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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 10 FÉVRIER 2004

COMÉDIE POUR UNE NON RÉFORME

À l'écart du brouhaha des 57 organisations invitées, 2 ou 3 technocrates préparent une réforme.

Réunir plus de 50 délégations au ministère de la Santé, sous prétexte d'y faire semblant de négocier une réforme conservatrice de l'assurance-maladie monopoliste, est évidemment une plaisanterie. Chacun l'a parfaitement compris. On ne discutera pas vraiment non plus de l'élaboration du projet. On se bornera à entériner des textes préparés dans les bureaux. Il est vrai qu'en France on ne débat guère au sein de nos assemblées représentatives, où les partisans du libre choix sont pratiquement interdits de parole, muselés par l'investiture centralisée et par l'encadrement bonapartiste du travail parlementaire

En ouvrant ce 9 février ce qu'on appelle pompeusement le "Ségur de la santé" le ministre Mattei n'a joué qu'un rôle de relations publiques : ce n'est ni lui ni le chef du Gouvernement qui décide de la future réforme de l'assurance-maladie

Le professeur Jean-François Mattei a déclaré une fois de plus que le pouvoir n'entendait rien changer aux principes du système monopoliste de l'assurance-maladie, "cet acquis social exemplaire" qui "fait partie de notre patrimoine social".

En septembre 1995, déjà, M. Chirac avait annoncé à la Sorbonne que la sécurité sociale était fondatrice de notre identité nationale.

D'année en année, le dogme étatiste, tout en retournant complètement sa propre signification, prétend s'installer dans la durée, il prend ses aises, il s'ébroue.

Dans l'Histoire beaucoup d'excellents principes se transforment en leur contraire en quelque 60 ou 70 ans, l'espace de deux ou trois générations. Ainsi la reconnaissance officielle du christianisme par l'État constantinien, de libératrice est devenue persécutrice entre 312 et 382, ainsi le pangermanisme romantique entre 1811 et 1871, ainsi des croisades, des révolutions, du socialisme etc. Et bien souvent les débats sont faussés par ce malentendu entre le principe initial et son application.

C'est d'ailleurs au nom des fondateurs de la Sécurité sociale, qu'il situe comme tant d'autres en 1945, M. Mattei a mis en exergue le "devoir" de relever "ensemble" le "défi commun" que représente la "sauvegarde" de l'assurance-maladie, confrontée à un déficit prévisionnel de près de 11 milliards d'euros en 2004.

L'erreur de notre ministre sur l'historique de la sécurité sociale est commune : en fait, le système français tel qu'il fut redéfini par les ordonnances de 1945 était tout à fait différent de l'actuel. Il supposait alors la combinaison inédite d'une politique familiale nataliste, et même "nationaliste", d'une retraite ouvrière sans autre garantie que le monopole étatiste, et d'une assurance-maladie initialement autogérée par les salariés et les employeurs. Ce système original avait été mis au point un technocrate de talent, Pierre Laroque, qui s'illustra d'abord (1) au service de la charte du Travail de 1941.

Le système s'écroule ? Ses finances, de soutiens colossaux en CSG galopante, ne cessent de se délabrer ? N'en changeons surtout plus les fondements apparents proclament fièrement nos technocrates !…

M. Mattei l'a fortement précisé : "Le gouvernement rejette avec force toute forme de privatisation ou de mise en concurrence entre régimes. Je le dis avec netteté pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïtés. C'est un engagement fort que je veux poser d'emblée comme préalable".

M. Mattei est bien bon quand il se réclame du "système paritaire" associant des partenaires "pleinement et véritablement responsables", car, ose-t-il prétendre, "le gouvernement écarte l'étatisation".

Le voilà presque en accord, verbalement, avec le tout nouveau secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly. Inaugurant ses nouvelles fonctions, le successeur de Blondel réclame "une clarification des comptes et des responsabilités" dans la gestion de l'assurance-maladie ; il insistait aussi, cependant, sur le caractère purement "consultatif" de la réunion.

S'il eût été méchant il eût plutôt insisté sur son aspect strictement diplomatique, théâtral, formel, etc. ; coupé de la prise de décisions réelle.

Le commentaire dominant au sortir de cette très large assemblée de gens qui ne décideront de rien, était que les choses sérieuses commenceraient "lorsque le gouvernement sortirait du bois, après les élections régionales".

En vérité les "choses sérieuses" se négocient jour après jour avec les deux responsables du dossier à l'Élysée : M. Frédéric Salat-Baroux, secrétaire général adjoint, qui fut conseiller santé auprès d'Alain Juppé à Matignon de 1995 à 1997, et Mad. Marie-Claire Carrère-Gée, conseillère technique, ancienne secrétaire nationale du RPR. Le chef de l'État est en fait au contact permanent de ce projet qui a pour interlocuteur principal M. Davant, président du lobby des mutuelles, avec deux autres partenaires : MM. Guillaume Sarkozy, interlocuteur représentant le Medef, et François Chérèque (1), de la CFDT.

Tout ceci nous confirme que l'on en revient au plan Juppé, avec ses principaux inspirateurs, malgré son échec total, aussi bien sur le plan comptable que sur le terrain de la santé.

Le rapport consensuel remis le 23 janvier par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie le laissait déjà pressentir.

C'est peut-être une grande affaire. Ce ne sera qu'une toute petite réforme, une de plus. Et cela laissera dans les comptes sociaux et les prélèvements obligatoires une faille de plus en plus grosse, puisqu'on est revenu au point de départ, aux idées fausses du plan Juppé, sans que le système de soins s'améliore en France, bien au contraire.

JG Malliarakis
© L'Insolent
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(1) Précisons que le conseiller d'État Pierre Laroque (1907-1997), issu d'une ancienne famille israélite française du Comtat Venaissin, fut officiellement révoqué par Vichy en vertu des déshonorantes lois persécutrices de l'époque. Ce patriote français s’engagea en 1943 dans les Forces françaises libres, et il participa au débarquement de Normandie. Après la Libération, le ministre du Travail du gouvernement provisoire, Alexandre Parodi, fit appel à lui pour dresser un nouveau plan français de protection sociale. Directeur général de la Sécurité sociale de 1944 à 1951, il élabora et mit en oeuvre les grandes ordonnances de 1945 et 1946 qui posèrent les fondations du système originel, aujourd'hui largement dénaturé.

(2) M. Guillaume Sarkozy avance pour le Medef quelques idées positives, mettant certaines conditions compréhensibles à sa participation au "paritarisme" et M. Chérèque a donné aux Échos du 9 février une interview qui serait presque convaincante. Il pose, grammaticalement, comme préalable la réforme du système de soins, avant d'envisager une nouvelle hausse des prélèvements obligatoires, via la CSG. Quant au lobby des mutuelles, si important philosophiquement, et si cher à notre président, son grand souci est de faire cesser le transfert subreptice mais systématique des dépenses remboursées par les régimes de base d'assurance-maladie vers les régimes dits complémentaires. Tout cela est très ponctuel, très insuffisant.

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