COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 3 DÉCEMBRE 2002
LA GAUCHE LA PLUS ARCHAÏQUE DU MONDE EST EN ROUTE VERS LA PLANETE DES SINGES
Quand le prix du livre déconomie 2002 est décerné à Pascal Bruckner "parce quil est un profane en la matière"
En examinant un peu attentivement les thèses, les théories et la dialectique de la nouvelle gauche extrême, particulièrement celle que représente Attac et son nouveau chef de file, le camarade Nikonoff, on la découvre encore plus archaïque. Lidée simple et banale consisterait à dire : tous ces gens sont des marxistes. Et ce sont, en effet, des admirateurs de Fidel Castro, des enthousiastes soutiens du Vietnam communiste, des nostalgiques, selon leurs sensibilités si diverses, de Staline, de Lénine, de Trostki ou de Mao Tsé-toung.
Si lon sen tient là, on na guère mesuré le vrai danger représenté par la forme actuelle de leur idéologie.
Tout dabord, et même en tenant pour effective la filiation évoquée, elle neffraie quune toute petite minorité de nos concitoyens qui ont le courage davoir peur du rouge. Culturellement la Ve République a toujours célébré Lénine et Mao Tsé-toung. Le grand prêtre Malraux en était même un zélateur plus fervent que la grande prêtresse Jack Lang (1). Monsieur Giscard alla jusquà fleurir le tombeau de Lénine sur la Place Rouge. Et de moindres sires, comme lactuel ministre de la Culture Aillagon ou le grand dadais locataire du quai dOrsay Dominique de Villepin, ont encore cru nécessaire, en cet automne 2002, de concélébrer la mémoire du surréaliste chilien, stalinien impénitent tel Pablo Neruda, le grand artiste Matta arraché à notre affection mais non à notre admiration convenue.
La gauche culturelle a toujours bonne presse dans les salons parisiens où il vaut mieux avoir été communiste, et lêtre encore secrètement aujourdhui, que davoir été anticommuniste dans sa jeunesse lointaine. Ne parlons même pas de gens qui, comme votre serviteur, sont restés des adversaires radicaux du communisme, du marxisme et du stalinisme : nous nexistons même pas. Ceci est tellement banal que jai presque scrupule à le rappeler ici.
Ce dont, en revanche, on est moins habitué à mesurer limpact, cest la nouvelle régression dont les actuels courants de gauche et dextrême gauche se sont entichés.
On remarquera ainsi que le thème dominant de leur discours à lencontre de ce quils appellent la mondialisation cest en apparence le thème de la régulation. À linstar de lHumanité, ils prennent lhabitude de dire quils ne sont "pas anti-mondialisation", mais "pour une autre mondialisation". Ce barbarisme langagier cherche à imposer le terme dalter-mondialisation. Lidée serait que les peuples imposeraient de la sorte des régulations entravant les conséquences pourtant inéluctables de lexistence de marchés mondiaux. Et le point central de cette utopie serait alors que la résistance des peuples serait le fait des réglementations administratives sécrétées par les États.
Il néchappe à la sagacité daucun de mes interlocuteurs que la gauche na certainement pas le monopole de cette inclination. La droite en a plus que sa part. Et personnellement, cest en découvrant linanité absolue de cette conception étatique, et des interventions administratives dont elle constitue la justification théorique, que jai forgé ma conviction inverse en faveur dun libre échange, dune libre concurrence et dun renouveau de la libre entreprise individuelle comme conditions économiques du renouveau de la France.
Mais précisément, la mode actuelle nest pas à léconomie : elle est à lantiéconomisme. Dès le succès foudroyant et consternant de Viviane Forrester et de son irrecevable "horreur économique", on pouvait le pressentir. Puis la canonisation de Pierre Bourdieu a permis de faire éclore cette fleur vénéneuse, héritière à vrai dire de lanti-humanisme philosophique de Sorbonne. Aujourdhui, la bourdieuserie se répand comme les plaies dÉgypte. La boîte de Pandore est ouverte
Et cest ainsi que, le 30 novembre, le Sénat en est arrivé à participer officiellement à la remise dun prix du livre déconomie 2002 à M. Pascal Bruckner. Je ne discute pas les mérites de cet estimable philosophe de gauche atypique et non-conformiste (2). Je constate simplement que la régression est venue dun jury présidé par le financier de presse, Ladreit de Lacharière, décernant le prix déconomie à un auteur "parce quil est un profane en la matière" nayant aucune compétence pour parler déconomie. Le titre même, "Misère de la Prospérité" renvoie au débat Marx-Proudhon.
Atteindre un tel degré de la décadence intellectuelle de notre pays nest, hélas, pas un cas unique. M. Bruckner parle, comme José Bové, de "marchandisation de la vie", il dénonce "la sacralisation de léconomie et du capitalisme" et il prône une "sortie de léconomisme". En cela on peut concevoir quil nest pas marxiste. Il est dans une pensée archaïque antérieure à Marx (3).
Au lieu de voir ce quune saine approche de léconomie apporte au progrès humain, la gauche française semble vouloir se précipiter, avec la solidarité culturelle dune certaine droite, dans des expériences qui, sans doute, ne "sacraliseront" pas léconomisme mais qui diviniseront, comme par le passé, la science sans conscience, la science écologiste ou la technique sans mesure, instaurant la toute puissance dune forme nouvelle du totalitarisme dÉtat.
La gauche française est en route vers la planète des Singes. Ne lui tenons pas compagnie.
JG Malliarakis
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(1) Une parenthèse pour dire que lexpression "grande prêtresse" appliquée à la diva dopérette de notre gauche caviar a "interpellé" certains lecteurs : je la maintiens dautant plus résolument.
(2) Dont on a pu apprécier, par exemple, "Le Sanglot de lhomme blanc" (Seuil).
(3) Sans faire ici lapologie de Marx qui, au moins, était un économiste, on remarquera que cette pensée archaïque est même antérieure à "lÉconomique" de Xénophon, et quelle est assurément étrangère à la sagesse de lÉvangile où il est dit "Rendez à César ce qui est à César, rendez à Dieu, ce qui est à Dieu".
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