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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 29 NOVEMBRE 2002

UN ARRET QUI BOULEVERSE LE DEBAT FRANCO-FRANCAIS SUR LES RETRAITES...

L'arrêt Danner du 3 octobre 2002...

Pour consulter le Texte intégral et les conclusions de l'avocat général Jacobs

Dans nos précédents Courriers, nous affirmions que "la Cour Européenne de Justice vient d’ouvrir une nouvelle brèche en faveur de la capitalisation, certes à la marge, certes susceptible d’entrer dans le champ des expérimentations régionales, mais évidemment de nature à liquider toutes les velléités de créer un système supplémentaire, un "3e étage" de l’assurance-vieillesse captée par les syndicats."

Nous demandons à nos lecteurs de prendre en effet connaissance ici des points essentiels de cette affaire, exemple fort éclairant, nous semble-t-il, de la démarche générale du Droit communautaire européen.

Par ordonnance du 22 mars 2000, parvenue à la Cour le 10 avril suivant, le Tribunal administratif de Kuopio en Finlande posait une question préjudicielle relative à l'interprétation du traité CE.

Il s'agissait au départ d'un recours introduit par M. Danner contre le refus de la Commission de vérification fiscale de lui accorder la déduction intégrale des cotisations d'assurance retraite qu'il a versées à des régimes d'assurance retraite gérés par des institutions allemandes. En vertu de l'article 96, paragraphe 1, de la Loi fiscale finlandaise relative à l'impôt sur le revenu, les cotisations d'assurance retraite versées à certains régimes obligatoires ou légaux sont déductibles en totalité du revenu salarial net. Cette règle s'applique également dans le cas des régimes étrangers similaires. En revanche, un régime juridique différent est appliqué aux cotisations d'assurance retraite volontaire selon qu'elles sont versées à des organismes établis en Finlande ou à l'étranger.

Tel serait exactement le cas des éventuels "fonds de pension à la française" dont on évoque périodiquement la création. Tel est déjà le cas des fameux produits dits "Loi Madelin" verrouillés par les caisses et qui, par exemple, imposent des conditions irrecevables du point de vue des libertés sociales.

Dans le cas d'espèce, le Dr Danner est un médecin possédant les deux nationalités allemande et finlandaise. Il a vécu et travaillé en Allemagne jusqu'en 1977, époque à laquelle il s'est établi en Finlande. En 1976, il a commencé à verser des cotisations d'assurance retraite à deux institutions allemandes, la Bundesversicherungsanstalt für Angestellte ("BfA") et la Berliner Ärzteversorgung. La BfA gère un régime général d'assurance retraite qui est en principe obligatoire pour toute personne travaillant en Allemagne en qualité de salarié. Après son installation en Finlande, M. Danner a décidé de continuer à verser des cotisations aux deux régimes mentionnés au point précédent. Il a justifié ce choix par deux considérations. D'une part, même s'il n'était plus tenu de le faire, il devait néanmoins continuer à verser des cotisations à la BfA s'il souhaitait bénéficier d'une pension en cas d'invalidité. D'autre part, les cotisations versées à ces deux régimes augmentaient ses droits à pension. Il a donc soutenu que lesdites cotisations devaient être déductibles dans la même mesure que des cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire contractés avec des institutions finlandaises, à savoir dans la limite de 60 % des cotisations acquittées et de 30 000 FIM par an, conformément à la règle fiscale finlandaise.

La juridiction de renvoi demandait en substance si une réglementation fiscale d'un État membre qui restreint ou exclut la faculté de déduire aux fins de l'impôt sur le revenu des cotisations d'assurance retraite volontaire versées à des prestataires de pensions établis dans d'autres États membres tout en accordant la faculté de déduire de telles cotisations lorsqu'elles sont versées à des organismes établis dans le premier État membre est contraire aux articles 6, 59, 60, 73 B, 73 D et 92 du traité.

À titre liminaire, la Cour de justice a considéré "qu'il y a lieu de constater que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services s'appliquent à une situation telle que celle du litige au principal."

Elle a également rappelé que "les cotisations que verse M. Danner constituent bien la contrepartie économique des pensions qui lui seront servies lorsqu'il cessera d'exercer ses activités". Ce point semble évident : il s'inscrit en faux contre la théorie répartitionniste qui prévaut encore dans les caisses sociales françaises et dans les Tribunaux des affaires de sécurité sociale.

L'argument de l'État finlandais était très proche de l'argumentation courante de l'État français. Les gouvernements finlandais et danois ont en effet fait valoir que la réglementation en cause au principal peut être justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal finlandais. On retrouve exactement la rhétorique retenue par le procureur Tesauro en 1993 pour défendre les caisses monopolistes françaises.

Au total la cour a cependant donné raison à la cause de la Liberté :

"LA COUR (cinquième chambre), statuant sur la question à elle soumise par le Kuopion hallinto-oikeus, par ordonnance du 22 mars 2000, dit pour droit: L'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation fiscale d'un État membre qui restreint ou exclut la faculté de déduire aux fins de l'impôt sur le revenu des cotisations d'assurance retraite volontaire versées à des prestataires de pensions établis dans d'autres États membres tout en accordant la faculté de déduire de telles cotisations lorsqu'elles sont versées à des organismes établis dans le premier État membre, si elle n'exclut pas en même temps le caractère imposable des pensions versées par lesdits prestataires de pensions." Juges :Jann von Bahr Edward, La Pergola, Wathelet "ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 octobre 2002."

JG Malliarakis

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