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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 18 OCTOBRE 2002

LA PÉRÉQUATION FINANCIÈRE PEUT-ELLE DEVENIR CONSTITUTIONNELLE ?

Ce très dangereux principe assombrit les perspectives de la décentralisation

L’un des mérites les plus certains du Projet de loi constitutionnelle n° 24, présenté le 16 octobre par M. Perben devant le Sénat, c’est d’avoir contre lui le parti communiste. La camarade Marie-Georges Buffet n’entend accepter notamment ni l’autonomie financière des collectivités locales, ni le droit à l’expérimentation réglementaire. Les syndicats de l’Éducation nationale, majoritairement communistes (1) ont volé immédiatement au secours de sa dialectique le 17 octobre. Ils ont docilement intégré dans les thèmes de leur marche préfabriquée, de leur grève surgelée et de leur mouvement réchauffé aux micro-ondes, les considérations socialo-jacobines de Mme Buffet qui tiennent lieu de modernité aux grands prêtres de la pensée unique.

En dehors de cela, le courant actuel de décentralisation, s’il mérite d’être soutenu sur le principe, confirme le premier sentiment qu’il nous inspirait au départ. Son ambiguïté philosophique n’a d’égale que sa prudence conformiste.

Pour comprendre dans quelle incertitude se trouve la doctrine gouvernementale on se reportera à l’exposé des motifs du projet de loi. On y apprend par exemple que les Français demeurent "profondément attachés aux principes fondateurs de l’indivisibilité du territoire et de l’égalité des citoyens devant la loi". Et néanmoins le même mouvement rhétorique vise, nous dit-on, à "modifier profondément le cadre constitutionnel".

Mais alors pourquoi "modifier profondément" ce à quoi les Français demeurent "profondément attachés" ?

Plus loin on découvre le pot aux roses… du mélange des genres : "Une république plus efficace, c’est un État qui sait maîtriser ses dépenses et simplifier ses structures. La décentralisation est la première réforme de l’État. Elle lui permettra de mieux exercer ses missions régaliennes et de solidarité". Tout est dit en quelques mots : tout et le contraire de tout.

À partir du moment où se trouve énoncée une doctrine à la fois "régalienne" et de "solidarité", tout sera affaire d’interprétation, d’opportunité et d’arbitraire.

Plusieurs articles de la Constitution seront modifiés.

Certaines modifications seront purement formelles (l’article 1er par exemple). D’autres relèvent de la belle évidence : depuis 30 ans que les régions existent (2), depuis 20 ans qu’elles sont légalement des collectivités territoriales (3), il était plus que temps de les nommer dans la Constitution.

Il semble que l'idée la plus dangereuse sera insérée au titre XII de la Constitution, ce sera l’article 72-2 alinéa 6 : "La loi met en œuvre des dispositifs pouvant faire appel à la péréquation en vue de corriger les inégalités de ressources entre les collectivités territoriales" (4).

Les autres pays de l’Union européenne ne font guère référence rien de pareil dans leur Droit constitutionnel. On notera cependant que l’Allemagne consent, dans les faits, d’énormes efforts pour les Laender de l’Est, l’Italie pour le Mezzogiorno, et l’Europe dans son ensemble pour les pays dits de la cohésion. Le danger de cette rédaction, c’est qu’elle coule l’idée de la redistribution territoriale dans un moule de droit. C’est le droit à l’assistanat. Il est de plus assorti d’une dimension potestative "des dispositifs pouvant faire appel à la péréquation".

Non, non et non, ce principe n’est pas acceptable. Sa traduction institutionnelle coercitive n’aura pas pour effet de consolider l’unité nationale mais, au contraire, de monter les régions françaises les unes contre les autres comme on peut l’observer du fait de la protection sociale unitaire en Belgique ou en Italie.

Mais on doit aussi se persuader ou plutôt constater que les dotations financières existantes, et dont le maintien est garanti par d’autres dispositions du texte, introduisent déjà une inégalité monstrueuse entre les communes de banlieues hyper subventionnées et les communes rurales délibérément appauvries. Oui, en France, le mécanisme de la DGF favorise chaque année les populations déracinées que la Caisse des Dépôts a entassées dans les parallélépipèdes rectangles du logement social au détriment des ruraux, probablement parce que les uns votent mieux que les autres.

Cela s’inscrit dans une logique constante commune à tous les mécanismes de redistribution : ce ne sont pas les plus défavorisés que l’on subventionne, ce sont toujours les plus fortement syndiqués. Dans les années 1920 les cheminots faisaient figure de surexploités de l’économie capitaliste. Progressivement la redistribution en a fait les privilégiés de l’économie mixte. Et leur syndicalisation leur permet d’exercer un chantage à la grève thrombose qui leur permet de consolider leurs acquis sociaux.

Le plus extraordinaire est que la majorité de droite s’appelle à pérenniser cette situation non seulement en faveur des 8 régions métropolitaines tenues par la gauche minoritaire mais aussi des 3 régions d’outremer où les partis communistes locaux demeurent tout puissants…

Cette autonomie financière, que Mme Buffet fait semblant de dénoncer n’est qu’une autonomie de gestion. Elle n’introduit aucune notion de compétitivité, aucune émulation entre les régions.

Nous avons sous les yeux l’image de la superpuissance américaine, dont beaucoup d’Européens tirent des urticaires d’amour propre. Nous semblons ignorer qu’une part de cette puissance tient à la compétition entre les États américains qui n’affaiblit aucunement la puissance fédérale.

Peut-être le texte actuel n’est-il qu’une étape vers une France plus ouverte, enfin, aux idées fédéralistes. Alors il faut ne l’accepter que comme tel et s’armer d’une bonne dose d’optimisme pour s’imaginer que la gauche ne saura pas se servir, à la prochaine alternance, des failles du projet dans sa rédaction technocratique.

JG Malliarakis

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(1) Il s’agit de la Fédération syndicale unitaire (FSU) qui recueille 49,5 % des suffrages chez les enseignants, additionnés à la CGT des personnels administratifs et techniques 1,5 %, les deux syndicats communistes sont aujourd’hui majoritaires aux élections des personnels de l’Éducation nationale. Les candidats marxistes à l’élection présidentielle ayant obtenu 15 % des voix, l’hiatus entre l’École et le Peuple n’a jamais été aussi clair.

(2) Réforme Chaban de 1972.

(3) Décentralisation Defferre de 1982.

(4) cf. Article 6 alinéa 5 du projet de loi.

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