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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

JEUDI 23 OCTOBRE 2003

ALLONS-NOUS VRAIMENT VERS UNE RÉFORME DE LA FONCTION PUBLIQUE ?

Le statut de la Fonction publique signé en 1946 par Thorez qui se déclarait "le premier stalinien de France" n’a jamais été abrogé…

L’idée très générale que l’on rémunère les fonctionnaires au mérite plaît beaucoup au grand public. Dans le bistrot de mon village tout le monde en parle favorablement, y compris les deux gendarmes qui se réjouissent de pouvoir distribuer un peu plus de procès-verbaux d’excès de vitesse sur l’autoroute proche. Seul mon ami le buraliste grogne vaguement, après avoir découvert les joies de la grève pour la première fois de sa carrière, ce 20 octobre.

Simplement, lorsque l’on passe, du registre de la brève de comptoir, à l’examen de la réforme, proposée ce 23 octobre par le ministre surdoué Jean-Paul Delevoye, les choses se présentent un peu différemment.

D’abord, il ne s’agit pour le moment que d’une petite réforme de l’ENA et du statut de la très haute fonction publique. Le Figaro titre avec satisfaction en première page (1) : "Fonctionnaires : la réforme commence par en haut".

La bonne nouvelle concernerait quelque 500 personnages, et leur famille, qui bénéficieraient dès 2004 d’une hausse de 15 à 20 % de leurs traitements officiels. Les avantages en nature, non négligeables s’agissant de gens qui ont rang de préfets ou directeurs d’administration centrale, demeureraient inchangés dans leur évaluation fantaisiste et leur allocation arbitraire.

On ne voit pas très bien ce que les citoyens et les contribuables y gagneront.

Reconnaissons, d'ailleurs, que la fonction publique française, dans les 20 dernières années, a gagné en amabilité, si on la compare aux produits du statut de la Fonction publique mis en place par le ministre Maurice Thorez en 1946.

Cependant, les textes signés par celui qui se déclarait, avec fierté, "le premier stalinien de France" n’ont jamais été abrogés.

Or, c’est peut-être par ce commencement-là qu’il faudrait débuter. Il faudrait mettre dans l’esprit de toute la fonction publique, du haut en bas, qu’elle est au service du public et non pas l’instrument d’une idée abstraite, vaguement totalitaire et probablement teintée de jansénisme, qu’on appelle pompeusement "l’État". Cet État, en triste état, n’est pas capable d’assumer ses missions les plus traditionnelles, celles qu’on appelle régaliennes, mais il se veut l’épine dorsale d’une nation qui, pourtant, fort heureusement, vaut beaucoup mieux que ses dirigeants.

Rehausser les carrières, renforcer les arrogances, réévaluer les rémunérations des gens qui propagent l’étatisme, ce n’est pas une réforme de liberté, c’est une catastrophe.

Ne doutons pas, hélas, que le projet de M. Delevoye, ministre surdoué, soit bien intentionné. Il prétend même développer ce qu’il appelle les passerelles public/privé. Il affirme même que les hauts fonctionnaires élus (2) seront mis en disponibilité pour la durée de leur mandat…

Mais le ou les rédacteurs du projet ont-ils seulement conscience de l’exaspération et du dégoût des Français ?

Ont-ils compris que, ce que les gens désirent, ce n’est pas l’aménagement réglementaire des privilèges des hauts fonctionnaires colonisant la classe politique et s’auto-attribuant les sièges des conseils d’administrations (3).

Ce que veulent les Français s’appelle tout simplement la suppression des privilèges.

À ne pas accepter la suppression des privilèges, on encourage un désir beaucoup moins maîtrisable et autrement redoutable qui ressemble fort à la suppression des privilégiés eux-mêmes.

Et quoique je déteste du fond de mon cœur la révolution de 1789, je me permets d’inviter ceux qui font profession, pourtant, de l’admirer, à considérer qu’une des causes de cette horrible chienlit c’est la fois l’incapacité du bon roi Louis XVI à imposer des réformes et, aussi, un certain nombre de choses très maladroites comme le règlement de Ségur de 1781.

Puisque nous sommes gouvernés par des gens qui se piquent, faussement, d’être cultivés, conseillons-leur de relire ce qu’ils ont nécessairement déjà lu, les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand. Ce qui est grave, c’est qu’ils ont peut-être lu, mais ils n’ont pas compris.

En regardant le détail de cette réforme Delevoye, en s’approchant de cette idée, séduisante vue de loin, on ne voit que la boursouflure affreuse d’un régime impuissant à se réformer, d’une combinaison vacillante et d’une pensée médiocre. Rien n’est pire que la médiocrité.

Jean-Gilles Malliarakis

    1. Dans son édition datée du 23 octobre
    2. ou nommés "élus".
    3. d’où sont sortis les Messier et les Michel Bon comme la charogne d’un tas de fumier lorsque l’on marche dessus

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