BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
VENDREDI 16 JANVIER 2004
L'HYPOTHÈQUE CÉGÉTISTE SUR LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
La croissance ne dépendra pas du taux d'intérêt, mais du degré de liberté.
Notre actualité financière, sociale, juridique foisonne de chiffres. On la voit pleine de décrets automatiques, d'écritures conventionnelles et d'interventions de technocrates. Celles-ci reconduisent toujours les mêmes erreurs, sans les discuter. L'on semble ne jamais vouloir s'interroger quant au bien fondé d'orientations héritées d'un passé vieux d'un demi-siècle. Et nos dirigeants supposent, ou feignent de croire, qu'elles font partie d'une sorte de pacte social inamovible.
On peut alors éprouver le sentiment que les décisions les plus graves sont prises par des ordinateurs.
Chaque jour qui passe voit pourtant le déferlement de questions posées à la société française. Appelons cela, faute de mieux, l'urgence des réformes. Et le problème sémantique fondamental que soulève cette formule réside en ceci que la majorité des Français désire des changements, mais que les médiateurs politiciens de cette aspiration l'interprètent toujours en termes de conservation des avantages acquis.
La situation, nous suggère-t-on, n'est pas nouvelle. La révolution de 1789, dont il est ordinairement convenu et convenable de ne déclarer penser que du bien, puis ses petites confirmations telluriques de 1830, 1848 ou 1871, pendant tout le XIXe siècle (1) n'auraient, au dire de certains, rien modifié à "la misère et l'exploitation" (2).
Cette vision donne l'impression d'un pessimisme outrancier. On ne peut ni historiquement ni philosophiquement la retenir. Il est clair, au moins vers le bas, qu'une transformation des législations, des systèmes et des sociétés se révèle toujours envisageable. Elle s'est effectivement produite, dans un pays comme la France, depuis 200 ans, et à plusieurs reprises. Nous allons fêter cette année le Bicentenaire du Code Napoléon de 1804. D'autre part, simultanément, le laïcisme républicain entend faire sa propre toilette. Cela nous est présenté pour nécessaire. Et nous voulons bien le croire, après 100 ans de crasse remontant à la loi de séparation de 1905. L'héritage du radical-socialisme légué par M. Combes prendra son temps, mais il a commencé à s'ébrouer, éclaboussant le débat public, un an à l'avance, par l'affaire de la coiffe identitaire dont certaines petites maghrébines de nos banlieues s'affublent à l'âge pubère pour ne pas affrioler de leurs cheveux gras la vue des gamins délurés. Voilà, pense-t-on, une fort grave question. Les imams, étrangers et illettrés, en ont fait le drapeau de leur revendication. Celle-ci est d'ordre politique ; son esprit relève du séparatisme. Nous nous trouvons en présence d'une instrumentalisation de la religion contre l'idée d'assimilation. Et l'on doit déplorer que ce concept se voie désormais écarté du vocabulaire officiel.
Les mots, les emblèmes, les passions, cela compte énormément. Il faut s'efforcer cependant, lorsqu'on examine ces affaires, de toujours bien distinguer les symboles et les faits principaux.
Faute de quoi, nos décisions collectives sont prises par des technocrates qui, ne considérant que des chiffres, perdent ainsi de vue l'enracinement des données statistiques, ou pire encore : économétriques, dans un tissu de réalités charnelles, sociales et juridiques, en un mot : humaines.
Dans la question économique centrale qui nous préoccupe ici, c'est-à-dire, face au déclin de la France, quelles charges doivent être allégées, quels fardeaux inutiles encombrent nos concitoyens, quelles hypothèques collectives pèsent sur nos destins individuels,
ce ne sont pas d'abord des pourcentages qu'il est indispensable d'abaisser
ce sont des idées fausses qu'il importe, prioritairement, de corriger.
Ces conceptions erronées, dont la révision est urgente, s'appuient sur certaines forces.
Et si ces dernières se veulent à la pointe du progrès, nous constatons qu'elles sont, au contraire, fâcheusement archaïques.
Ces arrières gardes se mobilisent sur l'étiquette, fort heureusement affreuse, de "l'alter mondialisme". "Un autre monde est possible" proclament-elles utopiquement.
Mais à la vérité elles ne s'investissent que pour maintenir, quoi qu'il en coûte, les réglementations franco-françaises périmées conçues pendant les Quarante Années poisseuses (3) de la guerre froide, de la croissance extensive des économies industrielles de l'occident, et de la redistribution inflationniste.
Leur stratégie de "défense des acquis" remonte à des débats qui ont fait le bonheur des déchirements internes au stalinisme et au trotskisme. Elle se réfère même à des polémiques des années 1950 entre les sectes se partageant cette dernière obédience : est-on pour ou contre le programme de transition de la Quatrième Internationale à la veille de la Seconde guerre mondiale ? Voilà leur questionnement.
Reportons-nous aux épisodes précédents et on se retrouve "tous unis", "tous ensemble, tous ensemble, ouais !" pour la stratégie cégétiste de défense des acquis. Car "l'action syndicale, ça paye !" (4) ce qui demeure une très belle devise, pour un permanent
Ainsi envisagée, la croissance française hypothétique des années 2004 et 2005 ne dépend-elle donc pas du taux d'intérêt de la Banque centrale européenne, mais du degré de libre entreprise.
Notre faculté de développement se trouve ainsi mise en question par la nouvelle offensive contre la flexibilité du travail et contre les pistes de réforme suggérées, notamment dans le rapport remis au ministre des Affaires sociales, ce 15 janvier, par M. Michel de Virville. Celui-ci propose, entre autres choses, un nouveau type de louage d'ouvrage, intermédiaire entre le CDI et le CDD. De tels contrats dits de mission pour les salariés qualifiés correspondent aux besoins et aux réalités évidentes de nombreux métiers. Mais un tel dispositif provoque d'avance l'hostilité des bureaucraties syndicales et de l'opposition socialo-communiste. Certains pourront juger "intéressante" la réaction officielle de la CFTC. La petite centrale catholique découvre, dans un communiqué, que M. de Virville a forcément tort puisqu'il se trouve en accord avec le Medef.
Eh bien voilà une démarche typiquement empreinte de dialectique cégétiste. Et le fait que la petite CFTC soit en théorie abreuvée d'eau bénite ne l'empêche pas, hélas, d'être à la traîne de FO, elle-même dirigée par un esprit de surenchère permanente avec la CGT.
C'est l'appareil cégétiste qui conduit ce bal, comme elle le fait dans toute la matière sociale franco-française.
Dans ce débat "on" a choisi pour les Français.
On a décidé arbitrairement de préférer le chômage à ce que le camarade Thibault, sa centrale syndicale et son parti, dénonce quotidiennement comme "la précarité".
Mais on n'a vraiment jamais demandé aux Français, ni à ceux qui cherchent du travail ni aux jeunes qui veulent construire leur avenir, ce qu'ils en pensent véritablement.
Les vraies hypothèques de la société française sont de cet ordre.
Ceux qui les ont dénoncées en leur temps ont éprouvé, et ils partagent encore, le sentiment d'avoir prêché dans le désert. Comme les patriotes polonais du XIXe siècle, ils pourront sans doute graver, fièrement mais amèrement, sur leurs tombes l'antique devise "Ossibus ex nobis exoriatur ultor".
Mais ils sont en droit d'espérer, quand même, qu'une génération nouvelle reprendra, victorieusement cette fois, le flambeau de la Liberté, en levant les affreuses hypothèques, sous le poids desquelles ce pays est en train de mourir.
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