COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 6 DECEMBRE 2002
M. FILLON NE FAIT QUE SUSPENDRE LHERITAGE JOSPIN-AUBRY
Il ne parvient pas à liquider la réglementation et la limitation malthusiennes de loffre du travail
LAssemblée nationale a achevé dans la nuit du 5 au 6 décembre lexamen en première lecture du projet de réforme de la loi dite de Modernisation sociale fabriquée par le gouvernement Jospin avec le concours des communistes.
Le nouveau texte prévoit notamment la suspension pendant 18 mois de plusieurs dispositions sur les licenciements économiques.
Le projet initial prévoyait la suspension de 9 articles, qui allongeaient les délais et qui renforçaient la protection juridique rigide et artificielle des salariés. La majorité a ajouté par voie damendements 2 autres articles à cette liste, suspendant notamment la disposition, dite "amendement Michelin". Celui-ci obligeait l'entreprise à négocier le passage au 35 heures avant de procéder à un plan social. Les députés ont également adopté un amendement proposé par plusieurs députés UMP qui rétablit la charge de la preuve dans les affaires de "harcèlement moral" en entreprise (1).
En revanche, un autre amendement déposé par des députés de droite proposait dabroger la disposition dite "Samaritaine". Celle-ci impose la réintégration dans lentreprise dun salarié dont le licenciement économique a été annulé. L'amendement a été retiré par ses auteurs, sous la pression de lUMP de MM. Juppé et Barrot, avant même dêtre discuté, alors quil avait été adopté en commission.
M. Fillon parvient donc au mieux à suspendre certains aspects, les plus criards, de lhéritage Jospin-Aubry.
Il ne les liquide pas.
Ayons dailleurs la galanterie, eu égard aux malheurs politiques de Mme Aubry, de ne pas trop chercher, non plus, dans la liste des 70 métiers réputés davenir selon lanalyse du Commissariat Général au Plan, un quelconque des 22 métiers nouveaux imaginés par elle en 1997, lorsquon mit en place le dispositif des "emplois-jeunes".
Car une nouveauté vient alimenter le débat social. M. Clause Seibel qui porte le titre dinspecteur général de lInsee vient de publier un nouveau rapport "Avenir des Métiers" dont Libération (5 décembre) fait sa première page, un journal un peu plus sérieux comme les Échos ne lui consacrant le même jour que sa 3e page.
Bien que ce rapport Seibel soit théoriquement issu dun groupe de travail, cest-à-dire dune équipe pluridisciplinaire réunie par le Plan en vue détudier la "Prospective des Métiers et des Qualifications", on ne sétonnera pas que son raisonnement, fil conducteur du travail, soit essentiellement statistique. On se base sur des bilans établis par la DARES, cest-à-dire par le Ministère du Travail et des Affaires sociales. Les métiers davenir sont ceux où la période 2000-2002 verra peu de départs en retraite et une forte croissance des besoins. Cas décole : les informaticiens dont 56 000 sur les 590 000 actuellement en activité seront en retraite en 2010 alors que nous dit-on 204 400 "emplois" nets seront créés sur 10 ans.
Ainsi donc la DARES sait quen 2010 la France emploiera 794 000 informaticiens. Et comme on serait heureux de savoir aussi ce quest, exactement, dans cette perspective un " informaticien ". De même, les professions de santé gagneraient, selon les mêmes perspectives 239 700 emplois nets pour un emploi actuel évalué à 2 095 000 et 362 500 départs en retraite. Il est évidemment un peu regrettable quune pareille prévision nait pas présidé il y a 20 ans ou 25 ans à la planification de la démographie médicale. Cela aurait permis déviter la situation dommageable actuelle où le malthusianisme ("il y a trop de médecins") oblige désormais la France à faire appel à des praticiens étrangers (2).
Reconnaissons cependant un mérite non négligeable à cette étude statistique, dont on devrait retenir au moins une constatation pratique, le rapport Seibel remarque en effet : "il ny a pas de lien direct entre la baisse de la population active et celle du chômage".
Ceci nest pas surprenant pour un économiste sérieux. Mais ceci va à lencontre de 20 ans de politique malthusienne de limitation de loffre du travail en France.
En 1981, lorsque Mitterrand arriva au pouvoir il imagina réduire le chômage qui navait cessé de progresser durant les années 1970 en instaurant la retraite à 60 ans. Cette manipulation était fondée sur lidée rustique de la limitation de loffre de travail. Combinée avec labsurde doctrine "néo-keynesienne" de la relance par la consommation populaire cette politique entraîna les effets désastreux que lon sait.
En 1997, le gouvernement Jospin appliqua une recette différente puisée dans le même livre de cuisine. En réduisant de 39 à 35 heures la durée réglementaire du travail nos malthusiens nationaux croyaient "créer des emplois". Il se trouve que la conjoncture 1998-2000 légèrement plus favorable put donner lillusion à la mégère Aubry davoir fait reculer le chômage avec sa RTT (3) et ses emplois-jeunes.
À lautomne 2000, Mme Aubry comprit que, la conjoncture se retournant, il était temps pour elle de partir. Elle préférait le faire sur limpression dun bon souvenir, avant que les désastres commencent à sinscrire dans les esprits comme conséquences de cette nouvelle version de la doctrine malthusienne de limitation de loffre de travail.
Certes, dans la grande déprime actuelle du socialisme on ne peut pas dire que Mme Aubry capitalise à son profit une popularité proportionnelle, auprès "des masses laborieuses", à limpopularité dont elle bénéficie à coup sûr auprès des entrepreneurs. On notera quand même que son parachutage ne la pas empêchée de succéder à Pierre Mauroy à la Mairie de Lille : nest-ce pas déjà beaucoup ? Et même si sa carrière personnelle ne suivait pas demain le cours glorieux rêvé hier par Jacques Delors le cauchemar dun retour du socialisme pur et dur peut très bien sincarner en dautres personnages autour, par exemple, du "nouveau monde" (Emmanuelli, Dray, etc.) pire encore, sinon du point de vue caractériel, du moins dans lordre idéologique.
Or, parmi les critiques que lon peut faire à M. Fillon, outre ses atermoiements dans ce qui devrait être labrogation pure et simple des lois Aubry sur les 35 heures, outre le mauvais remake des emplois jeunes qui deviendront un programme "civis", qui sera supporté en partie par les Régions, on notera quaucune pédagogie nest faite pour expliquer
Sans doute ce qui, en France, tient lieu de droite méprise trop les idées et le champ social pour combattre sur ce terrain et donc pour vaincre durablement la gauche marxisante et ses malfaisantes utopies.
JG Malliarakis
(1) En obligeant les salariés qui se disent victimes à "établir des faits" et plus seulement à présenter "des éléments de fait" on ne fait que se conformer aux principes généraux du Droit, la charge de la preuve incombant normalement au demandeur. Ne pourrait-on pas profiter de loccasion et rappeler ce principe de manière plus solennelle à nos soi-disant "législateurs" ? Ce serait sans doute préférable à un discret amendement suspensif voté lors dune séance de nuit.
(2) Et ceci dans un pays qui se targue volontiers encore de disposer du meilleur système de santé du monde.
(3) À noter dailleurs que le sigle RTT fut une invention dialectique des bureaucraties syndicales de fonctionnaires qui demandèrent à bénéficier de la même réduction proportionnelle du temps de travail que celle accordée au secteur privé.
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