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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

VENDREDI 23 JANVIER 2004

PARMALAT, ENRON ET LA SANTÉ DU CAPITALISME

Punir les brebis galeuses est une preuve de santé du système.

Depuis les mois qui ont suivi septembre 2001, et pour la énième fois, la rumeur d'une grave crise du capitalisme traverse les grands moyens d'information.

Ressassant toujours un souvenir, mal digéré, des événements de 1929, de nombreux journalistes développent des commentaires de cet ordre, chaque fois que les cours de la Bourse baissent durablement. Et on doit reconnaître que ce genre de rumeurs s'est révélé extrêmement profitable à tous ceux qui ont toujours su qu'il vaut mieux acheter à la baisse et revendre à la hausse (1).

En l'occurrence, depuis le début de l'affaire Enron, du fait de scandales considérables autour de la comptabilité de certaines très grosses sociétés américaines, qui ont plombé la Bourse durant toute l'année 2002, venant après la remise en cause de la bulle spéculative et des valeurs technologiques et les conséquences du 11 septembre, les prévisions catastrophistes ont été ressenties de manière plus intense qu'elles ne l'avaient été depuis 1945.

Que des grands cabinets d'audits voient leurs certifications comptables remises en cause avait quelque chose comme une contestation du mètre étalon du pavillon de Breteuil.

On a vu fleurir un certain nombre de textes, d'interventions, de sous-entendus et de non-dits supposant que le capitalisme se porterait très mal.

Comme les scandales les plus éclatants se déroulaient aux États-Unis et comme une vigoureuse campagne d'opposition à la guerre d'Irak étaient lancée en Europe, eh bien c'est du "capitalisme" dont on a cru pouvoir annoncer qu'il était en "crise générale", particulièrement pendant l'année 2003 caractérisée par une baisse considérable du cours du dollar, par un déficit colossal des finances publiques américaines, par une situation critique des statistiques du commerce extérieur américain et par un ralentissement de la croissance.

Vues superficiellement, ces données convergentes, elles-mêmes séparées artificiellement de données infiniment plus favorables, ont permis de suggérer des diagnostics et des pronostics apocalyptiques.

Et comme est survenue ces dernières semaines l'énorme défaillance du groupe italien Parmalat, on a vu fleurir d'autres commentaires laissant entendre que la crise du capitalisme touchait autant l'Italie que l'Amérique. D'ailleurs, comme, dans l'imaginaire des polémistes, la Mafia sicilienne, le gouvernement de Washington et (l'infâme) Silvio Berlusconi cela fait tout un. CQFD : "Le capitalisme-impérialiste-assassin s'écroule dans le sang".

Cette vision caricaturale est bel et bien celle que l'on peut recevoir en France, dans la presse de gauche certes, mais aussi sous la plume de certains chroniqueurs autorisés et officieux.

Or, si l'on est toujours en droit de porter sur un certain "capitalisme" un jugement d'ordre moral (2) — la croyance en l'effondrement prochain du capitalisme est un mythe d'origine spécifiquement marxiste.

Les marxistes se trompent très souvent. C'est une banalité. Mais ils ne se trompent pas seulement quand ils professent le matérialisme historique ou quand ils accordent à l'économie une place suréminente dans les motivations humaines.

Ils se trompent en effet, avant tout, sur leur terrain de prédilection qui se veut, précisément, l'économie.

Parmi leurs erreurs nombreuses, figure en bonne place l'une des prédictions de Marx, reprise par ses épigones, Hilferding, Lénine, Staline, Trotski : l'effondrement global du capitalisme.

Quel rapport dira-t-on avec les scandales Parmalat ou Enron ?

Aucun, si l'on sen tient aux faits : ni Parmalat ni Enron n'ont engendré de "crise" boursière, au sens de la crise de 1929. À aucun moment aucune Bourse n'a suspendu ses cotations de valeurs mobilières. L'affaire Enron est venue, avec d'autres à un bien mauvais moment de la conjoncture économique et boursière américaine, cela est vrai.

