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BULLETIN QUOTIDIEN EN TOUTE LIBERTÉ

LUNDI 8 DECEMBRE 2003

LA FRANCE OFFICIELLE SE LAISSE PIEGER SUR LES DROITS DE L'HOMME

Mais elle ne se laisse pas piéger sur le terrain des Droits de la Femme

On a beau avoir l'habitude des prises de positions de M. Chirac — depuis 25 ans qu'il se pose en héritier du gaullisme et depuis 8 ans qu'il préside la république, — c'est avec consternation que l'on prend connaissance de ses diverses déclarations faites à Tunis entre le 3 et le 5 décembre.

Tout d'abord, si les médiats se sont concentrés sur la question des Droits de l'Homme à propos des relations franco-tunisiennes ce n'est pas tout à fait innocemment. Une militante du parti communiste tunisien, quoique tout à fait libre de ses mouvements et bien qu'elle exerce librement sa profession d'avocate, Mme Radia Nasraoui, faisant la grève de la faim pour dénoncer les persécutions dont elle serait la victime, focalise l'attention. Cela permet d'éviter de parler vraiment du contentieux franco-tunisien qui demeure pendant depuis la loi de nationalisation de 1964. Ceci nous permet d'entrevoir la véritable mesure des "excellentes relations" avec ce "pays ami". Et cela nous renvoie à la formule bien connue : avec des amis de cette qualité on n'a pas besoin d'ennemis. Heureusement le grand juriste Mazeaud est arrivé et les deux parties sont enfin tombées d'accord sur le principe de règlement du litige. M. Chirac nous l'explique : "Les avancées ont été importantes, elles ont été obtenues pour les propriétaires français en Tunisie. La vente de leurs biens sera facilitée et les biens nationalisés à tort, c’était cela qui posait un vrai problème, dans le cadre de la loi de nationalisation agricole de 1964, seront restitués ou indemnisés."

Il restera certes encore à déterminer, après 40 ans de spoliation, à hauteur de quels montants et à quelle échéance cette alternative entre la restitution et l'indemnisation sera effective. Point de détail, pensera-t-on : nous sommes en présence de ce que le chiraquisme flamboyant considère désormais comme une question réglée.

Mais sur les Droits de l'Homme le chef de l'État français se révèle plus affligeant et plus contradictoirement arbitraire encore qu'à l'accoutumée.

On doit tout d'abord remettre à leur vraie place ses déclarations. Sur 7 discours de complaisance, soit 30 pages de platitudes, les Droits de l'Homme ne sont évoquées que deux fois, et encore assez brièvement.

Le point qui importe à M. Chirac c'était de mettre en avant l'excellence et l'exemplarité des relations entre Paris et Tunis. En effet affirme-t-il, il s'agissait "de souligner à nouveau la priorité politique pour la France de ses relations avec le Maghreb, bilatérales et euroméditerranéennes, et notamment au sein du Maghreb, de sa relation et de sa coopération avec la Tunisie."

Cette priorité franco-maghrébine et franco-tunisienne est la 554 occurrence "prioritaire" affirmée en 440 mois de présidence de M. Chirac. On peut même remarquer que son allocution du 5 décembre à Tunis comporte le record des priorités enregistrées dans un seul discours chiraquien depuis 1995

Ce qui serait vraiment novateur serait de voir enfin accorder une priorité aux priorités.

Ce qui est dommage d'abord c'est, qu'entre son point de presse du 3 décembre et la conférence de presse qu'il donne le 5 décembre à l’issue de sa visite d’État en Tunisie, le chef de l'État, que le monde nous envie, opère un virage à 180°.

Le 3 décembre il proclame : "Je ne suis pas, je crois, suspect de négliger les droits de l’Homme ou de contester leur importance. Le premier des droits de l’Homme, c’est de manger, d’être soigné, de recevoir une éducation et d’avoir un habitat. Cela, c’est le premier des droits de l’Homme. Et, de ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup, beaucoup de pays. Il faut le souligner."

Et le 5 décembre, à nouveau interrogé, il répond dans un sens exactement inverse : "Je voudrais tout d’abord dire que la France accorde et que j’accorde la plus grande importance à tout ce qui touche les droits de l’Homme. La France a toujours dit que les droits de l’Homme avaient une valeur de nature universelle et qu’ils étaient, pour cela, indivisibles. Alors, dans le cas particulier qui a suscité une certaine émotion, il était tout à fait légitime que nous entendions les représentants de cette cause et nous le faisons avec la plus grande ouverture d’esprit."

La théorie du droit de manger, d'être soigné, etc. ne semble, dans une première approche superficielle, ni totalement blâmable ni entièrement méprisable. Elle se situe cependant largement en retrait de toutes les doctrines démocratiques et libérales généralement avancées. Elle entre en contradiction aussi bien avec la Déclaration française de 1789, à laquelle la constitution (dont M. Chirac est le garant) fait référence (1), qu'avec la déclaration dite "universelle" adoptée après la seconde guerre mondiale.

