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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MARDI 22 OCTOBRE 2002

VA-T-ON ASSISTER A UNE NOUVELLE VAGUE DE POPULISME EN FRANCE ?

49 % des Français pensent que "Chirac n’a pas compris". La France a connu dans ces 50 dernières années, 4 vagues populistes durables.

(ci-dessus Jacques Chirac s'apprête à serrer la main de M. Haider à Vienne le 11 février 1998)

Un récent sondage d’opinion (1) relativise toutes les études faisant apparaître une majorité de Français "ayant une bonne opinion " du chef de l’État ou "faisant confiance au Premier ministre".

Manifestement en effet, si tel personnage peut leur paraître relativement sympathique ou s’ils acceptent d’accorder au départ un crédit de confiance aux hommes, nos compatriotes demeurent profondément méfiants vis-à-vis de la classe politique et d’institutions qui leur sont pourtant présentées comme excellentes et immuables.

Cela se traduit en particulier par la réponse à la question : pensez-vous que les problèmes qui se posaient le 21 avril sont en voie d’être résolus ? 6 Mois après ce qui fut ressenti alors comme un "tremblement de terre" 78 % des Français répondent non. Seuls 17 % pensent que "oui", c’est-à-dire un peu moins que le pourcentage des gens qui votèrent ce jour-là pour l’actuel chef de l’État.

Si l’on croit un autre sondage, publié par Le Parisien qui en fait l’énorme titre de sa première page ce même 21 octobre, 6 mois après 49 % des Français pensent que M. Chirac "n’a pas compris le message envoyé par les électeurs le 21 avril" – Il est vrai que selon ce même sondage, effectué par CSA, 43 % jugent au contraire qu’il a "compris".

Il est vrai, aussi, que, les journalistes et les sondeurs ne nous disant pas quel est exactement ce message, on peut se demander si eux-mêmes, qui savent pourtant tout, l’ont compris…

Manifestement donc, il existe un décalage énorme entre les gouvernants et les gouvernés. En démocratie, cela ne devrait pas avoir de sens puisque nous vivons, en principe, dans le gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple.

Ce qu’on appelle le populisme c’est ce qui s’engouffre dans un tel hiatus. La démocratie en effet c’est aussi habituellement le règne des "constructivismes". Être en désaccord avec le projet que les uns accélèrent (à gauche) les autres modèrent (à droite), c’est la caractéristique du populisme.

Un Pape du XX siècle l’a dit ainsi à sa manière : "Les véritables amis du peuple ne sont ni révolutionnaires ni novateurs mais traditionalistes" (2).

Dans l’Europe actuelle plusieurs pays sont traversés actuellement par des poussées populistes : Danemark, Autriche, Pays-Bas, Portugal, Italie, etc. Dans ce dernier pays le populisme, après avoir été à l’origine du néo-fascisme (3) s’est transféré sur le mouvement fédéraliste de la Ligue du Nord. À Vienne et à La Haye, après un épisode d’alliance avec les partis conservateurs, les mouvements populistes se retirent des coalitions.

La France est, cependant, en Europe le pays qui a connu dans ces 50 dernières années, quatre grands courants populistes successifs dont deux subsistent encore. Or, pratiquement jamais il n’a été question de leur faire une place dans les institutions : depuis l’invalidation arbitraire du 1/3 des députés poujadistes en 1956, au ralliement unanime de la gauche au second tour de 2002 en faveur du candidat désigné comme un escroc les semaines précédentes, on constate au contraire une exclusion constante, qui demeure sans équivalent dans aucun autre pays.

Certes dès l’apparition du poujadisme en 1953, ce mouvement de défense des classes moyennes s’en prend avec violence au fisc. Des perceptions sont saccagées et il ne fait aucun doute que cette violence exprime un rejet total du système. Mais on doit bien distinguer alors, en observant la carte électorale, que ce rejet ne recoupe pas la vague nationaliste et bonapartiste du RPF aux élections de 1951 (4).

Le poujadisme n’a pas été un simple feu de paille rassemblant 2,6 millions de voix, 12 % des suffrages en 1956 pour disparaître avec 0,5 million de voix en 1959. Entretemps, certes, De Gaulle est revenu au pouvoir, le vent de l’histoire est passé. Mais la vague fiscaliste a été enrayée et le mouvement a investi de nombreuses chambres de commerce et de métiers, où ses élus ont été absorbés dans ceux qu’on appelle les traditionnels. Il demeurera cependant implanté dans la France rurale, et disposera d’un hebdomadaire jusqu’à la fin des années 1960, se ralliant à Pompidou en 1969.

