COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
LUNDI 21 JUILLET 2003
IL FAUT ALLER PLUS LOIN DANS LA RÉGIONALISATION DU CADRE FRANÇAIS
Plus loin que Corne dAurochs
Alors que léchec du référendum en Corse, et la montée de la violence dans lîle, semblent y paralyser toute nouvelle réforme régionale, le Parlement travaille sur un projet qui pourrait se révéler capital en matière de droit à lexpérimentation législative dans les régions.
Certains en tireront peut-être des conclusions renouvelant un débat qui semblait passionner les grandes personnes lorsque jétais enfant : faut-il préférer lopération de lappendicite à chaud ou à froid ?
Si mon souvenir est bon, lopération à froid était considérée comme préférable par les praticiens dalors. On aurait pu méditer cette métaphore à propos de la Corse. Mais il semblerait que la chirurgie ne fasse pas partie du bagage culturel de nos énarques.
Le projet actuel de Loi organique relatif à ce quon appelle désormais lexpérimentation par les collectivités territoriales a été voté par lAssemblée nationale le 8 juillet.
Le droit à lexpérimentation a été reconnu par la révision constitutionnelle du 28 mars.
Il se trouve désormais inscrit dans larticle 37-1 et dans larticle 72 de la Constitution.
Le texte du projet de Loi organique est donc entre les mains du Sénat qui, très probablement, va en approuver les grandes lignes.
La matière est toutefois plus complexe quon ne limagine à première vue.
Soulignons dabord que lon ouvre une liberté au profit des collectivités territoriales sans encore trancher vraiment, définitivement, entre la région et le département. Peut-être pense-t-on, de la sorte, faire avancer plus vite la décentralisation, sans trop heurter les résistances du groupe de pression départementaliste, très puissant dans la classe politique.
On peut également déplorer le concept même dexpérimentation, limité dans le temps, et qui a pour caractéristique dencadrer de manière quasi technocratique lexercice de la libre administration. En fait, depuis plus de deux siècles, la tendance dominante du pays légal en France est de considérer les communes, les départements, et maintenant les régions, comme des subdivisions de lÉtat. Le pouvoir central leur lâche la bride avec plus ou moins de générosité, mais il leur donne lavoine et il demeure le cavalier exclusif. Les élus locaux peuvent au besoin postuler à un rôle de palefrenier.
La lecture du Rapport N° 408 adopté par la Commission sénatoriale des Lois en date du 16 juillet est à cet égard fort instructive.
Le cadre de ce document, la matière du projet, peut-être même la pesanteur documentaliste de linstitution, alourdissent un peu le style, habituellement plus alerte, du sénateur Longuet qui en est le rapporteur. Il nen demeure pas moins que son auteur, président de lAssociation des Régions Françaises, comme son assemblée, semblent plus décentralisateurs que le président de la république.
Celui-ci avait prononcé à Rouen le 10 avril 2002 un discours présenté comme sa doctrine régionaliste où il déclarait explicitement : "Entre létatisme jacobin et un fédéralisme importé, plaqué sur nos réalités, une voie nouvelle doit être inventée. Si la France veut rester une grande nation, elle doit lancer la révolution de la démocratie locale et construire la République des proximités."
Derrière ce verbiage typiquement chiraquien, on retrouve le discours invariant des jacobins depuis 1793.
Aujourd'hui encore, à les entendre, le fédéralisme serait "importé" et "plaqué sur nos réalités", oubliant sans doute que lévénement le plus heureux de l'Histoire de la Révolution française avait été la Fête de la Fédération (1).
Corne dAurochs, dans une célèbre chanson de Brassens, meurt de navoir pas voulu se soigner "parce que cétait à un Allemand quon devait le médicament".
À la suite de Corne d'Aurochs le projet gouvernemental demeure donc au stade d'une régionalisation essentiellement cosmétique (2).
Eh bien, nous devons aujourdhui refuser la présidence de Corne dAurochs et ne pas hésiter à nous inspirer de larticle 70 de la Constitution allemande qui dispose très simplement que "les Länder ont le droit de légiférer dans les cas où la Constitution ne réserve pas cette prérogative à la Fédération". Cette définition claire n'est pas loin du principe de subsidiarité.
La Loi fondamentale allemande de 1949 na pas seulement été importée, pour parler comme Corne dAurochs. Elle l'a été de force.
Le fédéralisme a été imposé à lAllemagne de l'ouest par les vainqueurs occidentaux.
Cela ne lui a pas trop mal réussi depuis lors (3).
Jean-Gilles Malliarakis
Cela ne nous semble pas un hasard.
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