BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
LUNDI 2 FÉVRIER 2004
JUPPÉ : JUSTICE N'EST QU'À MOITIÉ FAITE
il n'était pas seul, il paye pratiquement seul.
Ayant toujours combattu les options technocratiques, conformistes et autoritaires de M. Juppé, on devrait se satisfaire pleinement de l'arrêt rendu par le tribunal de Nanterre ce 30 janvier.
Sauf appel et réforme substantielle de ce jugement éliminatoire, encore plausible mais qui se révélerait peut-être plus dangereuse encore, M. Juppé semble écarté pour longtemps de la scène politique, où son influence a toujours été néfaste.
Faut-il en rappeler certains aspects saillants ?
1° Son ascension remonte au début des années 1980, quand après 20 ans de gaullisme puis de giscardisme, la droite s'est retrouvée dans l'opposition. Durant les 20 années où on l'aura vu parader dans les réunions de ce qui est devenu l'UMP, il n'a jamais cessé d'être un des principaux agents du sectarisme suicidaire qui a raidi en deux blocs antagonistes les deux familles de cette droite, rupture entre une famille "technocrate" et une famille qualifiée de "populiste", rupture dont les effets semblent s'aggraver au fil des années. (1)
2° Ministre des Affaires étrangères du gouvernement Balladur, M Juppé s'illustre dans trois affaires graves :
A/ il est en 1993 le premier ministre des affaires étrangères à décider officiellement de diaboliser unilatéralement les "méchants" Serbes dans la guerre de Yougoslavie. Il le fait, de plus, de manière tout à fait frivole, arbitraire et cependant péremptoire, à l'occasion d'un attentat provocateur, dont tout le monde sait parfaitement aujourd'hui qu'il fut l'oeuvre des islamistes gravitant dans le sillage des "bons" Bosniaques.
B/ Il est en poste, absolument évanescent, en juin 1993, lors de la dramatique affaire du Rwanda, dont les conséquences ne cessent pas d'être catastrophiques pour toute l'Afrique centrale. Dans cette affaire, on a beaucoup reproché à la France d'être demeurée pour le moins passive face à la tentative de génocide entreprise par ses "protégés" hutus à l'encontre des tutsis.
C/ à l'époque de la présidence française de l'Union européenne, il force en 1994, malgré le vote explicite du parlement de Strasbourg, l'entrée de la Turquie dans l'Union douanière, procédure clairement présentée comme le marchepied de la candidature turque dont divers personnages proches du chef de son parti, par exemple M. Monod, sont des agents extrêmement opératifs.
3° Premier ministre de 1995 à 1997, après la première élection de M. Chirac à la présidence, ses hauts faits demeurent dans toutes les mémoires
A/ Sa rupture avec Alain Madelin, en août 1995, après avoir fait endosser à celui-ci, brillant intellectuel velléitaire, éphémère ministre des Finances, la hausse de 2 points du taux de la TVA, marque le renoncement aux promesses du candidat Chirac, présenté pendant sa campagne électorale comme l'homme des "réformes" et du "courage" (2).
B/ Pour ne pas être en reste, il annonce par un discours du 15 novembre, unanimement applaudi par la presse conformiste, son misérable "plan". La mise en place en fut précédée d'une scandaleuse réforme constitutionnelle de février 1996. On inséra alors dans la loi fondamentale le concept inédit de "loi de financement de la sécurité sociale" (annoncée au préalable comme une "loi d'équilibre"). Le plan Juppé s'est soldé par un échec pathétique. Ce programme technocratique d'inspiration banale (3) avait été mis en place pendant l'année 1996 par une série d'ordonnances signées de M. Jacques Barrot. Il est remarquable que ce dernier personnage, transmué d'ancien ministre des Affaires sociales en président du groupe parlementaire UMP, persiste aujourd'hui à présenter pour naturelle et légitime la procédure des ordonnances dans le cadre de la future réforme, rendue indispensable par l'échec de la précédente. Il la préconise donc imperturbablement et impunément. Une loi d'habilitation permettant d'agir de la sorte tendrait cependant, une nouvelle fois, à dépouiller le parlement dont il est un des poids lourds d'une de ses prérogatives démocratiques essentielles.
C/ Au cours des années 1996 et 1997, il entreprit, accessoirement à son plan mirifique, une chasse aux partisans de la Liberté sociale, dont nous eûmes à souffrir les conséquences.
D/ En 1997, brillamment conseillé par M. Dominique de Villepin, il pousse le chef de l'État à la malencontreuse dissolution que l'on sait.
Chassé du pouvoir par le peuple français, qui ne l'y avait d'ailleurs jamais appelé lui-même, il eût logiquement dû disparaître de la vie politique.
Pendant quelque temps, on put espérer être débarrassé de ce fâcheux.
En juillet 1997, il avait été, cheval borgne échangé contre un cheval aveugle, remplacé à la présidence du RPR par M. Philippe Séguin.
Et, depuis août 1998, il était mis en examen dans l'affaire des emplois fictifs du RPR.
Cependant il réapparaît dans les affaires européennes en l'an 2000. Cet "Européen convaincu" (?) avait été désigné en 1984, à la tête d'une liste au parlement de Strasbourg, où, automatiquement élu il ne siégea jamais. Il fut donc, avec M. Toubon, l'un des architectes du traité de Nice, très laborieusement négocié en décembre 2000, et dont la France officielle considère aujourd'hui qu'il est capital d'en abroger les dispositions essentielles.
