COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
LUNDI 18 NOVEMBRE 2002
A QUI PROFITE LE SURENDETTEMENT TECHNOCRATIQUE ?
Les hommes de lÉtat nont toujours pas compris ce quest le capitalisme
Cest un vrai progrès de la démocratie française, que davoir institué, sous le gouvernement Jospin, la remise au parlement dun rapport annuel sur lactivité de lÉtat actionnaire.
Mais javoue attendre cependant un autre progrès, celui qui rendra un tel document sans objet, par extinction des participations industrielles de lÉtat français.
Il est également dommage que le document de référence (1) émane de la Direction du Trésor.
Dune part, en effet, cette haute structure est caractéristique du pouvoir de lInspection des Finances. Elle se trouve ainsi juge et partie. Or, son rapport annuel sert de base à lune des discussions les plus intéressantes du débat budgétaire, celle ayant trait aux discrets comptes spéciaux du Trésor.
Dautre part, tout au long du XXe siècle on a pu mesurer la malfaisance en tant que réseau de pouvoir de cette petite féodalité technocratique. Elle a été encore illustrée par exemple, dans les années 1980, par les Trichet et Haberer. Le questionnement de lÉtat actionnaire avait été initié par quelques parlementaires libéraux comme François dAubert et Alain Griotteray à loccasion de leur rapport de juillet 1994 consacré au scandale du Crédit Lyonnais. Cest sans doute cette logique qui semble avoir incité, près de 10 ans plus tard, les socialistes à reprendre à leur compte ce crible nécessaire de nos finances publiques.
Or, quelles que soient ces réserves, ce rapport spécial mériterait plus dattention de la part du grand public.
Plus précisément un point mérite dêtre relevé. Fort opportunément, Les Échos (2) y accordent une importance justifiée. Il ressort, en effet, des comptes consolidés des entreprises publiques françaises quelles sont passées globalement de 104 milliards deuros de "dettes financières nettes" arrêtées au 31 décembre 1997 à 156 milliards deuros en 2001. Pour faire bonne figure, le Ministère des Finances calcule aussi un élégant ratio de dette nette rapportée aux fonds propres de ces entreprises ce qui permet de dire que le ratio est passé de 250 % à 247 %. Mais en réalité cela veut seulement dire quen même temps que leurs directions technocratiques augmentaient le surendettement de ces groupes (2,5 fois leurs fonds propres), lÉtat faisait, aux frais du contribuable, ce quon a pris lhabitude dappeler sans rire son "devoir dactionnaire" en recapitalisant certaines entreprises publiques en déconfiture permanente.
Soulignons que ce tableau nest pas exhaustif. On ny trouve pas Renault, volé en 1946 à lun des plus grands industriels français du XXe siècle et dont il ne semble pas quon puisse encore la considérer comme privatisée. On ny trouve pas non plus Bull, cette petite merveille grâce aux subventions en faveur de laquelle, la France, premier pays du monde à avoir produit un micro ordinateur (3) nen fabrique plus aucun aujourdhui, un nombre considérable de ses meilleurs ingénieurs étant curieusement domiciliés dans lancienne colonie espagnole de Californie, sans doute à la recherche du masque de Zorro. Or, Bull a encore reçu une aide en trésorerie pour 2002, versée par lÉtat français, avec la bienveillante autorisation de lUnion Européenne, à concurrence de 450 millions d'euros (4).
On ne sétonnera pas de retrouver dans les grandes masses de ces 156 milliards, lénorme dette ferroviaire, cest-à-dire à la fois celle du Réseau Ferré Français, dette financière passée de 22,5 milliards deuros à 25,7 et celle de la SNCF ramenée à 23 milliards par diverses manuvres de tuyauterie comptable. EDF est passée de 20 à 22 milliards et la vedette est évidemment France Télécom à 63 milliards, soit une brillante multiplication par 4 en 4 ans du fait du coup de folie de lexcellent M. Bon.
Précisons que ces dettes, qualifiées de "financières" ne comptabilisent pas les engagements résultants de régimes de retraites spéciaux réputés irréformables.
Pourquoi tous ces technocrates sont-ils ainsi devenus fous ? Voilà la véritable interrogation.
Il existe question à cette plusieurs réponses.
La première ressemble fort à ce que lUnion soviétique a connu, dans ses dernières années, avec lère Brejnev, en partie du fait de la maladie des secrétaires généraux successifs : il ny a plus personne pour contrôler la technostructure dÉtat. Trichet était tétanisé devant Haberer comme les apparatchiks de Moscou létaient devant le complexe militaro-industriel.
Plus largement, les instruments intellectuels de la critique des décisions font cruellement défaut à nos brillants sujets, émoulus décoles, où lon na toujours intégré, bientôt 1 000 ans après son invention dans les villes marchandes de Flandre et dItalie du nord, la philosophie inhérente à la comptabilité en partie double.
Pour nos énarques, "le temps nest pas de largent", "qui fait des dettes senrichit" et, puisque Aristote et Thomas dAquin lont écrit "lArgent ne fait pas de petits." En un mot comme en cent, non seulement aucun dentre eux ne sera présent à la Marche pour le Capitalisme (5), mais ils ne sauraient même en comprendre les motivations.
En revisitant récemment lun des meilleurs classiques du conspirationnisme (6), on retrouve avec plaisir une question que lon devrait prendre au sérieux : à qui profitent les dettes et les déficits des États ?
Lendettement nest daucun bénéfice pour les peuples. Mais il profite aux syndicats financiers organisant le crédit international. Ces syndicats financiers retrouvent certes des couleurs depuis que le président Bush a restauré le déficit américain pour faire face au défi du 11 septembre. Mais à défaut de pouvoir détruire, eux-mêmes, à nouveau les tours jumelles de New York, les syndicats financiers savent aussi faire leur miel de lautodestruction à laquelle semploient les dirigeants de Paris.
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(1) Il éclipse en effet lexcellent petit rapport, parlementaire celui-là, de M. Diefenbacher, député du Lot-et-Garonne, rapport 256-43 du 14 novembre.
(2) Édition du 15 novembre, page 3.
(3) Ce premier micro-ordinateur de lHistoire de linformatique était le Micral 8008, conçu par linformaticien français André Truong et fabriqué en 1973 par sa société E2R, mais Bull ny était pour rien.
(4) Cette aide en trésorerie est cependant inférieure aux pertes de lannée de Bull, soit 542 millions deuros. Consolant, nest-ce pas ?
(5) Manifestation organisée par lavant-garde libérale parisienne ce 1er décembre à 14 h 30, place de la Bastille.
(6) "Une main cachée dirige" par Jacques Bordiot, à nouveau disponible chez Duquesne Diffusion, 27, avenue Duquesne 75007 Paris tel 01 47 55 87 55
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