Les marchés financiers ont jugé pendant l'année 2002 notamment que les valeurs industrielles étaient globalement surévaluées mais personne ne s'est suicidé pour autant.

Quant à Parmalat ou Enron, et quant aux très nombreuses grosses faillites de très grandes entreprises américaines on doit les estimer pour de véritables assainissements qui confortent la santé du capitalisme, comme tout phénomène de sélection naturelle et d'élimination des toxines.

Les États-Unis sont sortis de la période de crise plus puissants qu'auparavant, bénéficiant d'une productivité plus forte que celle de l'Europe et qui s'améliore chaque année plus vite que la nôtre, tout en disposant d'un taux de chômage beaucoup moindre alors même que des pans entiers (3) de la population y vivent dans l'assistanat.

Les responsables d'Enron sont en prison, comme ceux des entreprises similaires qui ont grugé les épargnants aux États-Unis. Le redémarrage de l'économie américaine est à la mesure des difficultés qu'elle a surmontées. Et la réalité demeure encore celle de la productivité imbattable de l'ouvrier américain.

Très peu nombreux sont au contraire les dirigeants français équivalents lorsqu'ils se sont révélés aussi désastreux que ceux d'Enron ou de Parmalat à subir le sort que la loi réserve en principe aux aigrefins. Les seuls à trinquer dans les dernières années ont été essentiellement les seconds couteaux

Ce sont en fait les pays où les scandales n'éclatent pas ou mettent très longtemps à recevoir une (faible) sanction judiciaire, où l'on cherche à amortir les chocs, où le capitalisme se porte mal. Ainsi l'Allemagne (un peu), ainsi le Japon (depuis le début des années 1990), et tout particulièrement la France, où sauf erreur très peu de vrais responsables des grands scandales étouffés sont actuellement en prison, hormis un ou deux boucs émissaires. Voir Crédit Lyonnais et Haberer, Vivendi et Messier, etc. Le système de défense d'un Trichet dans l'affaire du Lyonnais relève même d'un cas d'école. Il plaidait, sans doute à juste titre, la niaiserie qui aurait été la sienne, et son incapacité manifeste en tant que président de la Commission bancaire, — au moment même où il se portait candidat de droit divin, soutenu par notre République, à la présidence de la Banque centrale européenne.

On remarquera d'ailleurs que la France est particulièrement indulgente pour les grands accapareurs financiers du système monopoliste, et singulièrement féroce au contraire pour les petits entrepreneurs et artisans en difficulté.

Punir sérieusement les brebis galeuses, sans être intimidé par l'étendue de leurs détournements, c'est une preuve de santé du système.

Écarter les parasites du circuit relève de l'hygiène des sociétés.

Ne pas sen rendre compte est la marque de la déliquescence de nos communicants.

JG Malliarakis
© L'Insolent
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    1. Ce sont évidemment de très méchants spéculateurs. De même, sont de vils commerçants ceux qui vendent un produit plus cher qu'ils ne l'ont acheté. En revanche ceux qui font travailler les usines à perte sont généralement ceux qu'on appelle, en France, les "grands serviteurs de l'État".
    2. cette condamnation se fonde éventuellement sur les ambiguïtés éternelles du monde de la finance et des grandes affaires, en fonction d'une idée de malédiction métaphysique de l'Or ou d'autres mythes culturels très enracinés dans le vieil Occident. Dans son petit Que sais-je devenu introuvable sur le Capitalisme (qu'en définitive il "réhabilite") François Perroux citait ainsi Vacher de Lapouge : "Dans la nuit qui descend sur les dieux, Mammon brille d'un incomparable éclat".
    3. Heureusement, depuis une réforme qui remonte à 1996, sous la présidence de Clinton mais d'abord sous la pression des majorités républicaines du Sénat et de la Chambre des représentants, l'assistanat américain a nettement reculé, sans toutefois disparaître.
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