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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 22 SEPTEMBRE 2003

LA FRANCE SE PORTE MAL MAIS...

... voir la réalité en face peut l'aider à guérir.

QUAND DONC LA CLASSE POLITIQUE ACCEPTERA-T-ELLE L’EVALUATION COMPARATIVE DU "BENCHMARKING" ?...

Parmi les multiples raisons de l’effondrement de l’Union Soviétique, on peut citer la prise de conscience définitive, au sein de la nomenklatura dirigeante, de l’échec industriel du système au milieu des années 1980. Ceci semble bien avoir coïncidé avec le jour où le Japon est devenu dans les statistiques internationales officielles le 2 pays industriel de la Planète.

Dans les comparaisons de cet ordre, il existe cependant diverses manières, sinon d’occulter, du moins de retarder la prise de conscience des contre-performances d'un pays. Par exemple, Alain Besançon pouvait ironiser dans ses écrits sur l’URSS sur la fameuse prétention de celle-ci à être "le premier producteur d’acier". Car, disait-il, cette production d’acier se décomposait en "fausse production d’acier", "vraie production de faux acier" voire aussi en "fausse production de faux acier" et le reste en "production d’acier pour la rouille".

La méthode de gouvernance, appelée "benchmarking" dans les entreprises, peut nous paraître un peu irritante par sa dénomination même, à laquelle ni le grand public français ni la classe médiatique ne sont guère habitués.

Son application aux économies nationales n’en est pas moins nécessaire, sous forme d’évaluation comparative à finalité normative.

Souvent, par exemple, avons-nous entendu de prétendus économistes "à la française" ironiser quant aux "indices synthétiques de liberté" publiés chaque année par des organismes américains, eux-mêmes prisés par le Wall Street Journal, ou quant à l’indice Forbes de pression fiscale additionnant les principaux taux de prélèvements fiscaux et sociaux.

On comprend que certains Français rechignent face à de telles évaluations : la France vient en effet après la Barbade pour ce qui est de l'indice de la liberté, et elle se situe "en tête" de tous les grands pays industriels pour ce qui est de l'indice Forbes de misère fiscale…

De même les fameux critères de Maastricht, et notamment le taux de 3 %, — de "déficit maximal des administrations publiques rapporté au produit intérieur brut" — avaient été mis en place sous l’influence principalement de la France et de l’Allemagne. Aujourd’hui que la France et l’Allemagne, contrairement à la plupart des pays européens, exactement 12 sur 15, sont en infraction avec les règles qu’elles ont imposées. Alors les règles sont décrétées, par les bons esprits selon la pensée unique, obsolètes, ridicules, contre-productives.

L’évaluation comparative n’est donc pas neutre.

Il s’agit pour les pays concernés de se situer, soit par rapport à des pays comparables, soit à un groupe de pays complet comme le G8 ou l’Europe des 15.

Et souvent on nous présente des comparaisons clairement incomplètes comme "France, États-Unis, Danemark" s’agissant de la fiscalité directe où l’on communique alors sur le fait que la France se situe dans une honnête "moyenne". Elle est en effet plus fiscaliste que l’Amérique, mais elle apparaît l'être moins que la Scandinavie, en omettant de dire que dans les systèmes nordiques la protection sociale est incluse dans la fiscalité.

Il y a donc pas mal de chemin à faire pour mettre en place une évaluation comparative honnête. Je ne sais pas si en l’appelant définitivement, en français, "benchmarking" (1) on prendra plus d’assurance. Ce qui est certain, c’est que la voie des réformes passe par une telle mise en place. On aura énormément progressé dès lors qu’on saura, en France, à quel point 60 ans de "meilleur des systèmes" nous ont amenés à un stade de paupérisation proche du résultat des 70 ans de "meilleur des mondes" en Russie, dans le cadre d’un effroyable déclin, d’un effroyable gâchis.

Ce qui justifie d’ailleurs le recours à de tels modes d’évaluation, c’est en définitive leur convergence. On ne s’attardera pas à défendre plus particulièrement l’indice Forbes de fiscalisme ou tel tableau de l’OCDE ou telle synthèse d’Eurostat.

Aucune statistique ne peut être tenue pour une représentation pleinement satisfaisante de la réalité économique.

Que dire alors de tableaux comparatifs prenant pour argent comptant les agrégats calculés par les États eux-mêmes ?

Comme autrefois dans les pays de l’Est, où l’on ne publiait que des pourcentages d’augmentation, eux-mêmes bidonnés, on aime beaucoup en France certains chiffres bruts du commerce extérieur. On ferait mieux de voir la réalité en face et de cesser d’interroger le "miroir gentil miroir" choisi pour ses réponses imperturbablement rassurantes.

La France se porte mal, mais elle peut guérir.

Elle n’a que faire des fables qu’on décline aux malades incurables.

Jean-Gilles Malliarakis

(1) Ce mot, certes, nous le comprenons, ou nous croyons le comprendre. On en chercherait vainement une traduction précise dans l'édition senior du Robert et Collins.

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