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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 7 NOVEMBRE 2003
SUR LE RECORD DES FAILLITES DETENU PAR LA FRANCE EN EUROPE
et quelle sapprête à conserver quand les dossiers de procédures collectives s'amoncellent dans les Tribunaux de commerce
Ce 6 novembre, le quotidien La Tribune de lÉconomie consacrait sa première page et un important dossier au record des faillites dentreprises que la France détient en Europe.
Cette réalité un peu macabre nest pas douteuse.
Mais à y regarder un peu attentivement, elle nest absolument pas nouvelle. Si on compare la France aux trois autres économies comparables de lUnion européenne il en était déjà ainsi en 2001 où les défaillances dentreprises étaient de 42 000 en France contre 32 300 en Allemagne, 15 000 au Royaume-Uni et 15 200 en Italie.
Pour cette année, une étude du groupe dassurance-crédit Gerling, 2e groupe spécialisé mondial, prévoit une hausse portant à 45 800 ces défaillances françaises contre 40 500 en Allemagne, 16 000 en Italie et 15 200 au Royaume-Uni. À tout prendre, lévolution de lAllemagne est plus aggravante, sur 2 ans, que celle de la France : + 8 000 Outre-Rhin contre + 4 000 environ dans lHexagone. Mais empressons-nous de dire que cette moindre aggravation na rien de consolant. Et compte tenu, à la fois des imbrications commerciales profondes, et des similitudes sociales des deux grands pays rhénans, ce qui frappe cest plutôt le contraste entre le couple franco-allemand, dune part, et des nations comme lAngleterre et lItalie dautre part.
Reconnaissons à La Tribune de l'Économie un mérite : généralement proche des sociaux-démocrates allemands et des socialo-capitalistes de la gauche caviar en France, elle est ici fidèle à elle-même. Elle "fait de la politique" en triant les chiffres et les faits dans le sens qui larrange et qui fait le (petit) jeu de ses amis. Et bien entendu, elle participe ce faisant à une opération purement politicienne destinée à liquider en ce moment le "concept Raffarin". Le même jour, à la Une de lExpress, et sur tous les kiosques, on voyait en effet le chef du gouvernement présenté pour finissant son petit bail à lHôtel Matignon (1). Nul doute quen mettant en avant le record des faillites détenu par la France, avec des chiffres prévisionnels guère différents en 2003 de ceux effectivement enregistrés en 2001 et 2002, on participe à cet hallali.
Il faudrait avoir lhonnêteté de remarquer, pourtant, que si on peut reprocher à M. Raffarin, en plus de 18 mois de présence à Matignon, de navoir pas fait grand-chose pour remédier à la surmortalité des entreprises françaises, il nen porte assurément pas la responsabilité pour lannée 2001. Jai cherché vainement dans les trois grandes pages du dossier de La Tribune les mots "charges sociales", "bureaucratie", "Loi Aubry", "35 heures", etc. Je ne les ai pas trouvés. Jai dû mal lire.
À linverse, le commentaire des mêmes faits par M. Jean-Marc Sylvestre (2), nétait pas non plus bien convaincant. M. Sylvestre, qui nest pas sans talent, est passé en quelques années du rôle de vulgarisateur de la critique économique libérale, quand le libéralisme était à la mode, à toutes les sauces, à une fonction de brosse à reluire du gouvernement sur les ondes étatiques. Et pour faire oublier le grave problème des 40 000 ou 50 000 faillites, il nous a vanté le bon cru des créations dentreprises.
Nous devons donc, là aussi, rappeler la vérité.
Il nexiste aucune corrélation de cause à effet entre le nombre des créations dentreprises et le nombre des défaillances. Prétendre que la faillite est "une maladie infantile" de lentreprise (comme ose l'affirmer J.-M. Sylvestre), cest perdre de vue, au contraire, que de grands groupes comme Air-Lib ou Metaleurop ont défrayé la chronique cette année.
De plus, créer une entreprise et déposer son bilan ne sont pas des actes mathématiquement symétriques.
En septembre, on avait ainsi pu applaudir au fait quun nombre désormais non négligeable dentrepreneurs reprenait le chemin de linitiative, et nous rappelons la réserve de plusieurs millions de Français, peut-être 5 à 6 millions selon certains sondages, qui souhaiteraient se mettre à leur compte. Que quelques dizaines de milliers seulement passent à lacte, voilà le premier problème.
Et le moment passager deuphorie écoulé, à la suite de notre Courrier du 20 octobre, nombre de correspondants mont rappelé la face noire de ces créations plus ou moins artificiellement "gonflées".
La loi Dutreil rend possible un démarrage avec des capitaux très restreints. Dautre part on a gonflé artificiellement les crédits venant de structures comme la BDPME et on les a rendus plus faciles.
Bon nombre de jeunes croient encore aux promesses de lÉtat, aux détaxations momentanées, aux reports déchéances, aux aides promises, aux exonérations incitatives.
Disons que ces belles illusions sont en effet les erreurs de jeunesse dont les jeunes entrepreneurs se repentent un peu plus tard, entre la 3e et la 5e année, quand les charges tombent Faut-il parler alors de maladie infantile ? Il serait plus juste, M. Sylvestre, de parler de guet-apens. Il serait utile, aussi, de rappeler la condition sociale faite aux victimes.
Alors oui, le spectacle de telles difficultés, qui ne sont pas nécessairement secrètes, constitue un puissant incitatif à, surtout, ne pas entreprendre
Jean-Gilles Malliarakis
(1) Nous analyserons dans notre prochain bulletin, qui sera daté de lundi 10 novembre, sa tentative un peu malheureuse de rebond via le plan Vieillissement solidarité, que nous tenons pour très dangereux dans son principe et pour assez misérable dans ses modalités.
(2) Sur France Inter, ce même 6 novembre dans sa chronique de 7 heures 25.
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