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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 20 JUIN 2003
MONTEE DU LOTO JUDICIAIRE EN FRANCE
Réalité objective d'un sentiment de malaise
En une semaine, on a vu samonceler des chroniques judiciaires de format inhabituel. Certaines décisions ont surpris un nombre exceptionnel de nos compatriotes.
Ne disons d'ailleurs pas quen tout point nous soyons, de manière égale, en présence de scandales équivalents ou identiques.
Laffaire du Crédit Lyonnais nest pas de même nature que celle du sang contaminé et de ce quon a pu appeler la "transfusion administrative du Sida".
La rumeur de Toulouse nest pas non plus la même chose que laffaire des disparues de lYonne, et les remous du tribunal de Nice sont encore une autre chose.
Mme Eva Joly, sexprimant à contretemps à propos de laffaire Elf, en cours de procédure, ne dit pas exactement la même chose que le procureur de Montgolfier.
Les détournements du groupe pétrolier excèdent quelque peu ceux de la Mairie de Paris.
Mais enfin, tout cela additionné impressionne. Cela cause un trouble profond vis-à-vis de linstitution judiciaire. Et il ne serait pas sérieux de croire que celle-ci en sortira indemne dans lopinion sociale des Français.
Il y a encore 25 ans, alors que notre société demeurait très marquée par la mythologie du Pouvoir, la justice pouvait apparaître comme une sorte de contrepoids face au gouvernement et à lÉtat.
Au fil des années, laction même de la magistrature syndiquée nous a rappelé quelle était dabord, elle-même, une administration. Dans la Constitution imparfaite adoptée en hâte en 1958, il nest en vérité question que dune autorité judiciaire, totalement coupée du suffrage universel.
On a vu, ensuite, que cette autorité sexerce avec un discernement alternatif.
On a pris conscience, enfin, quelle sapparentait au loto.
Pis encore, on a vu naître un étrange sentiment d'arbitraire et d'inégalité conformiste renversée. Le délinquant devenait plus intéressant que la victime. Le voleur devait recevoir une protection spéciale contre le gendarme. Le vieillard devait le respect au jeune sauvageon. Le propriétaire était un mauvais citoyen. Tout cela venait, non pas des pamphlétaires de la subversion, mais des gardiens fonctionnaires de la loi.
Comment, dans ces conditions, ne se serait pas développée une incroyance grandissante, encore que sourde, à légard des dogmes et credo judiciaires ?
Comment oser dire, sinon par dérision, la phrase conventionnelle "jai confiance dans la justice de mon pays" ?
Comment ne pas être tenté de se révolter même, face à une institution judiciaire dérisoire quand elle accepte de se considérer comme compétente pour juger de lHistoire puis qu'on la voit si chancelante sagissant de faits observables au quotidien ?
Tout cela peut sembler de lordre du commentaire.
Ce sont les faits qui devraient, seuls, être sacrés, le reste demeurant de lordre du subjectif.
Eh bien très objectivement, le fait du jour, cest la montée de ce sentiment.
On peut se féliciter de la défaite bien claire, bien cuisante et bien coûteuse de la grève thrombose des appareils syndicaux arriérés contestataires de la réforme des retraites, conçue pourtant comme une sauvegarde de la Répartition. On sen félicitera et l'on en saluera, principalement, M. Jean-Pierre Raffarin.
La réforme de la justice sera plus difficile. Elle nen sera pas moins nécessaire. Le vrai mot nest dailleurs pas réforme, mais refondation.
Il existe dans la mémoire collective une sorte de nostalgie dun XIIIe siècle où Saint-Louis rendait la justice à Vincennes et sous un chêne centenaire. Cette trace du passé prend tout son sens dans un pays où l'on a tant perdu le sens du sacré. On ne fera guère léconomie daller jusquau bout de cette quête.
Reconnaissons aussi que cette refondation supposera des juges, et pas seulement des matricules syndiqués.
En tout cas nous sommes en présence dune crise qui saggrave chaque année, depuis que nous sommes en état de lobserver. Le privilège juridictionnel du chef de lÉtat, quoique fixé en 1999 par le Conseil constitutionnel, na pas arrangé le malaise.
On peut le craindre pour le grand juge de France
Jean-Gilles Malliarakis et Jacques Saint-Bertrand
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