BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MERCREDI 14 JANVIER 2004
FAILLITE DES POUVOIRS GRIS
Des 19 pages de rapport du Haut conseil exsude une suggestion : augmenter la CSG !
L'un des grands arguments développés par les partisans de la technocratie serait qu'elle pourrait se permettre des décisions courageuses, des vues prospectives et des réformes indifférentes aux aléas de l'opinion publique, elle-même réputée versatile et mal informée.
La France, depuis 1958, est gouvernée selon ce mode de fonctionnement. Les assemblées délibératives y détiennent à peine le pouvoir du Tribunat de la constitution consulaire. Elles n'en ont pas même l'ombre du prestige. Les textes de lois sont préparés par des bureaux, négociés dans des comités obscurs et unanimistes.
Or, toute cette addition de pouvoirs gris se révèle désormais clairement incapable de faire face à des situations critiques appelant des appréciations urgentes.
Et la grande réforme de l'assurance-maladie promise pour 2004 est partie sur les traces de ses devancières.
En septembre on intronisait un Haut Conseil dont les 53 membres recevaient surtout pour mission l'établissement d'un état des lieux.
Au moins sur un plan, qui est essentiel, le document finalisé ce 12 janvier dans la soirée, qui doit être officiellement remis par son président le 16 janvier, mais dont la teneur circule déjà, remplit une partie de son contrat. Il contredit tout net la vision développée, de façon très frivole, par le professeur Mattei, pour qui le problème financier de la sécurité sociale serait la conséquence de la baisse de conjoncture de l'économie française.
En cela M. Mattei (1) se révèle bien le successeur des ministres socialistes, dans ses fonctions comme dans ce qui lui tient lieu de convictions. Ses analyses sont préfabriquées, d'ailleurs, par les mêmes collaborateurs techniques qui confectionnaient les dossiers de Mmes Aubry et Guigou, et on peut présumer que ses communicateurs proviennent des mêmes agences de mannequins. Non seulement toutes ces incompétences grassement rémunérées ne se posent même pas la question de savoir si les charges de la protection sociale ne sont pas, largement, à l'origine de la stagnation industrielle française qui relève désormais de la tendance structurelle plus encore que conjoncturelle (2). Mais, bien plus, ni Aubry, ni Guigou, ni maintenant Mattei n'ont le courage d'aborder le caractère historique des dépenses remboursées par la sécurité sociale. Sur bientôt 60 ans la preuve expérimentale est faite de ce que le simple bon sens suggère : rien n'est plus cher que la gratuité.
Dès le 21 décembre on savait que le Haut Conseil transgresserait ce tabou du soi-disant caractère conjoncturel d'un déficit social vieux comme le monopole lui-même.
Comme on le verra bientôt cette (petite) rébellion conceptuelle pourrait constituer un acquis décisif, à condition de ne pas entrer dans la logique dite de la réforme du seul financement. Et c'est hélas le travers dans lequel tombe immédiatement le document du comité, lorsqu'il écrit explicitement, (extrait d'un texte de 19 pages) : "il faut envisager qu'on doive en longue période, augmenter les recettes". Appliqué à un système monopoliste d'État un tel avis ne saurait conduire qu'à une HAUSSE des prélèvements obligatoires. La seule piste offerte au pouvoir serait alors de différer une réforme, qu'il présente lui-même pour urgente : "la baisse des prélèvements obligatoires n'est pas un choix idéologique, c'est une nécessité [...] pour fixer sur notre territoire les capitaux créateurs d'emplois" . Et M. Chirac demande "d'aller vite"(3).
Sachant la vigilance des lecteurs de l'Insolent, on se bornera donc, outre cette constatation, à remarquer un autre point non négligeable dans les analyses du Haut Conseil qui "constate de graves carences dans les outils de pilotage du système", allant jusqu'à lâcher la conclusion la plus lourde de conséquence : "L'enchevêtrement des compétences explique en partie les dérives du système".
Or, cet "enchevêtrement des compétences", qui se révèle aussi, bien souvent une symphonie des incompétences, c'est bien cela, qui a conduit le pouvoir politique bicéphale, caractéristique des institutions françaises actuelles, à se défausser, sur ce comité unanimiste de 53 membres.
Et voici désormais la suggestion qui exsude des 19 pages de document, que personne ne lira : augmenter la CSG ! Voilà ce que retenait la radio d'État ce 14 janvier (4) à l'usage du grand public ! Quelle magnifique réforme !
Certains s'inquiètent, ou ironisent, en France de voir la Commission européenne transmettre à la Cour de Luxembourg la violation tranquille, par les chefs de gouvernements, du pacte de stabilité signé par les États en 1997. Ils ont peut-être raison, et "l'Europe" des centres de décisions technocratiques incertains nous semble le contraire de l'évolution continentale à laquelle nous aspirons légitimement, qui est l'Europe des libertés, des identités, des responsabilités.
Mais si on commençait, en France, par le nécessaire constat de faillite de nos propres pouvoirs gris, ce ne serait pas mal non plus.
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