et cet archaïsme entrave, plus encore, la renaissance des identités et des libertés dont le développement donnerait un second souffle à un pays terriblement pénalisé, aujourd’hui, par l’hypertrophie de l’État-Nation centralisé.

Il serait lamentable de voir cette question dériver en guerre de religion, encore que la philosophie régionaliste que nous qualifierons, pour faire court, de "libérale" s’oppose assez clairement sur ce point aux conceptions des jacobins socialistes. Bien entendu les jacobins socialistes ne sont pas cantonnés aux seuls membres du parti socialiste, aux chevénementistes, aux radicaux de gauche ou au parti communiste. On les retrouve fort nombreux dans les rangs des anciens RPR, reconvertis nominalement au sein de l’UMP, et dont certains siègent dans le gouvernement Raffarin.

Cette situation n’est pas totalement inédite : elle n'en est pas moins dommageable…

JG Malliarakis

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(1) Le ministre délégué aux libertés locales M. Patrick Devedjian a osé le rappeler le 11 octobre, cf. AFP 18 h 08 du 11.10.2002.

(2) le 26 septembre sur France 2.

(3) Il semble bien que le système fédéral de la Constitution allemande de 1949 soit une réussite enviable. Il n’en a pas moins été imposé par les vainqueurs de 1945.

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