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BULLETIN QUOTIDIEN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 16 DÉCEMBRE 2003
DÉCRUE FISCALE ET DÉCOUPLAGE POLITIQUE
Les réformes de l'Allemagne vont plus vite que celles de la France.
Rien n'est simple dans les choix des gouvernants. Mais, comme leur soupe est bonne, il n'est pas interdit de rêver que nos grands hommes, bardés de diplômes en arrivent enfin à résoudre des problèmes à plusieurs entrées, à tenir compte à la fois de plusieurs impératifs, comme la plus banale des cuisinières parvient à le faire quand elle doit éviter le trop et le trop peu.
Au lendemain de la réunion de Bruxelles du Conseil européen, soldé par un échec assez retentissant le 13 décembre, les dirigeants français et allemands font mine de resserrer une fois de plus les rangs des vieux de la vieille, se proposant même de repartir avec un train plus petit mais en conservant la même motrice.
On ne doit évidemment ni jamais sous-estimer la solidarité du lien entre les pays rhénans, dont les cultures et les économies sont de plus en plus imbriquées, ni encore moins dénigrer l'héritage de la réconciliation, opérée à l'époque du général De Gaulle et du chancelier Adenauer, continuée vaille que vaille par tous leurs successeurs. C'est là sans doute un acquis essentiel qui ne saurait être remis en cause pour aucun prétexte de conjoncture ou de sensibilités fluctuantes. Ajoutons qu'il est dans l'intérêt de l'Europe, sinon de disposer d'une locomotive monopoliste devenue un peu illusoire, du moins de ne plus jamais être entraînée dans une opposition franco-allemande. Depuis les malheurs de la Guerre de 30 ans qui inspirèrent Jacques Callot au XVIIe siècle jusqu'aux horreurs du XXe siècle, aucun Européen bien né n'a le droit d'ironiser sur la catastrophe des affrontements du passé entre les deux parties de l'ancien royaume des Francs.
Reste qu'au sein de cet ensemble, non seulement les débats existent, mais encore ils seront de plus en plus nécessaires. Car, tant la France que l'Allemagne souffrent, depuis maintenant une bonne dizaine d'années, d'un essoufflement de leur fameux modèle convergent. Et il serait précisément dangereux que les difficultés respectives actuelles des deux côtés du Rhin servent de prétexte à une remise en cause future de cette convergence en tant que telle.
L'exemple de la sécurité sociale nous semble assez éclairant. La législation française, mise en place à partir de la charte du travail de 1941 et des ordonnances de 1945, s'est largement inspirée du modèle Bismarck de la fin du XIXe siècle. Celui-ci tenait du socialisme d'État dans un contexte contemporain du marxisme dont il entreprenait de contourner la poussée révolutionnaire. Cela a donné naissance à des processus de gestion dite paritaire. Et jusqu'aux années 1990, on a pu considérer ces systèmes, ces modes de cogestion, ces institutions sociales comme des cadres efficaces de collaboration des classes de nature à amortir les chocs de la lutte des classes et à désamorcer la bombe de la révolution communiste en occident.
À partir des années 1990, ces conceptions se sont révélées en cours de dégénérescence.
Et on doit alors remarquer que le traitement de cette décadence des deux systèmes ne s'est pas opéré de la même manière des deux côtés du Rhin.
Les équations politiques n'y sont pas étrangères, au-delà des questions de personnalités propres à tel ou tel dirigeant. La France a choisi de diaboliser ce qu'elle considère comme son "extrême droite", au travers d'un parti et de son chef, qui se pensent et se définissent eux-mêmes plutôt comme une droite nationale teintée de populisme. Étrangement, malgré (ou peut-être à cause de) son passé, l'Allemagne raisonne autrement : pour empêcher l'émergence périodiquement exorcisée d'une "extrême droite", la classe politique assume un certain nombre de préoccupations qui sont considérées comme politiquement incorrectes en France. Et, surtout, le parti communiste est mis au ban des équilibres politiques. Les crimes du communisme en général sont parfaitement repérés. L'incompatibilité entre les théories de Lénine et l'État de Droit n'est ni esquivée ni oubliée. Les responsabilités terroristes de l'extrême gauche, de la Fraction armée rouge, sont examinées sans aucune complaisance. Et, bien entendu, les nostalgiques de l'ex RDA sont perçus pour ce qu'ils sont.
De ces différences politiques, il découle aussi une situation syndicale très différente.
Les syndicats allemands, certes trop puissants, sont globalement réformistes et ils participent depuis longtemps à la cogestion des grandes entreprises industrielles. Au contraire en France, la CGT se pose en gardienne du temple de la protection sociale et de la réglementation archaïque du travail. On ne saurait dire que cette situation soit en recul : au contraire, les habiles manuvres de M. Fillon ont plutôt conduit à un renforcement de la CGT dans ses bastions les plus inquiétants (2).
Dès l'époque où M. Strauss-Kahn puis Fabius étaient au ministère des Finances nous pouvions mesure non seulement l'écart fiscal existant entre la France et l'Allemagne mais la vitesse des décrues fiscales respectives. Il aura fallu les grandes inondations (fluviales) de l'an dernier en Europe centrale pour ralentir un programme annoncé par le chancelier social-démocrate Schroeder et son ministre des Finances Eichel dès décembre 1999. Si on le compare au programme français, et même aux promesses du candidat Chirac en 2002, dans quelques années l'écart franco-allemand en matière de prélèvements obligatoires sera considérable.
Or, la récente passe d'armes politiques entre le gouvernement social-démocrate de Berlin et son opposition prouve deux choses
- d'une part l'opposition critique, et elle a bloqué au Bundesrat un programme qu'elle juge trop timide. Les conservateurs et les libéraux majoritaires au Bundesrat avaient rejeté le 17 novembre les projets de loi relatifs à l'avancement des baisses d'impôts et certaines dispositions de la réforme du marché du travail.
- d'autre part un accord bipartisan dans le cadre d'une Commission de conciliation des deux chambres s'est opéré ce 16 décembre entre les deux principales composantes de la classe politique pour effectuer les réformes, le chancelier voulant à tout prix faire passer avant le 1er janvier 2004 un train de 12 lois soit 2 800 pages de réformes destinées, selon le ministre de l'Économie et du Travail, Wolfgang Clement, à "apporter jusqu'à 0,6 point supplémentaire de croissance"
On est ainsi très éloigné du paysage franco-français.
L'AFP du 15 décembre annonçait ainsi qu'en France, "Bercy évoque de possibles hausses d'impôt : Le gouvernement envisage explicitement pour la première fois de futures hausses de certains prélèvements, dans le programme de stabilité 2005-2007 qu'il vient de transmettre à la Commission de Bruxelles."
Il serait donc trompeur de s'illusionner sur la convergence de vues entre le président français et le chancelier allemand telle qu'elle s'est encore manifestée lors de leur rencontre du 9 décembre à Paris.
Dans une correspondance de Paris, Die Welt relevait par exemple le lendemain que "M. Chirac s'est montré confiant dans la possibilité de parvenir à un compromis avec l'Espagne et la Pologne" lors du Conseil européen de Bruxelles. Le Financial Times Deutschland évoquait même des déclarations du chancelier qualifiant l'idée d'une union franco-allemande de "proposition intéressante, très avant-gardiste et visionnaire".
N'y aurait-il aucune ironie dans ces recensions, il s'agit de politique, de politique européenne et même parfois de politique extérieure.
L'entente franco-allemande étant largement cimentée par l'économie, il existe un grand danger de voir la différence des décrues fiscales engendrer à terme un découplage politique.
JG Malliarakis
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