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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MERCREDI 8 OCTOBRE 2003

SI LE RIDICULE POUVAIT TUER, JUPPE SERAIT GRAVEMENT ATTEINT

Monsieur Je-Sais-Tout ne savait rien…

Il faut parfois prendre date. Si médiocres soient les péripéties de la vie politicienne hexagonale, la comparution de M. Juppé devant le Tribunal correctionnel de Nanterre ce 7 octobre et sa déclaration de 14 h 55 devraient, si nous étions dans une démocratie normale, mettre fin à sa carrière.

Empressons-nous de préciser d’ailleurs que nous devons hésiter entre le pronostic toujours hasardeux sur l’avenir d’un politicien et le diagnostic troublant quant à la qualité de nos institutions.

M. Juppé peut rebondir, et il l’a prouvé depuis 1997.

La démocratie française peut encore s’abaisser et elle le prouvera.

La situation politico-judiciaire d’Alain Juppé a eu en effet quelque chose de paradoxal. Nous vivons en théorie dans la situation décrite par Montesquieu sous le nom de séparation des pouvoirs. Pratiquement l’interaction des différentes autorités administratives, qu’il s’agisse de la magistrature, de la technocratie ou de fonctions nominalement électives, se révèle constamment. Et dans le cas de M. Juppé on nous a froidement assuré qu’une condamnation rigoureuse, à Nanterre ou en appel, mettrait un terme à sa carrière politique.

Son système de défense n’est pas malhabile au strict plan judiciaire. Comme Trichet pour le Crédit Lyonnais, M. Juppé ne savait rien. Mieux encore ces deux grandes consciences morales, quand elles ont découvert l’un la dérive comptable de la grande banque nationalisée, l’autre la prise en charge d’une partie des 155 salaires du RPR par des sociétés privées, ils y ont mis fin. La mécanique a permis à M. Trichet non seulement de laver ce qui lui tient lieu d’honneur mais de se propulser à la présidence de la Banque centrale européenne.

M. Juppé souhaite manifestement bénéficier du même régime. Conseillé par deux excellents avocats, dont l’un est Me Szpiner, très spécialisé dans les questions de communication et de bonne réputation. L’ancien Premier ministre fait manifestement confiance à la machine judiciaire de notre pays.

Techniquement, on peut penser qu’il a raison.

Le problème de son efficace système de défense est que des esprits chagrins pourraient avoir la mauvaise idée de prendre ses déclarations au sérieux pour la suite de sa carrière.

Jusqu’ici en effet ce brillant technocrate, après avoir été secrétaire général du RPR à partir de 1988 et jusqu’en 1995 où, ministre des Affaires étrangères de Balladur il devint Premier ministre de Jacques Chirac, avec l’adoubement de Giscard d’Estaing, tout lui avait toujours réussi. Son problème, à partir de 1997, ce n’avait pas été seulement l’opinion populaire qui l’exècre et que lui-même dédaigne, ce sont tout simplement "les relations personnelles" où ce fort en thème se révèle un cancre. Il l’a d’ailleurs reconnu devant son juge, la présidente Catherine Pierce. En fait son ascension du secrétariat général du RPR jusqu’à la présidence de l’UMP s’est toujours effectuée dans le sillage et sous la protection de l’actuel chef de l’État.

Si l’on en croit ses déclarations, M. Juppé ne savait même pas que sa secrétaire personnelle, Mme Claude Le Corff, était prise en charge par une entreprise privée. Il était peut-être un innocent puisqu’il l’affirme, mais alors il était un niais. Comment le peuple français pourrait-il faire confiance à un pareil naïf pour conduire sinon la barque de l’État un jour, du moins le radeau de la droite d’aujourd’hui ?

Dans un rôle de clown auquel il n’est pas habitué, M. Juppé a même fait rire l’assistance du Tribunal de Nanterre.

Il faudra bien se souvenir de cette passe judiciaire.

Devant les Tribunaux, nul ne peut invoquer sa propre turpitude. C’est une règle qui remonte au droit romain.

Devant le Peuple, il serait logique de ne pouvoir symétriquement invoquer sa propre sottise.

En choisissant un système de défense lui garantissant plus ou moins l’indulgence attendrie de la magistrature syndiquée, le maire de Bordeaux mériterait de se fermer à tout jamais toute perspective politique, si nous étions dans une démocratie sérieuse.

On peut craindre hélas que cette dernière hypothèse ne relève que de la virtualité.

Jean-Gilles Malliarakis
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