Pour tout dire la rhétorique du droit de manger à sa faim comme premier droit de l'Homme n'est pas seulement teintée de vulgarité ; elle ne tend pas seulement à contredire les principes fondamentaux (2) ; elle est ordinairement commune à la plupart des régimes totalitaires (3).

Dans le cas d'une grève de la faim on ne saurait dire non plus qu'elle soit de la plus brillante opportunité.

Certains pourraient s'étonner aussi que M. Chirac n'ait pas tiré argument de la contradiction entre la cause dont se réclame Mme Nasraoui, qui est celle du communisme, et la cause des Droits de l'Homme. Mais cet étonnement témoignerait d'une méconnaissance de la seule constante des discours chiraquiens depuis 25 ans. On l'a entendu développer tous les registres, celui du souverainisme et du chauvinisme français le plus cocardier comme celui du mondialisme ; celui de la sauvegarde du capitalisme comme celui du "travaillisme à la française"; celui de l'alliance franco-américaine et de l'entente franco-britannique comme celui de la dénonciation des méchants Anglo-Saxons. Mais on ne l'a jamais entendu dénoncer explicitement les crimes du communisme. Et c'est probablement ce qui explique son revirement en 48 heures : on lui a sans doute fait savoir que Mme Nasraoui est communiste et que par conséquent son affaire (qu'il appelait le premier jour son "histoire") mérite une meilleure considération puisqu'elle est au service d'une bonne cause.

Mais, diront certains pour se consoler, il est un discours encore plus hypocrite que celui des Droits de l'Homme, c'est celui des Droits de la femme.

On a encore eu l'occasion de le mesurer depuis le vote le 27 novembre par l'Assemblée nationale de l'amendement Garraud.

Dieu sait que depuis des années les occasions de contentieux se sont dangereusement multipliées, entre la médecine et les patients. Certains se sont tellement gargarisé des miracles de la médecine qu'ils en arrivent à croire au droit à la santé, et à le revendiquer de manière si excessive, avec l'appui de la réglementation et des tribunaux qu'ils pourraient bien rendre l'exercice de la médecine tout simplement impossible, ou trop risqué juridiquement pour les médecins eux-mêmes. Au non du droit à la santé on programme ainsi tranquillement une médecine sans médecins, avec la complicité des caisses sociales.

Sans donc sombrer dans l'obligation de résultat de l'acte médical, on conçoit que le fait de perdre un bébé que l'on désirait mettre au monde soit considéré comme un dommage assez grave dès lors qu'il résulte d'une faute du système de soins. Eh bien, au nom du droit des femmes, les ligues de vertus se sont mobilisées contre cet amendement Garraud qui prétend condamner le fait de l'interruption "involontaire" de grossesse. Elles l'ont fait victorieusement jusqu'à ce que M. Perben, ministre de la Justice intervienne en leur faveur (4). Car le seul droit que ces ligues de vertu reconnaissent aux femmes, et à l'enfant à naître, c'est en fait le droit d'avorter librement et gratuitement. Pas le contraire.

On voit donc à quel degré de décadence sont tombés les donneurs de leçons en matière de Droits de l'Homme ou de Droits de la Femme et de l'Enfant.

Depuis l'année 1994 où M. Chirac a encouragé une association "Droit Devant" violer le droit de propriété au nom du droit au logement, chacun sait que sa référence aux Droits de l'Homme est totalement détachée de la lettre même de la Déclaration de 1789 sur laquelle il fait profession de s'appuyer (5).

Et, depuis lors, chaque jour davantage, on peut hélas mesurer combien l'expression de "patrie des Droits de l'Homme" est devenue plus lourdement dérisoire pour ne pas dire inaudible, s'agissant de qualifier la France officielle et le régime qu'aucun pays au monde ne nous envie plus.

JG Malliarakis
© L'Insolent
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  1. En sa version 1791
  2. Elle est d'ailleurs révélatrice, et nous aurons l'occasion hélas d'y revenir, d'une conception radicalement fausse des problèmes sociaux et singulièrement des problèmes du Tiers-monde. Dans ces pays, en effet, c'est bien la violation de certains droits et de certaines libertés élémentaires (comme le droit de propriété et la liberté des contrats) qui, entravant la liberté d'entreprendre, constitue le principal obstacle au développement.
  3. Sortant de l'effroyable misère des années précédentes c'était le grand argument du national-socialisme dans les années 1930. Le stalinisme, lui, après l'affreuse famine provoquée particulièrement en Ukraine par sa politique de collectivisation des terres dans les années 1920 ne s'intéressait même pas au droit de manger à sa faim et il l'a prouvé à nouveau, notamment en Chine à partir des années 1950 et au Cambodge dans les années 1970.
  4. Dans une déclaration du 6 novembre sur Europe N° 1, en contradiction avec ses précédentes interventions.
  5. Cette déclaration, doit-on le rappeler ?, fait en son article 17 du droit de propriété un "droit inaliénable et sacré", et elle en fait même le seul droit qualifié de la sorte.
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