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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

JEUDI 30 OCTOBRE 2003

NON AU NOUVEAU PROTECTIONNISME INDUSTRIEL PRÉTENDUMENT EUROPÉEN

M. Prodi a eu raison de mettre en garde contre les aides nationales. Mais attention aux aides européennes !

Depuis un dernier rapport remontant à 1994, totalement inutile et inappliqué, on croyait être débarrassé en Europe de l’idée archaïque d’une politique industrielle. Lors du remplacement en 1999 de la Commission Santer par la Commission actuelle présidée par Romano Prodi, on avait même renoncé à installer un commissaire en charge de cette vieille lune gérée jusque-là par Herr Doktor Martin Bangemann.

Et puis l’assaut des démagogies étatiques et des corporations s’est emparé de la réflexion menée actuellement par le commissaire finlandais en charge des Entreprises, M. Erkki Liikanen.

Voici donc, maintenant, que certains bons esprits se préoccupent désormais de protéger l’industrie manufacturière en Europe qui est passée en moins de 30 ans de 30 % du volume l’activité économique à quelque 18 %.

Cette évolution absolument irrésistible a un caractère mondial. Elle est bien connue des économistes et même des géographes depuis les travaux sur la tertiairisation.

On ne s’étonnera pas de voir les mêmes bons esprits se préoccuper de l'enrayer particulièrement dans la plus vieille des industries, le textile. Pour la seule année 2002, est-il de bon ton de s'inquiéter (alors qu'il faudrait s'en féliciter) que 20 % des entreprises textiles françaises (1) aient procédé à des opérations dites de délocalisation.

Nos bons esprits ne parviennent pas à comprendre probablement que cette activité est devenue par essence transnationale. Leurs structures de création, de gestion et de commercialisation n’ont plus aucun besoin d’être installées à proximité du lieu de la manufacture textile, lieu d'une production physique qui ne représente plus qu'une part infime de la valeur ajoutée (de même que pour l'agroalimentaire).

On est en train de voir le textile rejoindre le bon vieux paradigme agricole dans l’idéologie pseudo-nationale.

Il faut reconnaître sur ce point à la corporation des syndicats du textile une plus forte habileté qu’à ceux des exploitants agricoles.

Ces derniers ont en effet placé leur ligne de défense stratégique sur un terrain hexagonal. Leurs mobilisations prétendument européennes sont dérisoires et pathétiques. Et le discours de la FNSEA demeure fondamentalement franco-français pour ne pas dire corrézien. Ce sont, en effet, les campagnes françaises, et elles seules, que les syndicats et les agitateurs à la Bové prétendent, et parfois même imaginent sincèrement défendre, eux qui les ont systématiquement saccagées et encagées, depuis le statut du fermage de 1946 et les politiques productivistes de l'après-guerre.

Au contraire, le protectionnisme textile est parvenu beaucoup plus habilement que son homologue rural à se faufiler dans l’idéologie européenne.

C’est évidemment un paradoxe quand on sait que les subventions agricoles représentant 50 % du Budget européens et que les concours distribués par Bruxelles (via les organismes captateurs et répartiteurs nationaux) assurent plus de 2/3 des aides allouées aux producteurs français, aides sans lesquelles ces paysans désormais ne pourraient plus boucler leurs fins de mois pour la majorité d’entre eux. À l’inverse les vieilles industries, comme le textile mais aussi comme certaines industries lourdes, polluantes et en voie de délocalisation dans le Tiers-monde ne bénéficient guère encore (2) d’interventions protectionnistes européennes.

L’idée même qu’on puisse, par exemple, instaurer un label dit Made in Europe paraît donc à cet égard relever du plus redoutable des renversements symboliques.

Inutile de souligner qu’une telle griffe serait entièrement administrative et par conséquent mensongère.

Sa gestion posera bien évidemment de pittoresques problèmes au quotidien. Elle engendrera une redoutable répression douanière. Heureusement d'ailleurs les excès inhérents à toute persécution de cette nature la rendraient vite odieuse.

Mais nous allons petit à petit, si nous acceptons la mise en place d’un protectionnisme industriel européen, au nom du prétendu tarif extérieur commun imaginé dans le traité de Rome en 1957, nous enfermer dans une sorte Planète des Singes. Même la critique y sera considérée comme offensante. L'on sera désigné comme un ennemi du peuple, on commence déjà à l’être, dès lors qu’on associe l’idée d’Europe, l’identité même de l’Europe, entre Bruges et Venise, entre Salamanque et la Baltique, à l’idée de libre-échange.

Avant donc que notre parole tombe sous le coup d’une quelconque loi, Loi Bové, Loi Chirac ou Loi Hue, on voudrait pouvoir ramener les Européens qui nous lisent à la prise en compte du réel.

Au plus bas de leurs conjonctures actuelles respectives, par exemple, l’Allemagne comme la France sont demeurées de grandes nations exportatrices. Ces derniers mois l’Allemagne, globalement en récession, a même dépassé les États-Unis en valeur exportée, notamment du fait de la faiblesse du rapport de change, dira-t-on, entre l’euro et le dollar. Cette situation exportatrice encore brillante, nos pays le doivent à leurs entrepreneurs et pas à nos bureaucrates.

Précisément tout cela prouve bien que l’Europe n’a rien à craindre du commerce mondial. Elle ne doit redouter ni le maintien artificiellement bas du yuan chinois ni même les stupides taxes protectionnistes que les …tats-Unis, pour des raisons politiciennes intérieures, imposent à l’acier importé puisque ces taxes pénalisent les industries américaines consommatrices d’acier.

M. Prodi, au nom de la Commission, a eu raison de "mettre en garde les États-Membres contre les aides industrielles nationales."

Attention cependant à ne pas européaniser ces subventions ! Elles encourageraient à employer plus de Chinois sans papiers, ou plus de Turcs, dans les ateliers de confection du Sentier où on ferait, alors, semblant de payer des charges sociales.

Depuis septembre 1995, M. Chirac a imposé aux Français, sans les consulter, l’idée que la sécurité sociale était la base de leur identité nationale et qu’il en était le garant. Cela est consternant pour notre pays. Il serait dramatique pour l'Europe dans son ensemble, de voir dans une telle équation putride, entre une identité culturelle millénaire et un modèle social bancal, le prétexte d'une refondation d’un nouveau protectionnisme européen, géré ou non par un éventuel Super État siégeant à Bruxelles.

Il faut donc dire non à cette nouvelle absurdité.

Jean-Gilles Malliarakis

      1. Reconnaissons d'ailleurs que l'appellation même de textile relève d'une conception matérialiste de la production, déjà à l'oeuvre dans le protectionnisme agricole. Personne ne mange de blé cru. Personne ne s'habille de drap ou ne se coiffe d'étoffe. Même Mme Bachelot porte des rideaux, et la reine d'Angleterre des chapeaux.
      2. Et cela semble heureux pour elles car le bénéfice des aides se révèle nul, et même destructeur, quand le chiffre d'affaires en est élevé.

       

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