À partir de 1968, un autre mouvement de commerçants et d’artisans fera beaucoup parler de lui : le CID-Unati de Gérard Nicoud. Dès février 1969 il rassemble 10 000 personnes à Grenoble. Plus tard après son arrestation il réunira 50 000 personnes au Parc des Princes. Progressivement son audience lui permit en 1974 d’emporter les élections aux caisses maladie des indépendants. Il commit alors l’erreur fatale de prendre la présidence de la CANAM mais resta longtemps encore à la tête de son syndicat embourbé et déclinant (5).

L’impact du CID-Unati se mesura aussi par l’adoption de la fameuse Loi Royer en 1973 qui prétendait freiner l’implantation des grandes surfaces car le mouvement s’était particulièrement illustré par la protestation contre l’essor de la grande distribution, et particulièrement des hypermarchés à la fin des années 1960.

Souvent assimilé au populisme, dont il se revendique en partie, le Front national est, en fait, d’une autre nature, au moins au départ.

On se trompe totalement en ne voyant en Jean-Marie Le Pen que "le plus jeune élu de 1956", seulement porté par la vague poujadiste. Contrairement à Poujade, et surtout à Nicoud, Jean-Marie Le Pen est avant tout un nationaliste, militant anticommuniste du Quartier Latin dans les années 1950. Le vieux Poujade se plaint encore de l’assimilation.

Néanmoins, dans l’univers de la droite strictement nationaliste, le FN végéta pendant 10 ans avant de prendre un essor, "populiste", dans les années 1980 et sa plate-forme inclut de nombreux thèmes populistes.

Contrairement aux poussées de la plupart de ses devanciers, ou de ses homologues étrangers (6), le FN s’est installé dans la durée, près de 20 ans après son premier succès électoral, son président obtenant 17 % en avril 2002.

On a vu naître deux concurrents à ce parti : le mouvement mégrétiste, dissident à partir de 1998, nullement populiste lui, mais au contraire ressenti comme technocrate, a été rapidement rejeté par les électeurs, alors qu’il représentait une partie importante de l’appareil, la plupart des intellectuels etc. Preuve supplémentaire que l’électorat FN est beaucoup plus populiste que bonapartiste.

Autre concurrence, plus étonnante et plus durable, le mouvement Chasseur de Saint-Josse qui a encore obtenu le score énorme de 4,2 % à la présidentielle de 2002 après avoir passé la barre de 5 % aux Européennes de 1999.

Si, par conséquent, les voix obtenus en avril et les déçus qui pensent en octobre que le chef de l’État pour lequel ils ont voté n’a rien compris, on peut donc penser le populisme a de beaux jours devant lui en France…

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Publié par Libération ce 21 octobre effectué par BVA le 15 octobre.

(2) Pie X, que Guillaume Apollinaire saluait comme "le plus moderne des Européens", et Maurras comme "le sauveur de la France".

(3) Le mouvement "Uomo Qualunque"(= Monsieur Tout le Monde) de l’immédiat après-guerre a précédé le Mouvement social italien. Il peut paraître surprenant qu’un mouvement comme le fascisme italien, dont le mot d’ordre était "mieux vaut vivre un jour comme un lion que toute une vie comme un mouton" se soit identifié, du jour au lendemain, à l’homme de la rue. On remarquera que l’expression "Monsieur Français Moyen" est d'origine similaire, dans les années 1930.

(4) Le parti gaulliste ayant éclaté malgré ses 121 députés élus en 1951, "le rassemblement étant devenu une débandade", certains ont émis l’hypothèse d’un simple transfert de De Gaulle vers Poujade. C’est la thèse trop sommaire de Léon Blum qui parlait de la tradition du "césarisme insurrectionnel" de la droite française. Le poujadisme est insurrectionnel : il n’est pas "césariste", il chasse en terres radicales et royalistes. On le trouve en pointe dans des fiefs radicaux comme le Vaucluse beaucoup plus que dans les bastions traditionnels de la culture bonapartiste (Charente, Gers).

(5) Il sera encore réélu pour la 10 fois secrétaire général en novembre 1978 avec 96 % des voix.

(6) Généralement disparus en 3 ou 4 ans, à l’exception du mouvement antifisc "georgiste" danois.

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