COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MERCREDI 16 OCTOBRE 2002
LA MOTIVATION DES DÉFENSEURS DU JACOBINISME EST DABORD FISCALISTE
Le chef de lÉtat est allé le 14 octobre à Troyes faire léloge de la décentralisation.
Cest ce 16 octobre que le projet de réforme constitutionnelle, introduisant le fait régional dans notre loi fondamentale, passait létape du Conseil des ministres.
On sait bien ce que vaut, au sein de lactuelle coalition gouvernementale, la coterie des adversaires de cette réforme. Elle compte au premier rang un M. Fillon, ministre du Travail en charte de la sécurité sociale, et un M. Delevoye théoriquement responsable de la Réforme administrative. Avec des réformateurs de ce calibre on na pas besoin dimmobilistes.
Bien entendu, la motivation première de ces pieux défenseurs du jacobinisme cest de ne pas déplaire à la gauche. Ne croyons pas à des convergences qui seraient seulement ponctuelles. Il sagit philosophiquement dune connivence permanente. Quand une Mme Bachelot se retrouve dans des causes aussi diverses que le soutien à la gauche sur le Pacs, ou sur le refus dextrader un assassin marxiste américain, ce nest pas par leffet dun courageux non-conformisme. Cest au contraire la marque dun conditionnement parfaitement lâche et conformiste, dun alignement philosophique sur la gauche.
Or, la gauche philosophique sest emparée dun refus jacobin de toute évolution du cadre français et de toute dévolution constitutionnelle qui concéderait aux régions leur autonomie en matière de gestion des hôpitaux ou des universités. À peine acceptera-t-elle que les départements soccupent des routes dites nationales et de la prestation dépendance. Ainsi le département servira-t-il de contre-feu aux libertés régionales. Le preux département de la Corse-du-Sud vient den donner le signal, alors même que sa création na été imaginée que pour fonder ce quon appelle joliment outre-mer, la "bidep", la bi-départementalisation. Sil existe en Corse 3 (trois) assemblées territoriales sur une seule île, cest sûrement pour la plus grande gloire du progrès humain.
Sur le terrain des universités, la fronde est menée à la fois par les structures de la médiocrité, cest-à-dire par les universités elles-mêmes dès lors quelles connaissent leur propre carence et par le SNE-Sup. Dans un cas comme dans lautre on retrouve les bastions marxistes. Le badigeon tricolore est très superficiel. Cest une guérite dopérette, un chant du coq à lentrée du goulag. Ce nest pas lunité nationale qui les intéresse, cest le monopole étatique. Derrière la régionalisation, ils redoutent la privatisation. Ils ont au moins lhonnêteté de le proclamer.
Leur discours est à ce point dialectique que le corps préfectoral, très hostile évidemment à la perte de son propre privilège, leur inspire la mise en cause des représentants démocratiques des Régions rebaptisés "potentats locaux" (1). Dans lesprit des jacobins, un élu local est une sorte de pacha ottoman, engraissé de la sueur du peuple ; un fonctionnaire de lÉtat central leur paraît au contraire une figure romantique de protecteur des pauvres, un champion chevaleresque de la Veuve et de lOrphelin. Voilà bien le monde à lenvers mais on touche quand même au fond même de leur sincérité.
Plus trouble semble au contraire la fronde fiscaliste des régions de gauche.
Le 9 octobre à Toulouse, M. Martin Malvy, président minoritaire de Midi-Pyrénées les a réunies, afin de préluder à une scission de lARF, Association des Régions de France, aujourdhui présidée par le président de Lorraine, M. Gérard Longuet (2). Les 8 régions métropolitaines de gauche + les 3 régions doutremer présidées par des communistes ont donc créé une conférence permanente qui sera présidée (3) par le président socialiste de Haute-Normandie, M. Alain Le Vern.
Tout nest peut-être pas idiot dans les critiques formulées par cette dissidence. Mais tout converge dans un salmigondis intellectuellement pervers, fondamentalement fiscaliste. Ainsi, les régions de gauche relèvent que les recettes des budgets régionaux sont assurées à 37 % seulement par des ressources régionales. Le poids écrasant des Dotations de fonctionnement provenant de lÉtat central donne dès maintenant une mesure de ce que sera, ou serait, une péréquation financière inscrite dans la Constitution. Mais les gestionnaires de régions de gauche protestent seulement contre la conséquence arithmétiquement imparable de cette situation : ils regrettent que pour augmenter ses recettes de 5 % une région soit contrainte dalourdir sa fiscalité de 20 %.
Ces excellents fiscalistes prétendent cependant figer, et probablement même aggraver, la règle implacable qui engendre ce résultat.
Quon se rassure cependant, ou plus exactement que les jacobins se rassurent.
Ni le gouvernement ni le chef de lÉtat dont toute léloquence est allée le 15 octobre à Troyes-en-Champagne faire léloge de la décentralisation nenvisagent une véritable régionalisation qui impliquerait, par exemple, pour les Régions, la possibilité de baisser la fiscalité et encore moins de supprimer certains impôts, comme la taxe professionnelle ou les droits de mutation. Quon se souvienne de lexemple de la vignette auto : plutôt que de mesurer leffet de sa mise en concurrence lÉtat central français a préféré la supprimer. On craint fort de ne pas revoir de sitôt pareille expérimentation
On va très vite mesurer, donc, les obstacles que le jacobinisme dresse toujours à lencontre de toute véritable régionalisation.
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(1) La formule est reprise, sans guillemets, par Libération le 12 octobre.
(2) Après lavoir été jusquau printemps 2002 par le Poitevin Raffarin.
(3) Que de fois le mot "président" revient ! On croirait la Yougoslavie davant 1991.
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