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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
LUNDI 12 MAI 2003
IL N'EST PAS INNOCENT DE NIER LA BAISSE DE LA COMPETITIVITE FRANÇAISE
C'est la nouvelle intoxication opérée par les tenants de la pensée unique française.
ci-dessus M. Christian de Boissieu président délégué du Conseil d'Analyse Économique
Évoquer le déclin de la France est un exercice périlleux.
Malheur même à celui qui ose en parler comme dune évidence, aisément constatable quelle que soit la date de référence. Et pourtant la plupart des observateurs étrangers en conviennent, le plus souvent pour le déplorer (1).
Aujourdhui, cest en termes économiques que la chose peut sobserver, nonobstant lécume militaire des événements.
Ainsi, par exemple, en novembre 2002, le Forum économique mondial plaçait la France au 30e rang mondial de la compétitivité internationale. Et sil est au moins une raison dêtre reconnaissant à Jean-Pierre Raffarin, cest que sa réaction fut alors dappeler nos compatriotes à rattraper le retard collectif de la nation. Cette attitude nous paraît infiniment plus honnête et plus lucide que celle de la délectation morose (2) ; mais elle est surtout bien préférable aux cocoricos outragés de ceux qui nont jamais cessé dêtre les complices et/ou les responsables de la perte lancinante de crédibilité de notre pays.
Re-disons-le au besoin : ce nest pas être un "patriote" que de nier les difficultés de sa patrie. Cest même se révéler exactement le contraire et cela est vrai dans tous les pays, du Cap Nord à la Patagonie.
Or, il existe plusieurs registres de ce "négationnisme" dun genre subtil. Le registre qui se veut scientifique est probablement le plus pervers. Plutôt quà nier lévidence, il semploie à en déplacer langle dobservation. Avec un peu dadresse, on parvient toujours à faire prendre, de la sorte, des vessies pour des lanternes.
On conviendra aisément que la compétitivité globale d'une économie nationale est, du point de vue rigoureusement scientifique, un concept multiple sinon flou, difficile à évaluer dans l'absolu. La compétition économique ne s'effectue pas entre des pays mais entre des entreprises, dont les plus importantes sont toutes transfrontalières.
Parmi les remarques à faire sur la compétitivité soulignons les 4 points suivants :
1° La compétitivité devient un concept un peu plus rigoureux, s'agissant d'un pays, si l'on mesure les coûts et les avantages de la fiscalité, des services publics, etc. Elle pourra être envisagée de plusieurs manières, par exemple en rapportant la productivité apparente du travail à l'évolution des rémunérations.
2° Le fait même que le tourisme, activité où la productivité n'a guère de sens, soit aujourd'hui considéré comme une industrie fondamentale d'un pays comme la France, devrait aussi mettre la puce à l'oreille quant à son déclin.
3° Mettre en exergue quelques résultats d'industries et d'entreprises de pointe est également un raisonnement faux. À ce compte, l'Union soviétique, pionnière de la conquête spatiale était très performante. On ne peut pas justifier, par les résultats de quelques individualités, les charges que l'étatisme impose à une collectivité.
4° On ne peut pas non plus tenir théoriser des statistiques aussi trompeuses que celles du commerce extérieur, ou même celle des investissements étrangers, dans la mesure, notamment, où tout cela est subventionné.
Sur ces 4 points, on observe exactement 4 contresens auxquels succombe le très officiel Conseil dAnalyse Économique "auprès du Premier ministre" dans un rapport rédigé par Mme Michèle Debonneuil et M. Lionel Fontagné.
Rappelons quand même que ce Conseil dAnalyse Économique a été créé par un décret (n° 97-766) du 22 juillet 1997, cest-à-dire sous le gouvernement Jospin.
Or, le Conseil dAnalyse Économique na pas été supprimé malgré la déroute du jospinisme.
Seul son président nominal a changé : cest statutairement le Premier ministre.
Mais sa composition demeure inchangée, elle sest même aggravée sous la présidence effective de M. Christian de Boissieu. Et son rapport n°40 sur la compétitivité française ne vient pas démentir lesprit de son rapport n°39 consacré à "Kyoto et léconomie de leffet de serre", avec la collaboration de lextralucide M. Lipietz, ou du rapport n°38 sur la Banque centrale européenne.
En 253 pages, nos deux rapporteurs semploient à noyer le poisson. Et la Tribune de lÉconomie du 5 mai applaudit bien fort.
À les en croire la France est compétitive parce qu'elle accueille des investissements étrangers.
On n'hésite pas à tromper l'opinion en disant que "le niveau de vie des Français (...) ne se distingue pas fondamentalement de celui des autres grands pays industrialisés de l'Union européenne". Cela ne veut strictement rien dire.
En fait, si lon suit la logique des rapporteurs la question de la compétitivité française est une fausse question. "Très mal posée". Certes... Il ne faut donc plus la poser!
Du reste, la meilleure façon de ne plus la poser serait de renoncer à toute concurrence fiscale et sociale en Europe.
Les rapporteurs se prononcent ainsi pour ce qu'on appelle l'harmonisation (3) européenne en matière fiscale et sociale. On se demande pourquoi cette demande d'harmonisation, qui n'est pas autre chose que le refus de la concurrence, puisque la France est si compétitive.
Le résultat de cette harmonisation serait peut-être même à terme dinterdire aux Européens "harmonisés" de sinterroger sur la perte globale de compétitivité de lEurope "harmonisée" dans son ensemble.
Bons princes, nos deux rapporteurs concèdent quand même que limpôt sur les sociétés est en France de 36,4 % alors que la moyenne européenne est à 32 : donc il serait peut-être trop élevé. Le débat reste discret.
En revanche, à leurs yeux, la question de la charge sociale et fiscale imposée aux petits entrepreneurs individuels ne doit même être posée : ce serait du "poujadisme".
Eh bien le "poujadisme" ne nous fait pas peur.
Ce qui nous inquiète en revanche c'est ce que nous appelons le "teuladisme"
Nous avions proposé cette appellation pour désigner cette attitude lorsque M. Jospin avait eu recours, à M. René Teulade (4) pour expliquer en janvier 2000 que le problème des retraites ne se posait pas. Nous étions alors entrés dans l'ère du "teuladisme" Et nous constatons que si le jospinisme est apparemment au plus mal, le "teuladisme", cest-à-dire lhéritage intellectuel jospinien se porte mieux que jamais.
JG Malliarakis
(1) Ainsi, Winston Churchill faisait remonter cette marginalisation à 1815 : il aurait pu dater la chose de 1763, quand le royaume de Lys se vit évincé de ses possessions dInde et d'Amérique.
(2) "Les Français sont des sots" est linsupportable rengaine des imbéciles qui nous gouvernent.
(3) Ce terme semble être l'équivalent de celui de "normalisation" dont on usait au sein de l'Europe de l'est des années 1970 après l'invasion soviétique à Prague,
(4) Sur ce grand honnête homme issu du lobby des mutuelles et du sérail de la Mitterrandie, et dont Bérégovoy fit un ministre de la sécurité sociale, nous avons suffisamment dit en son temps notre façon de penser.
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