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BULLETIN QUOTIDIEN EN TOUTE LIBERTÉ

JEUDI 18 DÉCEMBRE 2003

VERS UNE CONSTITUTION EUROPÉENNE EMPIRIQUE

chirac roupillant

Les questions européennes, essentielles pour notre avenir, ennuient nos dirigeants…

(ci-dessus M. Chirac présidant la réunion de Nice en décembre 2000)

Les négociations, évidemment difficiles qui s'ouvrent sur la pêche, et sur les quotas nationaux, devraient rappeler à chacun d'entre nous que les questions européennes ne sont pas de vagues affaires de technocrates, puisque c'est dans ce cadre que se décident un nombre considérable d'orientations essentielles pour notre vie quotidienne.

L'échec du projet Giscard d'une Constitution, volontariste et arbitraire, de l'Europe ne clôt pas simplement le dossier. Il ouvre une nouvelle perspective à la lutte pour l'Europe des Libertés, cette "alter-Europe" que nous proposons en alternative à l'Europe des technocrates.

Les partisans de l'Europe des technocrates, de conception "constructiviste", ont reçu sans doute un coup de massue le 13 décembre à Bruxelles. Ils ont tenté de mettre leur échec sur le compte de Silvio Berlusconi, lequel n'a pas cru nécessaire de faire semblant d'avancer des solutions de compromis entre des positions non conciliables. Au parlement de Strasbourg, le 16 décembre, les eurodéputés de gauche en ont profité pour faire semblant d'exister et faire un petit chahut contre le président de l'Union européenne et chef du gouvernement italien. Celui-ci a eu beau jeu de faire remarquer que, pendant les 6 mois de sa présidence, et les 60 jours de la Conférence intergouvernementale de Rome ouverte en octobre, celle-ci a tout de même résolu pour l'avenir 82 questions. Ceci, rappelle-t-il, facilitera grandement la tâche des présidences ultérieures.

En France, nombreux ont été les médiats pour rendre, par ailleurs, responsables de la situation de blocage, les Polonais, sinon même plus généralement les 10 États et les 75 millions d'hommes, nouveaux venus dans l'Union européenne. Cette explication est évidemment dérisoire. En effet, le cadre institutionnel communautaire, dans lequel entrent ces 10 nouveaux pays, a été dessiné sans eux et avant eux.

Nous ne pensons pas, non plus, que les institutions européennes soient entièrement mauvaises. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la déclaration Schuman et les idées de Jean Monnet. Les avancées européennes leur en sont en grande partie redevables. Nous arrivons simplement à une époque où les acquis de la Communauté du charbon et de l'acier ne sont plus suffisants, où les équations du temps de la Guerre froide ne sont plus convaincantes, et où l'expérience peut nous conduire vers de nouvelles conceptions.

En apostille de notre Courrier du 15 décembre, nous remarquions brièvement que l'expérience des 50 dernières années a dessiné, beaucoup mieux que les textes constructivistes du type traité de Maastricht, les contours empiriques de la Constitution européenne.

Un pouvoir exécutif européen est indiscutablement en germe.

L'idée du projet Giscard d'instituer un ministre des Affaires étrangères a quelque chose de saugrenu, car le projet ne reconnaît (1) pas un véritable pouvoir exécutif, sans la consolidation duquel il n'existera ni de diplomatie européenne efficiente, ni de défense européenne véritable.

Or, contrairement aux dispositions imaginées par l'accord signé à Maastricht, ce pouvoir exécutif ne saurait fonctionner sur la base du Conseil européen. Tel que cette institution est actuellement organisée elle rassemble les chefs de gouvernement des États Membres, se réunissant eux fois par semestre de présidence rotative. Tous les conseils de ministres particuliers (2) représentent une conception intergouvernementale de l'Europe. Selon les départements ministériels ils reflètent une plus ou moins grande préoccupation communautaire des administrations respectives

Le vrai pouvoir exécutif réside dans la Commission européenne.