Puis, il était réélu en mars 2001 maire de Bordeaux, et devenait président de la Communauté urbaine en avril, bénéficiant de soutiens pour le moins inattendus.
Entre-temps il s'était réaffirmé, notamment en 1998, l'un des plus intransigeants défenseurs du sectarisme suicidaire anti-droite "populiste" dont la stupidité n'échappe à personne.
En mai 2002, il passe pour avoir été le maître de la composition du gouvernement, dosant subtilement les tendances, imposant son ami Fillon, etc. Le 17 novembre 2002, il était ainsi élu président de lump, non sans avoir été, par l'effet d'un décret signé la veille, admis à faire valoir ses droits à une confortable retraite de l'Inspection générale des finances.
Jamais ce personnage, Inspecteur des Finances depuis 1972, n'a cessé de peser dans le plus mauvais sens, de se tromper et de faire partie des courtisans probablement fidèles du chef de l'État, et qui exercent ainsi la plus pernicieuse des influences sur cet esprit léger.
Il paye aujourd'hui la culture arrogante de sa propre impunité, à laquelle a trop longtemps été habitué le personnel de la Ve république. Incroyable par exemple avait été son attitude dans l'affaire, subalterne, de son appartement de la rue Jacob. Son système de défense dans le procès de Nanterre frisait le ridicule et dépassait les bornes du mauvais goût : il "ignorait" que sa propre secrétaire était rémunérée dans le cadre, manifestement, d'un "emploi fictif" Les attendus (4) , cruels mais justes, du jugement du 30 janvier répondent à cette défense outrageante, autant pour la magistrature syndiquée que pour le bon sens.
Mais on doit reconnaître hélas qu'il n'était pas seul, et qu'il paye seul. Il paye sa fidélité à un personnage que seule une décision de 1999 d'un conseil constitutionnel présidé par M. Roland Dumas garantit, judiciairement, contre une mésaventure analogue qui pourrait être inévitable s'il n'est pas reconduit en 2007.
On se souviendra aussi que le gouverneur de la banque de France avait plaidé, lui aussi, la sottise, l'aveuglement et l'ignorance dans une affaire, certes un peu différente, quoiqu'elle eût finalement coûté beaucoup plus cher aux contribuables ; et que, dès que cet autre Inspecteur des Finances (5) fût sorti indemne du procès du Crédit Lyonnais, en juin 2003, la France en a fait son candidat de droit divin à la présidence de la Banque centrale européenne.
Dans tout cela, il est sans doute nécessaire qu'une justice, apaisée et impartiale, applique la loi, y compris celle de 1995 dans ses rigoureuses conséquences relatives à l'inéligibilité automatique et durables des hommes politiques condamnés pour "prise illégale d'intérêt".
Mais n'eût-il pas été préférable et légitime que ce fût, plutôt que "l'autorité judiciaire", composée de fonctionnaires de l'État, mais le peuple français lui-même, qui mît fin, et beaucoup plus rapidement, à une carrière politique si constamment néfaste ?
À cheval donné, dit le proverbe, on ne regarde pas les dents.
Dans notre démocratie légèrement avariée, les bonnes nouvelles sont aussi rares que les impôts sont chers. Nous devrions nous contenter de celle-là et faire brûler un grand cierge devant une belle icône en espérant qu'elle fasse baisser ceux-ci.
(1) Je garde même un souvenir précis, lors d'une réunion, il y a effectivement 20 ans, où nous avions été sollicités avec quelques amis dans le cadre du "club 89", qui se voulait ouvert à tous les opposants. Nous avons entendu le discours de "prise pouvoir" d'un petit bonaparte, d'un de ces bonaparte qui n'ont jamais été au pont d'Arcole ni au siège de Toulon, un bonaparte de bureau, dont le ton plus encore que les très vagues opinions alors discernables. Le style nous a fait fuir, et nous courons encore
(2) en face d'un Balladur systématiquement dénigré pour son "immobilisme". en réalité, contrairement à cette présentation, de caractère polémique et dont Alain Madelin avait donné le ton dans le cadre de son mouvement Idées Action (lancé en 1994 dans ce but non-avoué), on a pu mesurer depuis que les réformes de Balladur entre 1993 et 1995, y compris la loi Madelin de février 1994 sur l'Entreprise et l'Initiative économique ou la loi Veil sur la sécurité sociale de juillet 1994, avaient été infiniment plus courageuses que celles du gouvernement qui lui a succédé. Hélas, on ne refait pas l'Histoire.
(3) Quoique les idées directrices du plan Juppé aient consisté, fort "classiquement", à faire payer plus cher un produit d'assurances remboursant désormais beaucoup moins bien, on peut lui reconnaître une perversité socialiste assez exceptionnelle. Il accordait, par exemple, une place centrale à la CSG, d'invention rocardienne, dans le "financement" de la sécurité sociale. Augmentant le budget de l'État d'un "budget bis" représentant quelque 120 % des dépenses de l'État (celles de la loi de finances "traditionnelle"), ce "plan Juppé-Barrot" a pu être décrit comme la plus grosse nationalisation de l'Histoire.
(4) Voici, donnés par l'AFP le soir même, les principaux extraits du jugement rendu le 30 janvier, par le tribunal correctionnel de Nanterre concernant le président de lump Alain Juppé, qu'il a condamné à 18 mois de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs du RPR, une peine qui le rend automatiquement inéligible. M. Juppé a fait appel, précise toujours l'AFP, ce qui a pour effet de suspendre son inéligibilité:
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