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BULLETIN QUOTIDIEN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 9 DECEMBRE 2003

NOUVEL ÉCHEC DE LA RÉFORME RÉGIONALE

Était-il pertinent de commencer par la Corse, la Guadeloupe et la Martinique ?

Sans doute, est-ce un progrès de la démocratie française que de voir la procédure référendaire ne plus toujours se résumer à la victoire inéluctable du Oui.

L'échec des tentatives de réforme institutionnelle aux Antilles vient après un vote similaire en Corse. Or, certains voudraient voir le projet de Constitution européenne soumis à la ratification du peuple français. Le résultat antillais du 7 décembre pourrait donc bien, quand on se souvient de la très courte majorité acceptant de ratifier en 1992 l'accord négocié à Maastricht un an plus tôt, sonner le glas de leurs espérances. Soumettre au peuple français des projets de ce genre est un risque que la classe politique sera de plus en plus dissuadée d'assumer.

L'échec des propositions référendaires est encore considéré comme une rareté. En dehors du premier projet de constitution de la IV république en 1946, le seul précédent négatif depuis les plébiscites bonapartistes et gaullistes, toujours acceptés jusqu'alors, avait été le vote de 1969. Et on remarque une fois de plus qu'il s'agissait déjà, chose troublante, d'un projet de réforme régionale.

Certains pourraient en déduire que la nation française est définitivement indifférente à la régionalisation, et peut-être même que les Français n'en veulent pas.

À sa manière, toujours rhétoriquement habile, M. Devedjian ministre théoriquement responsable de toutes les tentatives actuellement avortées de décentralisation en sa qualité de "ministre délégué aux Libertés locales" opère cette analyse quand il déclare "la question de l'indépendance a pollué le débat" (1). En cela cependant si M. Devedjian et tous les stratèges gouvernementaux veulent bien considérer que la question de l'indépendance ne se pose guère que dans les régions de France où les indépendantistes disposent d'un poids politique, il ne fallait commencer ni par la Corse, ni par la Guadeloupe, ni par la Martinique.

Il est vrai que nos dirigeants bien aimés ont un argument de rechange. La question posée était d'ordre technique. La réponse leur était presque indifférente. Il s'agissait de savoir si les deux îles allaient fusionner les deux collectivités territoriales que sont la Région et le Département. La question était un peu différente s'agissant de la Corse puisque l'île de beauté se trouve heureusement bi-départementalisée, ce qui permet aux Corses de disposer de 3 assemblées locales.

De plus, laisse-t-on entendre, le refus antillais s'adresse non pas à l'établissement républicain hexagonal mais à une classe politique locale légèrement tenue pour folklorique.

C'est la thèse du quotidien de la pensée unique :"La gifle est cinglante pour la très chiraquienne présidente du conseil régional de Guadeloupe, la sénatrice Lucette Michaux-Chevry" (2) qui ajoute, galamment : "Mais la marque de défiance n'est pas moins sensible à l'égard des élus martiniquais, gauche et droite confondues presque au complet, qui avaient soutenu ce projet". Si on se situe sur ce terrain comparatif, on doit pourtant observer que Lucette Michaux-Chevry aura été désavouée par 73 % des Guadeloupéens, la classe politique martiniquaise dans son ensemble ne l'étant que par 50,4 %. Mais qu'importent les chiffres aux rédacteurs du Monde ? Nous n'en sommes plus à l'époque où ce journal passait, faussement, pour objectif. La tonalité consiste finalement à dire que : "L'échec de ce double référendum est également un désaveu pour le gouvernement et, singulièrement, pour le premier ministre." (au refrain).

Si nous avions à développer une critique plus particulière à l'encontre du gouvernement, cependant, nous lui reprocherions de ne pas avoir conduit assez fermement cette réforme. Le Premier ministre, ancien président de la Région Poitou-Charentes et de l'Association des Régions Françaises sait pourtant parfaitement qu'elle est indispensable, non seulement pour les régions périphériques mais pour l'ensemble de la France. Ériger Mme Michaux-Chevry en potentat local guadeloupéen n'est, de ce point de vue, pas plus ridicule que de faire de M. Chirac le chef de l'État français, dès lors que les Guadeloupéens pour l'une, les Hexagons pour l'autre votent librement dans leur ensemble pour leur candidat préféré. Cela s'appelle la démocratie. Et si les rédacteurs du Monde veulent revenir à l'époque où les gouverneurs des Antilles françaises étaient nommés par les aréopages parisiens, ils doivent le dire franchement.

La vraie réforme régionale supposerait que l'on supprime le département en ne lui laissant plus sa dénomination que, quelque temps, pour ne pas changer du jour au lendemain le code postal. Les Départements d'outremer auraient alors une seule question à résoudre, dans le cas des Antilles et peut-être la Guyane : veulent-ils ou non constituer une seule région ou rester chacun séparé ? Une fois les attributions des départements fusionnées dans le cadre de Régions recomposées (3) les institutions régionales, librement conçues pourraient être, à leur tour, être adaptées aux réalités et aux desiderata des habitants, comme il en va pour les États américains dont les législatures ne fonctionnent pas toutes de la même manière (4).

Certes, nous ne pouvons pas ignorer qu'une telle réforme fédérale de la France est ressentie par les souverainistes comme une atteinte à la France jacobine "une et indivisible". C'est bien ce qui nous sépare une fois de plus du souverainisme, car nous pensons au contraire qu'une évolution de ce type est de nature à redonner vie et sens à l'identité française. Et lorsque nous lisons d'autre part que la régionalisation de la France serait "voulue par Bruxelles" (5) nous ne pouvons que regretter que ce ne soit pas le cas. En effet si l'idée régionale a eu sa place dans la construction européenne jusqu'aux années récentes, une des conséquences de l'élargissement est que désormais les institutions européennes freinent les projets régionalistes les plus avancés d'Europe, qui ne se situent pas en France, mais en Écosse, en Catalogne ou en Flandres, dont les eurocrates ne soucient certainement pas de faire évoluer les revendications vers un statut de véritables États-Membres au sein de l'Union européenne.

Qu'on le veuille ou non la question de la régionalisation du cadre français demeure une affaire franco-française et une nécessité pour les Français eux-mêmes. Et l'impuissance de l'État jacobin à se réformer n'est qu'un exemple parmi d'autres de la sclérose institutionnelle dans laquelle s'enfonce notre pays.

Il est enfin à remarquer d'ailleurs que le département ne survit plus désormais que comme lieu de l'assistanat social et territorial. C'est bien le poids de cet assistanat, c'est en même temps son caractère, devenu essentiel à la justification de la classe politique (6), qui bloquent les réformes, dans ce domaine comme dans tant d'autres.

JG Malliarakis
© L'Insolent
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  1. Le Figaro du 9 décembre.
  2. Le Monde daté du 10 décembre.
  3. En fonction des identités historiques et culturelles et du vœu des habitants.
  4. Les Français ont pu voir, avec l'élection de Schwarzenegger en Californie, que les électeurs de cet État, qui disposent par ailleurs du droit de referendum d'initiative populaire, disposent aussi du droit de censurer ("recall") un gouverneur particulièrement désastreux.
  5. Certains vont même jusqu'à suggérer, contre toute réalité, qu'une telle régionalisation serait l'effet d'un "complot allemand".
  6. Un politicien français d'aujourd'hui, un "élu", énarque ou pas, c'est d'abord une assistante sociale.
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