Un premier argument constant des adversaires du système actuel de la Commission serait qu'elle est composée de technocrates. C'est faux. Elle est peuplée, en majorité, d'hommes politiques désignés par les États. (3)

Les personnalités siégeant à la Commission européenne sont donc naturellement habilitées à élargir ses compétences.

On s'est également beaucoup inquiété à l'idée qu'une Europe à 25, puis à 27 dès l'arrivée de la Bulgarie et de la Roumanie, ne pourrait pas comporter un commissaire par État, et devrait immédiatement renoncer aux deux commissaires pour chacun des grands pays. Il est cependant à remarquer qu'on ne trouve pas excessif de composer dans chacun des États-Membres des gouvernements de plus de 40 ministres. Pourquoi faudrait-il, au lendemain de l'élargissement à 25 que 25 + même 7 autres commissaires (2 commissaires pour les plus grands États, en faisant abstraction de la réduction, à 1 membre par pays, décidée à Nice) soit désormais au total 32 ce serait un nombre excessif s'agissant du gouvernement de plus de 450 millions d'Européens ?

On peut affirmer au contraire qu'une telle commission pourrait, enfin, inclure dans ses compétences les tâches régaliennes que les États-nations sont désormais impuissants à résoudre seuls : on instituerait, enfin, un Commissariat européen à la défense, à la sécurité intérieure, à la coordination des polices, à la coordination de l'action judiciaire et à la lutte contre le crime organisé, à l'immigration, etc.

On peut sans doute améliorer l'actuel rapport entre Commission et Parlement, Commission et Conseil européen. Nous devons cependant nous défier des conceptions "constructivistes" tendant à hâter les choses quant à ces relations. Le passage de la Commission Santer à la Commission Prodi a précisément été marqué par une avancée dans la visibilité du caractère démocratique de l'Europe institutionnelle, par une véritable nomination débattue dans le cadre du Conseil européen et par une véritable investiture par le Parlement

Le pouvoir judiciaire, est lui aussi clairement en gestation. Indiscutablement, il réside dans la Cour de Luxembourg. Reste à résoudre la question de la dualité de la CEDH de Strasbourg.

La vraie question qui demeure est celle du pouvoir législatif européen.

Les technocrates et les journalistes ont pris l'habitude de considérer la norme juridique européenne à la manière du système français issu de la constitution de 1958.

Dans ces systèmes, on baptise "loi" tout document, à prétention juridique, préparé par des bureaux, agréable à l'administration, plus ou moins emphatisé par un personnage plébiscitaire, ou, selon les cas, largement occulté par des médiats complaisants ou ignorants, ayant vocation à être avalisé, dans un délai plus ou moins long, par des responsables politiques, vaguement légitimés par une procédure de suffrage universel.

Il va de soi que cette démocratie purement formelle dévalorise la notion même de loi. Malgré les tâches noires imprimées sur le papier blanc par l'accord de Maastricht, les citoyens ne font guère de différence, par exemple, entre une directive de la Commission et une directive du Conseil. Cela permet à nos amis "souverainistes" de faire croire, et peut-être même de croire sincèrement que "l'Europe (nous) impose" ceci ou cela. Comme si la technocratie franco-française, totalement irresponsable et pratiquement inamovible était plus proche des gens.

Mais cet aspect du "pouvoir européen", conçu comme "eurocratie", oblitère aussi la perception de l'Europe elle-même dans l'esprit de certains Français.

Dans les faits, le pouvoir législatif résulte de la dualité du parlement de Strasbourg et du Conseil européen.

Le parlement de Strasbourg reflète l'opinion des peuples européens et on doit considérer que le nombre des députés de chaque pays devrait y être représenté, en fonction directe du nombre de ses habitants. On pourrait s'inspirer du Congrès américain et dire, une fois pour toutes, que chaque pays élit 3 eurodéputés + 1 par million d'habitants. Dans l'Europe des 25, cela conduirait à 75 + 453 = 528 eurodéputés. On voit mal d'autre part comment ne pas y imposer comme mode de représentation la proportionnelle intégrale. Le seuil raisonnable de représentation pour un pays de 60 millions d'habitants serait alors de 1/63 des voix = 1,6 %. Ceci écarterait toutes les combinaisons nauséabondes des 20 dernières années (4).

