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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 16 DECEMBRE 2002

L’HYPOCRISIE DES CRITERES DE COPENHAGUE

Serviront-ils la cause de l’Europe des Libertés ?

Au lendemain de la réunion du Conseil Européen à Copenhague, il semble que les paradoxes de la nouvelle géopolitique mondiale, consécutive au 11 septembre, n’ont fait que se renforcer au détriment de l’Europe.

Certes, on devrait pouvoir se réjouir pleinement de voir les nations nanties de l’Europe de l’Ouest s’ouvrir aux 10 nations sœurs sacrifiées à Yalta et ruinées par l’héritage d’un demi-siècle d’emprise communiste.

Mais ce sentiment-là ne se retrouve pas dans le discours de la France officielle qui, par la voix de M. Chirac, s’est encore bornée à dire que ce XX siècle a été marqué diverses "catastrophes", au nombre desquelles le locataire de l’Élysée ne semble pas se rendre compte qu’il y a eut Europe au moins 80 millions de victimes du communisme. Un mot qu'il refuse de prononcer.

Ainsi la signification de l’élargissement est immédiatement foulée aux pieds et les Polonais, par exemple, nation si symbolique aussi bien des crimes de Staline allié de Hitler en 1939 que des concessions incroyables de l’Occident à Yalta en 1945 que de la lutte victorieuse contre l’oppression à partir de 1981, sont simplement présentés comme de vilains négociateurs, coupables de vouloir que leurs agriculteurs soient traités à égalité avec les électeurs de M. Chirac.

Après avoir entendu France Culture employer (1), au sujet des Polonais l’expression de "marchands de tapis", on se bornera à rappeler qu’un marchand de tapis a, face à un riche acheteur de tapis qui marchande, l’excuse de défendre le pain de sa famille.

Ainsi donc, même la joie du symbole de cette grande ouverture de l’Europe paraît ternie par le contexte lamentable de l’opinion française par l’indifférence de nos pays gavés et par les incertitudes quant au devenir de l’Europe.

Car les concessions majeures faites à la candidature d’un pays extra européen, concessions imposées par les pressions des États-Unis mais acceptées par les soi-disant "grands États souverains" de l’Union européenne augurent très mal de l’avenir.

On a donc posé deux séries de critères à la Turquie.

Mais que la femme du chef du gouvernement apparaisse voilée dans des réceptions officielles, que les écoles coraniques tissent leur toile dans tout le pays et dans les pays turcophones d’Asie Centrale, que Chypre-Nord soit le paradis fiscal des confréries extrémistes à l’abri régime militaire d’occupation illégale, tout cela ne sera pas pris en compte. Au contraire, on tiendra pour caractéristique d’une saine démocratie le fait que les militaires soient priés de n’y plus exercer leur rôle de gardien de la laïcité.

Français et Anglais ont surenchéri dans la complaisance vis-à-vis des "islamistes modérés" d’Ankara. Et d’ailleurs, au final c’est la turcophilie anglaise qui s’est montrée la plus efficacement démonstrative, au point de se situer au-delà du consensus. Londres prétendait donner aux Turcs un rendez-vous immédiat pour le début des négociations d’adhésion.

Le Turkish Daily News (15 décembre) reproche donc aux Français de ne pas l’avoir permis. Et pourtant depuis plusieurs semaines MM. Chirac et de Villepin avaient tiré les marrons du feu (2), obtenant du gouvernement allemand qu’il se joigne à une déclaration déjà très favorable, trop complaisante, vis-à-vis de la Turquie.

La France officielle œuvre depuis plus de 10 ans pour la cause des Turcs en Europe. On a pu croire à un revirement après la déclaration de M. Giscard d’Estaing : le résultat est que ce sera finalement une Turquie hostile à la France qui entrerait dans l’Union européenne puisque désormais les obstacles de principes sont levés.

Restera dès lors la bataille des normes économiques et sociales dont il faut à tout prix comprendre qu’elles ne devraient pas permettre l’entrée de ce pays. Ces normes ne sont pas d’ordre identitaire, structurels et permanents dira-t-on. Elles sont juridiques, monétaires, sociales, démocratiques. Mais elles reflètent quand même quelque chose de la personnalité du pays. Les nations de l’Europe du Sud ou l'Irlande sont parvenues à juguler l’inflation, les déficits, certaines outrances réglementaires parce que, fondamentalement ces pays avaient culturellement vocation à faire partie la famille européenne. Nous avons beaucoup de mal à imaginer que la Turquie puisse faire de même, qu’elle puisse intégrer réellement dans sa législation les normes de l’Europe occidentale. Ou, si elle le fait elle risque surtout d’importer en Europe ses propres pratiques de violence.

À leur manière, les critères de Copenhague risquent donc de se révéler redoutablement hypocrites au point que l’opinion turque considérera comme ses faux-amis tous les pays qui les auront imposés. (3)

Les Européens attachés aux libertés devront faire que les normes objectives deviennent nos remparts. C’est moins lyrique que de dire avec Erdogan "nos minarets seront nos fusées". Mais ce sera d’autant plus nécessaire.

JG Malliarakis

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(1) le 14 septembre.

(2) L’évolution des relations franco-turques a un précédent historique illustre, c’est celui des relations franco-italiennes sous Napoléon III. Après que l’ancien carbonaro qu’était Louis-Napoléon Bonaparte ait tout fait pour la cause de l’unité italienne, il était parvenu cependant à faire de l’Italie un adversaire assez constant de la France, ce qu’elle demeura jusqu’en 1915 où un certain Benito Mussolini, alors socialiste interventionniste, prit avec D’Annunzio la tête de la campagne francophile. À nouveau, d’ailleurs, à partir de 1935, le francophile Mussolini, écœuré par l’attitude française elle-même sottement alignée sur l’Angleterre prit le chemin inverse et funeste que l’on sait.

(3) Et au lieu de compléter l’actuel accord de libre échange par un accord de défense, on aura une Turquie hostile à l’Europe faute d’avoir une Turquie dans l’Europe, ce que ses faux amis s’obstinent à proposer contre l’intérêt commun des Turcs et des Européens.

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