BULLETIN QUOTIDIEN EN TOUTE LIBERTÉ
MERCREDI 7 JANVIER 2004
LES HOMMES POLITIQUES ET L'ENTREPRISE
Le système fait si bien que plus de 2 entrepreneurs potentiels français sur 3 renoncent à leur projet
Comment douter, n'est-ce pas ? , de la sincérité du chef de l'État quand il prend parti "pour" l'entreprise. Un grand homme du radicalisme, M. Michel Crépeau, lorsqu'on lui demandait ce qu'il pensait de la défense nationale, répondait ainsi avec une conviction indiscutable : "je suis pour". Ne croyons surtout pas que le radical-socialisme français soit définitivement mort et enterré, du côté de La Rochelle, à moins que ce ne soit dans la résidence secondaire de M. Bernard Tapie. Jamais il n'a été aussi prospère, toujours "sensuel et sans férocité" (1) depuis l'arrivée à l'Élysée de l'ancien ambassadeur de Corrèze.
La vraie devise de tous les politiciens radicaux français, que le monde nous envie, a d'ailleurs toujours été : "appuyons-nous très fort sur les principes, ils finiront bien par céder".
Tout homme politique, le plus souvent sans en avoir pleinement conscience, est un entrepreneur. Il connaît ses clients, il analyse ses prospects, il développe un savoir faire, une enseigne, une chalandise, il communique une image de marque. Il affronte en permanence une concurrence aussi déloyale que celle de tous nos concurrents. Il a ses frais généraux. Et il encaisse un certain chiffre d'affaires. La seule différence avec la plupart des métiers honnêtes, c'est que l'essentiel de ses recettes est constitué du recel d'un argent soustrait par la contrainte étatique aux contribuables.
Un président de la république élu au suffrage universel direct n'échappe pas à la règle. Il est même, par hypothèse, le tenant du titre toutes catégories, le champion de France en tout cas, de ce sport un peu particulier.
L'exercice est singulier, en effet. Car les prélèvements du monde politique s'opèrent tout particulièrement au détriment des entreprises, des groupes bien réels de l'industrie, du commerce et, tout spécialement, des travaux publics.
C'est d'ailleurs peut-être ce qui fait que les hommes politiques, quand ils parlent des "entreprises", pensent avant tout à des structures un peu désincarnées, représentées dans leur esprit par des cadres supérieurs, rencontrés dans les mêmes hôtels internationaux, les mêmes restaurants chics, autrefois connus dans les mêmes écoles, et souvent issus des mêmes cabinets ministériels.
L'actionnaire compte pour peu de chose dans ce tissu de relations cordiales, moins qu'une secrétaire particulière, dans l'esprit de ces hauts dirigeants, comme dans celui des gouvernants. On comprend ainsi pourquoi personne n'est très chaud dans notre beau pays pour voir se développer, au sein des conseils d'administration, l'influence des très méchants fonds de pensions. La sordide préoccupation de ces organismes est d'assurer les vieux jours de petits salariés eux-mêmes défendus par de médiocres syndicalistes. Ceux-ci se montrent obnubilés par des considérations de rentabilité à courte vue. En effet, leurs mandants investissent, en moyenne pendant 40 ans, pour encaisser des dividendes dans les 20 années suivant leur départ à la retraite. Leurs porte-parole sont des syndicalistes à l'américaine cela va sans dire. Fort heureusement, en France, on subventionne 7 centrales bureaucratiques, "irréfragablement" représentatives (2), au total, de 7 % des salariés, et dont les vues se révèlent, comme celles des hauts fonctionnaires, à beaucoup plus long terme, et combien plus hautes. Il suffit d'écouter un Bernard Thibault ou un Marc Blondel pour s'en persuader.
Mais un autre personnage est encore plus effacé dans l'esprit des politiques français, énarques ou pas : c'est l'entrepreneur, en tant qu'individu. Les grands chefs d'entreprise peuvent recevoir une apparence de considération. Encore faut-il qu'ils demeurent modestes dans leur propos. Un Bouygues ne devient officiellement fréquentable que le jour de son enterrement. Leur fortune, rapidement acquise ne vaut pas celle des dynasties bourgeoises dont les technocrates français demeurent les thuriféraires, quand ils n'en sont pas les gendres.
Toute une mythologie nationale s'investit de la sorte dans le "mépris du commerce" sans même parler de la haine pour l'industrie qui pousse aujourd'hui encore à faire du romancier Zola le "grand littérateur réaliste national", à emmener les enfants des écoles aux frais du contribuable voir le "chef-d'uvre" Germinal, tout cela étant facilité par "l'exception culturelle".
La fonction de ces démonstrations d'idéologie marxiste arriérée n'est évidemment plus la "transformation socialiste de la société", mais la conservation technocratique du système, de ses monopoles et de ses prébendes.
Mais, malgré l'apparente virtualité de leurs discours, les politiciens français n'ignorent pas que les grands entrepreneurs se recrutent dans la masse des petits. Et leur fréquentation de l'Afrique leur a appris le proverbe selon lequel "il faut tuer le crocodile quand il est petit".
On n'y parvient plus par la dékoulakisation.
On n'y parvient pas seulement en fiscalisant outrageusement les petites entreprises.
On y parvient, fort subtilement, en affirmant "aider" les jeunes pousses, en faisant semblant de les "exonérer", pendant 2 ou 3 ans, de charges qu'il faudrait abolir, en les encadrant, plus ou moins mollement au départ, et en les matraquant au bon moment. La recette est éprouvée. Et les effets réels en sont tellement redoutables que, dans les milieux artisanaux, agricoles ou commerçants, on sait trop bien ce qu'il en est. Plus un seul fils de petit paysan ne désire s'installer à la terre.
Dans notre pays, plus de 2 entrepreneurs potentiels sur 3 renoncent à leur projet de création, ne voulant risquer, sachant ce qui l'attend, de perdre des droits sociaux si précieux pour, une fois "liquidé", devenir un mort civil. Il est tellement plus confortable de demeurer salarié ou chômeur indemnisé. Il faut vraiment une vocation inébranlable pour créer une entreprise. Peut-être même cela supposerait-il une dose de folie ? Bientôt on mettra les entrepreneurs dans des asiles spéciaux comme les dissidents à la fin de la période soviétique.
Le résultat en est un déficit considérable de la France en entrepreneurs, un chômage record et un recul généralisé du pays.
Un jour, peut-être les appareils politiciens, peut-être même les journalistes, s'en rendront compte.
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