COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 6 JUIN 2003
708 MILLIARDS DEUROS ET JY PERDS
L'État central français est ruiné, et il a ruiné les jeunes Français, mais il ne se reconnaît de dette que vis à vis de ses fonctionnaires
On a appris le même jour, ce 3 juin, deux nouvelles non négligeables. La première concernait la fiscalité de lépargne en Europe et cétait en somme une sorte de victoire pour le fiscalisme français puisquà terme tous les pays européens, même la Suisse, vont accepter sinon la levée du secret bancaire, du moins une atténuation de son attractivité. Une retenue à la source, passant progressivement de 15 à 35 % des revenus de placement et dont 75 % sera reversée au pays dorigine de lépargnant sera prélevée sur les comptes non-résidents. Tout nest pas fini pour les comptes à numéros, mais on doit reconnaître quune telle décision est une grande victoire pour les gardiens de lenfer fiscal.
En même temps, lÉtat français a dû se résoudre à publier pour la première fois depuis 20 ans un état de ce qui, dans une comptabilité commerciale normale, relevait autrefois de la publication des engagements hors-bilans. Il sagit des engagements au titre des retraites. Cette évaluation était doublement délicate pour la comptabilité publique. Dabord, les forts quotients intellectuels qui pensent à la place des Français depuis les bureaux du Quai de Bercy sont moins bons en comptabilité quen science administrative. Et, dautre part, il fallait bien trancher entre diverses modalités de calcul.
Précisons par exemple quil fallait entreprendre un calcul actuariel. Une telle opération suppose l'hypothèse dun taux dintérêt réel. Celui-ci a été évalué à 3 %. Il fallait aussi incorporer le maquis complexe des régimes spéciaux. Et il convenait également de tenir d'une présomption de lespérance de survie des pensionnés, non seulement celle des fonctionnaires de lÉtat et des agents de services publics, mais aussi celle de leurs veuves ou de leurs compagnons pacsés.
On mélange donc les petits papiers dans le chapeau. On remue. Un coup de baguette et hop ! Le chiffre magnifique est là : 708 milliards deuros de dette dite implicite au 31 décembre 2002.
Certains diront : cest beaucoup. En effet, rapporté au PIB de la France qui est de 1 520 milliards deuros en 2002, on considère que cette dette représenterait 46% du PIB. Ajoutée aux 61 % de dettes officielles reconnues dans le cadre du pacte de stabilité, on arrive donc à 107 % du PIB. Sur cette base, on se souvient quen 1996 le gouvernement Juppé considérait que la Lire italienne ne pouvait pas rentrer dans leuro, la dette maximale inscrite dans le traité de Maastricht étant de 60 %.
Il est vrai, qualors, le seul pays conforme aux trois critères était le Grand-duché du Luxembourg, suivi du royaume de Pays-Bas. L'Euroland aurait été constitué seulement d'une partie du Bénélux (1).
Mais on doit mesurer aussi que ces 708 milliards forment eux-mêmes un chiffre minoré : ce chiffre ne tient compte que de la dette implicite de lÉtat vis à vis de ses fonctionnaires, pas celle des caisses monopolistes, ceci contrairement à lItalie où toutes les dettes de lINPS figurent dans la comptabilité publique.
La France reconnaît ainsi à la fois sa dette implicite vis-à-vis de ses fonctionnaires. Et non moins implicitement, elle écarte toute idée dun engagement à légard des braves gens qui cotisent dans des caisses dassurance-vieillesse de répartition.
À terme, cela condamne bien évidemment cette même répartition car on ne voit pas comment, sans engagement de lÉtat, lÉtat pourrait imaginer contraindre qui que ce soit à cotiser au xxie siècle dans des corporations monopolistes abrogées entre 1776 (2) et 1791 (3).
Sauf nouvelle un peu stupéfiante, les corporations monopolistes abrogées n'ont jamais été restaurées depuis lors (4). On précise quactuellement ces cotisations sont prélevées dans le cadre de lentreprise, mais est-ce bien légitime ?
On pourrait certes envisager de garantir enfin le paiement des pensions du secteur privé aux gens ayant effectivement cotisé : le paradoxe est que cela ne pourrait se faire que dans le cadre dun passage authentique à la capitalisation.
Paradoxal, nest-il pas ?
JG Malliarakis et Jacques Fousseret
(1) À l'Union monétaire belgo-luxembourgeoise, mise à mal par les régimes de la protection sociale belge (sur lesquels Wallons et Flamands sont divisés), aurait ainsi succédé une Union monétaire "européenne", en fait luxo-néerlandaise, ramenant l'Europe à la dimension de l'ancien royaume des Pays-Bas et à la période 1830-1860, entre l'indépendance belge et l'indépendance luxembourgeoise...
(2) Réforme de Turgot.
(3) Loi D'Allarde, décret de la Constituante devenue loi promulguée par Louis XVI.
(3) Les ordres professionnels créés par le gouvernement de l'État français entre 1940 et 1944, constituent la seule exception notable puisqu'ils tendent à empêcher l'exercice réputé illégal des professions qu'ils organisent. La seule différence est que l'ordre professionnel gère tout sauf la protection sociale de ses membres.
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