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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 13 DECEMBRE 2002

LA REFORME DU STATUT PENAL DU CHEF DE L’ETAT

Un cautère sur une jambe de bois

Durant la campagne présidentielle, un assaut de promesses avait amené M. Chirac à surenchérir sur son Premier ministre d’alors, et néanmoins adversaire, supposé, jusqu’au soir du 21 avril, principal concurrent, à propos du statut pénal du chef de l’État.

La phrase décisive, promettant formellement une réforme, aura été prononcée le 11 mars (1). Et, compte tenu de sa réputation de super-menteur, le Président élu se trouvait contraint de faire ce qu’il avait annoncé. Il a donc demandé à une commission de juristes présidée par le constitutionnaliste Pierre Avril de faire des propositions.

Et ce qui devait arriver est arrivé le 10 décembre. Un Rapport de 85 pages a été remis. La Commission sur la révision du statut pénal conclut de la sorte, pour résumer, que "le président doit être intouchable mais il peut cesser d’être président".

On s’achemine donc vers une nouvelle rédaction du Titre IX de la Constitution consacré à la Haute Cour, soit à modifier les articles 67 et 68.

Le premier article disposera explicitement non seulement l’irresponsabilité présidentielle mais également l’impossibilité pratique de l’attraire par une démarche de procédure dans aucune obligation de comparaître devant un magistrat, même comme témoin.

Au fond, tout cela semble conforme aux traditions françaises, à l’essence monarchique du pouvoir mais également au bon sens traditionnel de ce pays. Il n’est pas acceptable qu’on puisse convoquer devant un juge d’instruction un personnage dont chacun doit penser qu’il est "au-dessus tout soupçon". On a pu le dire autrement, à Rome, "La femme de César ne doit même pas être soupçonnée."

Reste hélas que nous n’en sommes plus ni à Rome, ni dans un régime républicain (2), c’est-à-dire un régime fondé sur la Vertu.

De plus, sous la Cinquième République, dans la pratique, le président n’est pas seulement le chef de l’État, il fait aussi fonction lorsqu’on n’est pas dans les situations dites de "cohabitation", de maître véritable du gouvernement.

Cela est si vrai que le président de la République française est le seul parmi les chefs d’État en titre à se rendre au Conseil européen de Copenhague. C’est lui qui dirige la diplomatie française et si le concept de domaine réservé n’est pas écrit dans la Constitution, il est inscrit dans sa pratique, y compris lors des périodes de cohabitation.

On a dit de la réforme bancale instituant le quinquennat qu’elle allait supprimer la cohabitation. Ce n’est qu’à moitié vrai car divers paramètres peuvent contrarier la coïncidence actuelle entre le comput présidentiel et le calendrier parlementaire.

La réalité au contraire c’est que cette réforme accentue, non pas le caractère présidentialiste du régime, au sens où la France n’est pas alignée sur le présidentialisme américain, mais son caractère bonapartiste.

En ce sens, M. Philippe Nemo démontre avec raison (3) que le gaullisme, issu de la tradition bonapartiste, avec son concept même de rassemblement, tourne le dos au parlementarisme et bien plus encore à la démocratie car il balaye le débat d’idées.

Réformer, clarifier les articles 67 et 68 de la Constitution est peut-être une bonne idée. Il faudrait surtout chasser de la tête enflée de gens comme Montebourg que l’on peut s'amuser à tenter de poursuivre M. Chirac en justice, du moins dans l’exercice de son mandat, puisque la démarche consiste en fait à déstabiliser le pouvoir.

En fait, la tare fondamentale du régime demeure. Il est coupé du peuple et de ses représentants. On peut tout à loisir qualifier de populisme la revendication d’une réforme rapprochant les gouvernants des gouvernés. Et il sera de bon ton de stigmatiser alors le populisme, en oubliant que ce mot mériterait d’abord d’être défini.

Si le populisme repose sur un constat de la défaillance des démocraties, la faute en incombe à ceux qui dirigent effectivement nos démocraties. Celles-ci apparaissent de plus en plus purement nominales. Nos démocraties semblent hélas accaparées par des partis, par des cercles technocratiques et par des syndicats qui ne représentent plus grand-chose.

La France vient en tête en Europe avec son système complètement "personnel", basé sur l’élection d’un seul homme, champion du concours corrézien du nombre de mains serrées à l’année, mais dépourvu de tout programme, rassembleur unanimiste des drapeaux marocains et algériens, grand totem sous les cocotiers.

Tant que l’on n’aura pas mesuré la déliquescence issue de l’élection du président au suffrage universel instauré en 1962, tant que l’on n’aura pas instauré une véritable séparation des pouvoirs redonnant ses droits à un parlement authentiquement représentatif du peuple, la France continuera de s’enliser et toutes les réformes mineures seront autant de cautères sur une jambe de bois.

JG Malliarakis

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(1) Sur France 2 : "Si je suis élu, je réunirai les plus grands constitutionnalistes […] pour me faire des propositions de réforme. Et ces propositions, je les suivrai."

(2) Tel que l’imaginait éventuellement un Montesquieu.

(3) Dans son récent livre-manuel "Histoire des Idées Politiques aux temps modernes et contemporains" (prolongeant son précédent et indispensable volume "Histoire des Idées Politiques dans l’Antiquité et au Moyen âge") Paris, PUF coll. Quadrige, 2002, cf. pages 1090 et 1091.

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