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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 11 AVRIL 2003

FAUT-IL PLEURER SUR LA MORT DU CONCORDE ?

L’échec du Concorde est une revanche de l’économie sur la technique pure

On a donc appris, de la bouche de M. Jean-Cyril Spinetta, que Air France, à la suite de British Airways renonçait ce 10 avril à exploiter l’avion supersonique Concorde. Le dernier des 12 appareils devrait s’envoler en octobre, les 5 appartenant à la compagnie française dès le 31 mai.

Il est assez surprenant d’entendre à ce sujet les commentaires nostalgiques de tous ceux pour qui la technologie est le seul critère sur lequel on devrait juger cette petite merveille.

Même M. Rod Eddington, directeur général de British Airways, a crû devoir ainsi déclarer : "Concorde nous a bien servis et nous sommes extrêmement fiers d’avoir fait voler cet appareil merveilleux et unique pendant ces 27 dernières années."

Et, certes, parmi les souvenirs, on retiendra le vol record de 1996, New York Londres en 2 heures et 53 minutes, le vol britannique autour du monde de 1988 de 47 000 km en 29 heures et 59 minutes. Et le spectaculaire vol supersonique, en formation franco-britannique de 2 appareils, lors de l’éclipse du soleil du 11 août 1999 ! Sublime ! Sublime pendant 6 minutes !

Presque aussi sublime était le prix de vente théorique d’un aller-retour Paris-New York : 8 700 Euros. À ce tarif, pas besoin de prévoir beaucoup de gros porteurs, même avec des promotions à 3 000 euros l’aller simple. Les promotions avaient certes permis, avant la crise du transport aérien depuis septembre 2001, d’afficher des taux de remplissage non ridicules. Mais actuellement ce taux était tombé à 20 %.

Lors de sa conférence de presse, le président d’Air-France a affirmé que l’arrêt de l’exploitation du Concorde permettrait à la compagnie d’économiser entre 30 et 50 millions d’euros par an.

On peut quand même trouver cette fourchette comptable étonnamment élastique.

Il nous est fourni en effet de nombreux chiffres. Ils sont précis. On nous dit que depuis 1976 l’avion a "transporté plus de 2,5 millions de passagers", que la vitesse de croisière est de 2 150 km/h, mais on ne nous dit pas ce qu’il a coûté en subventions d’État et en pertes d’exploitation des deux compagnies.

Et même aujourd’hui, avec exactement 270 agents Air-France affectés au fonctionnement des 5 appareils encore en sa possession, le président de cette Grande Entreprise Nationale (1) est incapable de dire ce qu’il coûte…

Il n’a d’ailleurs pas, sur ce point, le monopole de l’ignorance car ni la SNCF ni les journaux ne révèlent au public de quel type de rentabilité peut se prévaloir la merveille technique qu’est le TGV Paris-Marseille, quand il fonctionne.

Dès les années 1961-1962, lors du lancement du projet franco-britannique, cette infirmité comptable entache le bel avion. Copié, certes, par les Soviétiques, ce qui n’est pas nécessairement un bon signe, son prototype commence à voler à Toulouse en 1969 mais les premiers vols commerciaux n’apparaissent qu’avec 15 ans de retard en 1976. On accuse la crise du pétrole des années qui ont suivi 1973 d’avoir définitivement alourdi son coût d’exploitation. C’est un peu facile : dès la fin des années 1960, M. Jean-Jacques Servan-Schreiber s’était acquis une forte impopularité dans l’Express en démontrant que cet avion ne serait jamais rentable, même avec un pétrole à 2 ou 3 dollars le baril.

En fait, la hausse brutale du pétrole en 1973 n’avait guère fait que rattraper l’inflation occidentale.

L’échec du Concorde est une revanche de l’économie sur la technique pure, sur la science sans conscience, et il faut donc s’en féliciter. Car la vraie loi du marché c’est tout simplement l’expression des besoins et des aspirations des hommes.

Est-ce donc "humain trop humain" aux yeux des penseurs de l’extrême ?

En réalité, la technique lorsqu’elle se coupe des vérités économiques se révèle, quant à elle, très certainement inhumaine, sans point d’interrogation et elle ne fonctionne qu’au profit de quelques scientifiques, peut-être remarquables individuellement. Mais ces scientifiques eux-mêmes sont asservis aux appareils d’État (2).

Concorde est mort : ce n’est pas trop tôt.

JG Malliarakis

(1) Le concept de Grande Entreprise Nationale, avec des majuscules, est utilisé par l’Insee.

(2) Cet asservissement tragique des scientifiques à "l’État", affirmé comme une impudente loi morale, est magnifiquement dénoncé dans Le Premier cercle de Soljenitsyne: "on leur donne toute notre cervelle pour 20 grammes de beurre".

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