La vraie question réside alors dans les fonctions et le fonctionnement du Conseil européen. Le projet Giscard voulut en faire le lieu du pouvoir exécutif, parce que selon sa conception, l'Europe demeurerait intergouvernementale, et que la véritable Europe, aux yeux des technocrates français, demeurerait indéfiniment l'Europe des États.

Là aussi il convient de ne pas se tromper de critique. L'Europe ne se fera pas contre les États, mais avec eux. Depuis les années 1950, elle a été largement faite par eux, et pas (ou pas uniquement) par la volonté des "larges masses" démocrates-chrétiennes ou sociales démocrates. D'autre part, un aspect trop souvent occulté du traité de Maastricht est de mettre un terme à l'hypothèse d'une véritable "Europe des régions "(5).

Or, contrairement à ce que voudraient faire croire nos chers dirigeants, le Conseil européen n'est pas un lieu de pouvoir et de décision dans sa forme actuelle. C'est sans doute à cela que le projet Giscard imaginait de remédier en donnant un mandat de 2 ans et demi (inédit dans les annales du Droit public) à son président. Il nous semblerait plus logique de dire que le gouvernement de chaque pays désignerait 3 membres pour 6 ans, renouvelable par 1/3 tous les 2 ans, de ce Conseil, siégeant de manière permanente, qui deviendrait ainsi un véritable Sénat, ou Bundesrat, d'une Europe confédérale des nations, institutionnalisant sa véritable vocation qui a toujours été de filtrer, au gré des États, les avancées de la législation et de ce qu'on appelle la construction européenne. Ainsi se trouverait écartée la question de la pondération artificielle des États (puisqu'ils seraient représentés de façon objective à égalité dans le Conseil, et proportionnels à leur population dans le parlement) dans l'éventuelle fameuse "majorité qualifiée".

Il est vrai que les questions européennes ennuient nos dirigeants et dépassent l'entendement de nos médiats. Les uns et les autres voudraient nous faire partager leur indifférence, reflet de leur médiocrité. Ces questions, essentielles pour notre avenir, devraient donc devenir d'autant plus passionnantes pour l'opinion éclairée.

JG Malliarakis

© L'Insolent

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  1. Faut-il écrire, dès maintenant, à l'imparfait que ce projet "ne reconnaissait pas"… Est-il définitivement enterré ?
  2. Le traité de Maastricht distingue le Conseil européen, formé des chefs de gouvernement et du seul chef de l'État plébiscitaire français des Conseils de ministres (Ecofin, Agriculture, Affaires étrangères, etc.)
  3. Il existe quelques exceptions comme le cas dans l'exception française de M. Lamy, Ces cas sont minoritaires et ils reflètent plutôt l'absence d'implication des gouvernements des plus gros parmi les États-Membres dans un projet à la mesure de ce que pourrait être l'Europe.
  4. Combinaisons nauséabondes, dont on tâtera du paroxysme en France, en toute "souveraineté", pendant l'année électorale 2004, où seront élus : des conseillers régionaux... des conseillers généraux... et des eurodéputés... sur selon 3 modes différents... auxquels personne ne comprend rien.
  5. Sur ce point encore les "souverainistes" se trompent de critique. Rien n'indispose plus les dirigeants européens que le spectre d'un nouveau découpage, d'avoir à trancher de ce qu'il adviendrait d'une Catalogne, d'une Corse, d'une Flandre, d'une Saxe ou d'une Écosse indépendantes. Jean-Pierre Raffarin l'a souligné un jour : avant Maastricht la paisible région Poitou-Charentes avait une représentation à Bruxelles ; elle ne peut plus en avoir.
  6. Le Conseil européen demeure faussement appelé "sommet" par les médiats. ceci tient en partie à des raisons psychologiques : là où siège le chef de l'État français, ce ne peut être qu'au "sommet". Mais cela tient aussi à l'ambiguïté du texte de Maastricht, rédigé par les technocrates français, entre "Conseil européen" et "conseil des ministres".

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